28 mai 2020

Game over …


La mondialisation et la financiarisation sont mortes, avec ce qui en dépendait.

La financiarisation n’a jamais été durable, pas plus que la globalisation destructrice qu’elle a engendrée.

Toutes les analogies tirées d’histoires heureuses, avec les pandémies passées décrites comme de simples nids de poule sur la route, sont à côté de la plaque. Une affirmation populaire est que la pandémie de grippe de 1918-1919 a tué des millions de gens, mais pas de souci, les Roaring 20′ [Années folles] ont commencé l’année suivante. C’était en avant et encore plus haut, garçon, après avoir jeté les masques.

Faux. Complètement, totalement, complètement faux. Les moteurs des 75 dernières années de croissance, la globalisation et la financiarisation, sont morts, avec tout ce qui en dépendait pour la « croissance ». La croissance est entre guillemets car une fois que les coûts externes, l’inflation et l’arbitrage entre devises sont pris en compte, l’essentiel de ce qui a été glorifié comme «croissance» n’est rien d’autre que des pertes couvertes par la supercherie comptable.

Voici ce qui est mal compris : la globalisation et la financiarisation meurent lorsqu’elles cessent de s’étendre, comme les virus. Tout comme un requin meurt s’il cesse de nager.

La globalisation et la financiarisation sont en perte de vitesse depuis des années. Sous couvert d‘«ouverture des marchés», la globalisation a dépouillé les économies qui ne peuvent pas imprimer de monnaie de réserve et les a éviscérées, car seuls des secteurs compétitifs à l’échelle mondiale survivent. Le résultat net est que les économies autrefois dynamiques et diversifiées ont été réduites à des monocultures fragiles, complètement dépendantes des flux mondiaux de capitaux, et qui se saignent pour survivre.

Le tourisme est un excellent exemple : chaque région qui a vu son économie locale écrasée par l’arbitrage mondial et l’hégémonie des multinationales, laissant le tourisme comme seul secteur vivant, a été dévastée par la crise, car cette activité a toujours été subordonnée au revenu disponible – et le tourisme n’est pas le premier besoin des gens – et à l’expansion du crédit pour toujours.

Mais le crédit ne peut pas s’étendre indéfiniment, car il finit par manquer de revenus pour assurer le service de la dette. La financiarisation n’est pas seulement l’expansion du crédit et l’utilisation excessive de l’effet de levier pour les emprunteurs marginaux, c’est aussi un pillage légalisé, car les véritables risques de débordement de la dette sont dissimulés dans des instruments financiers obscurs et de fausses affirmations sur la «sécurité» et la «couverture».

Les excès de la dette et de l’effet de levier canalisés dans des spéculations risquées se terminent inévitablement par un défaut. La financiarisation se manifeste par des bulles d’actifs et une hyper-consommation, car les personnes qui n’ont jamais eu de crédit dépensent jusqu’à la limite de leur autorisation et même au-delà. Des bulles d’actifs et de consommation éclatent, poussant le secteur financier, qui a mitonné l’expansion insoutenable du crédit, vers l’insolvabilité.

En d’autres termes, la globalisation et la financiarisation néolibérales, qui sont essentiellement une dynamique, sont intrinsèquement déstabilisantes, car toutes ses incitations sont perverses et prédatrices. Tout comme les bulles d’actifs et de consommation sont inévitables, l’éclatement de ces bulles et la dévastation de tout ce qui dépendait de l’expansion de ces bulles l’est également.

La prise en compte du bien commun, longtemps tournée en dérision comme étant du nationalisme par ceux qui se régalent des excès de la globalisation et de la financiarisation, est maintenant vue comme la condition de la résilience et de la sécurité qui ont été sacrifiées sur l’autel de la globalisation. La sécurité alimentaire, pour prendre un exemple de base, est impossible une fois que la globalisation a détruit la production agricole locale et que la financiarisation a récompensé l’agriculture industrielle, car Big Agro peut emprunter des capitaux à des échelles qui n’ont de sens que dans un monde de monoculture mondialisée.

Tout ceux vantant 1919 comme modèle pour 2020 ignorent profondément l’histoire et les ontologies destructrices de la globalisation et de la financiarisation. Il n’y a pratiquement pas de chevauchement possible entre le monde de 1919 et le monde de 2020 en termes de structures financières et d’excès.

Que la globalisation et la financiarisation soient mortes est révélé par ce que les renflouements de la Réserve fédérale, et ce que le tout gratuit ne peuvent pas faire :
  • Ils ne peuvent pas inventer des emprunteurs solvables à partir de rien comme la Fed crée des dollars ex-nihilo.
  • Ils ne peuvent pas obliger les prêteurs, confrontés à des défauts de paiement massifs, à prêter plus d’argent à des emprunteurs non solvables.
  • Ils ne peuvent pas obliger des emprunteurs solvables à emprunter.
  • Ils ne peuvent pas regonfler les bulles d’actifs et de consommation qui ont éclaté [mais ils essaient d’en faire de nouvelles, NdT]
  • Ils ne peuvent pas restaurer la confiance dans des chaînes d’approvisionnement longues et fragiles.
  • Ils ne peuvent pas par magie transformer des entreprises non rentables en entreprises rentables.
  • Ils ne peuvent pas créer de flux financiers – revenus, bénéfices, salaires, etc. – avec des plans de sauvetage qui perpétuent les incitations perverses de l’aléa moral ou de « l’argent gratuit » conçu pour donner aux serfs de la dette suffisamment d’argent pour continuer à rembourser leurs prêts.
  • Ils ne peuvent pas abandonner le service de la dette sans détruire la richesse contenue dans celle-ci : les hypothèques, les prêts étudiants, les prêts automobiles, la dette des carte de crédit, les obligations de sociétés, etc. sont des actifs qui perdent leur valeur en cas de défaillance de l’emprunteur.
  • La Fed peut acheter une dette dépréciée, mais cela ne change pas leur impuissance pitoyable, voir les points 1 à 7 ci-dessus.
La financiarisation est une fuite en avant, elle n’a jamais été soutenable, pas plus que la globalisation destructrice qu’elle a entraînée. Tout système qui dépend de l’exploitation toujours croissante de nouvelles ressources, de nouveaux débiteurs et de nouveaux marchés ne pourra jamais être que fragile. La férocité de sa cupidité masquait sa faiblesse inhérente, une faiblesse qui est maintenant exposée comme fatale.

J’explique ces dynamiques et la manière dont elles sapent la démocratie dans mon court livre Why Our Status Quo Failed and Is Beyond Reform.

Charles Hugh Smith

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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