L’« Ever-Given », une cathédrale d’acier plus longue que la tour Eiffel, est coincée depuis mardi en travers du canal, où passe l’essentiel des marchandises entre l’Asie et l’Europe.
Ce n’est pas la fameuse sardine qui bouche le port de Marseille, mais un superconteneur qui bloque le canal de Suez. La sardine marseillaise n’était pas une galéjade de pêcheur, mais un navire militaire du XVIIIe siècle, la Sartine, qui coula à l’entrée du chenal menant à la cité phocéenne. On ne souhaite pas à l’Ever-Given un tel sort, mais sa situation est précaire. Pour une raison inconnue, cette cathédrale d’acier, plus longue que la tour Eiffel, s’est mise en travers du canal, mardi 23 mars, dans sa partie sud, la plus étroite.
Les armées de dragueurs et de remorqueurs dépêchées sur place ne parviennent pas à dégager sa proue fichée dans le sable du désert. Il n’est pas impossible qu’il faille attendre les grandes marées d’équinoxe des lundi 29 et mardi 30 mars prochain pour bouger ce monstre de 200.000 tonnes. Et avec lui, c’est une belle part du commerce mondial qui est en train de s’enliser.
L’essentiel du trafic de marchandises entre l’Asie et l’Europe emprunte le canal depuis les travaux d’agrandissement de 2015, qui l’autorisent à accueillir des colosses comme l’Ever-Given. Selon l’agence Bloomberg, les 50 navires de toutes sortes qui l’empruntent quotidiennement, cargos, vraquiers, pétroliers et porte-conteneurs, représentent une valeur cumulée de près de 10 milliards de dollars. Un arrêt de plusieurs jours, voire d’une semaine, va provoquer des effets en cascade sur l’ensemble de la chaîne logistique, déjà très tendue en ce moment, notamment dans l’industrie.
Symbole d’un effondrement
Bien sûr, cet accident, unique dans l’histoire mouvementée du canal, ne devrait rester qu’une anecdote dans celle du commerce international. Mais Suez est aussi pour les Européens une image. Celle des espoirs des saint-simoniens français du XIXe, amoureux de progrès et de technologie, qui ont porté le projet durant un demi-siècle avant sa réalisation, achevée en 1869, par Ferdinand de Lesseps, porté par l’engouement de la Bourse de Paris pour ce projet spectaculaire.
Mais il a aussi, cent ans plus tard, symbolisé l’effondrement de l’influence géopolitique de l’Europe dans le monde, avec l’échec de l’intervention militaire des Britanniques et des Français en 1956 pour tenter d’empêcher la nationalisation du canal par le nouveau pouvoir égyptien de Nasser.
Aujourd’hui, ce ruban artificiel entre deux continents porte la marque de la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine. Celle-ci ne devrait pas s’achever de sitôt. L’Égypte a entamé des travaux pour doubler le trafic dès 2023. En attendant, sur le bord du canal, on attend la marée...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.