Le gouvernement soutient entreprises, salariés et fonctionnaires, mais il oublie, inconsciemment ou délibérément, les travailleurs les plus précaires et les ménages qui dépendent des minima sociaux, estime l’économiste Michaël Zemmour.
Dès les premières heures de la crise, le gouvernement a pris la mesure du danger économique qui menaçait les entreprises et annoncé des mesures volontaristes, a priori relativement efficaces pour amortir le choc. Ces mesures, si et seulement si elles sont correctement et rapidement mises en œuvre, pourraient protéger non seulement les collectifs de travail et les compétences, mais également les revenus d’un grand nombre de ménages des effets les plus immédiats de la crise économique qui commence.
Mais pas tous les ménages, loin de là. Car le gouvernement qui, à juste titre, fait la liste des risques économiques par secteur (spectacle, commerce, agriculture, librairie…) et des réponses qui pourraient y être apportées, ignore jusqu’ici des segments entiers de la population, particulièrement exposée aux conséquences immédiate de la crise.
Etat, acheteur en dernier ressort
La France bénéficie d’un atout sérieux pour faire en sorte que la crise sanitaire et économique qui s’annonce ne soit pas immédiatement amplifiée par une crise sociale majeure : un système de protection sociale dense et une protection de l’emploi salarié.
Hors période de crise, la protection sociale assure une « démarchandisation » partielle du travail : une partie significative du revenu des ménages (retraite, chômage, congé maladie, allocations familiales, RSA…) n’est pas strictement dépendante de l’emploi. En période de crise ces dispositifs agissent comme des « stabilisateurs automatiques », qui permettent de dissocier le revenu des ménages des soubresauts de l’économie.
Le gouvernement a renforcé ces protections en annonçant une batterie de mesures discrétionnaires. Pour éviter les faillites, le ministre de l’Economie a très tôt sorti la carte du chômage partiel, sans en limiter a priori l’ampleur budgétaire, et celle du report des prélèvements sur les entreprises.
Ces mesures, sans doute inspirées de la gestion allemande de la crise de 2008, permettent à l’Etat de jouer le rôle « d’acheteur en dernier ressort », c’est-à-dire de se substituer à un marché à l’arrêt pour assurer aux entreprises le maintien de leurs effectifs permanents, en prenant en charge l’essentiel de la rémunération des salariés.
Plusieurs segments de la population sont laissés sans réponse sociale, alors qu’ils sont particulièrement exposés
Dans le même temps, a été annoncée la possibilité de percevoir des indemnités journalières pour les personnes fragiles, ou pour garde d’enfants, faisant ainsi prendre en charge par la Sécurité sociale une partie de la rémunération des personnes arrêtées. Des inquiétudes vives s’expriment quant à la mise en œuvre réelle de ces mesures, alimentées par les tergiversations sur l’éligibilité de certains secteurs et par les délais de traitement des administrations, mais ces mesures sont utiles et efficaces.
Bien sûr, cela ne fait pas disparaître la crise. Cependant, ces mesures font prendre en charge le coût immédiat de la récession à la collectivité, plutôt qu’aux individus, au hasard de leur exposition à la crise. La question de l’amortissement de ce coût, par la fiscalité, le budget ou la monnaie, viendra, mais plus tard.
Cette stratégie devrait permettre à court terme de protéger une grande partie du revenu d’une très large fraction des personnes salariées du privé, en emploi stable. Les traitements des agents publics fonctionnaires ou sous contrat sont également maintenus ; les pensions de retraite sont préservées dans l’immédiat des effets de la crise. En revanche, plusieurs segments de la population sont laissés sans réponse sociale, alors qu’ils sont particulièrement exposés.
Dès les premières heures de la crise, le gouvernement a pris la mesure du danger économique qui menaçait les entreprises et annoncé des mesures volontaristes, a priori relativement efficaces pour amortir le choc. Ces mesures, si et seulement si elles sont correctement et rapidement mises en œuvre, pourraient protéger non seulement les collectifs de travail et les compétences, mais également les revenus d’un grand nombre de ménages des effets les plus immédiats de la crise économique qui commence.
Mais pas tous les ménages, loin de là. Car le gouvernement qui, à juste titre, fait la liste des risques économiques par secteur (spectacle, commerce, agriculture, librairie…) et des réponses qui pourraient y être apportées, ignore jusqu’ici des segments entiers de la population, particulièrement exposée aux conséquences immédiate de la crise.
Etat, acheteur en dernier ressort
La France bénéficie d’un atout sérieux pour faire en sorte que la crise sanitaire et économique qui s’annonce ne soit pas immédiatement amplifiée par une crise sociale majeure : un système de protection sociale dense et une protection de l’emploi salarié.
Hors période de crise, la protection sociale assure une « démarchandisation » partielle du travail : une partie significative du revenu des ménages (retraite, chômage, congé maladie, allocations familiales, RSA…) n’est pas strictement dépendante de l’emploi. En période de crise ces dispositifs agissent comme des « stabilisateurs automatiques », qui permettent de dissocier le revenu des ménages des soubresauts de l’économie.
Le gouvernement a renforcé ces protections en annonçant une batterie de mesures discrétionnaires. Pour éviter les faillites, le ministre de l’Economie a très tôt sorti la carte du chômage partiel, sans en limiter a priori l’ampleur budgétaire, et celle du report des prélèvements sur les entreprises.
Ces mesures, sans doute inspirées de la gestion allemande de la crise de 2008, permettent à l’Etat de jouer le rôle « d’acheteur en dernier ressort », c’est-à-dire de se substituer à un marché à l’arrêt pour assurer aux entreprises le maintien de leurs effectifs permanents, en prenant en charge l’essentiel de la rémunération des salariés.
Plusieurs segments de la population sont laissés sans réponse sociale, alors qu’ils sont particulièrement exposés
Dans le même temps, a été annoncée la possibilité de percevoir des indemnités journalières pour les personnes fragiles, ou pour garde d’enfants, faisant ainsi prendre en charge par la Sécurité sociale une partie de la rémunération des personnes arrêtées. Des inquiétudes vives s’expriment quant à la mise en œuvre réelle de ces mesures, alimentées par les tergiversations sur l’éligibilité de certains secteurs et par les délais de traitement des administrations, mais ces mesures sont utiles et efficaces.
Bien sûr, cela ne fait pas disparaître la crise. Cependant, ces mesures font prendre en charge le coût immédiat de la récession à la collectivité, plutôt qu’aux individus, au hasard de leur exposition à la crise. La question de l’amortissement de ce coût, par la fiscalité, le budget ou la monnaie, viendra, mais plus tard.
Cette stratégie devrait permettre à court terme de protéger une grande partie du revenu d’une très large fraction des personnes salariées du privé, en emploi stable. Les traitements des agents publics fonctionnaires ou sous contrat sont également maintenus ; les pensions de retraite sont préservées dans l’immédiat des effets de la crise. En revanche, plusieurs segments de la population sont laissés sans réponse sociale, alors qu’ils sont particulièrement exposés.
Laissés pour compte
En premier lieu, les ménages les plus modestes, allocataires de minima sociaux et en particulier du RSA. Les minima sociaux sont fixés à des montants trop faibles pour vivre, dans le but de ne pas « désinciter » au travail. Ils sont articulés à des dispositifs comme la prime d’activité, dont le montant augmente en fonction du nombre d’heures travaillées dans le mois.
En temps normal, ces montants très faibles (par exemple 841 euros de RSA pour un couple avec enfant), conduisent les ménages qui en vivent à un travail quotidien intense pour trouver des ressources – sous forme de travail informel, d’échange de services, ou à la recherche de quelques heures qui pourraient compléter leur revenu.
Dans la période que nous traversons, cette économie déjà difficile n’est pas tenable et est incompatible avec l’injonction sanitaire « restez chez vous ». De plus, la fermeture des cantines scolaires comme celle des marchés vont faire augmenter la facture alimentaire.
Dans ce contexte, il est certain que les ménages concernés (1,8 million de foyers au RSA en 2019) vont voir s’aggraver leurs difficultés financières pour s’approvisionner, payer leur loyer, se soigner, et se confiner dans des logements déjà inadaptés à la situation1.
Il faut se souvenir qu’une personne au chômage sur deux n’a pas assez de « droits » pour être indemnisée
En second lieu, il y a tous les ménages qui ne sont pas ou mal couverts par la protection sociale ou la protection de l’emploi. Il faut se souvenir qu’une personne au chômage sur deux n’a pas assez de « droits » pour être indemnisée. C’est notamment le cas des personnes sous statut d’auto-entrepreneurs, dont le nombre a considérablement augmenté dans la dernière décennie, et qui ne sont quasiment pas couvertes. Parmi ces personnes, les jeunes de moins de 25 ans n’ont, eux, même pas accès au RSA.
Côté emploi, il y a toutes celles et ceux dont les contrats ne sont pas protégés par les mesures de chômage partiel : les intérimaires, les personnes en fin de CDD, sous statut d’intermittent ou encore les pigistes ont déjà très massivement perdu leur travail. Leurs revenus risquent de décrocher fortement.
Un relèvement exceptionnel et inconditionnel des minima sociaux, du montant de l’assurance chômage avec des garanties d’extension serait techniquement simple à mettre en œuvre et offrirait un pendant logique aux mesures décidées pour le reste de la population. Mais pour l’heure, sur toutes ces situations, le gouvernement n’a fait que quelques annonces éparses.
Concernant les minima sociaux, il a évoqué un versement anticipé de… deux jours ce mois-ci. Les chômeurs en fin de droits voient leurs droits maintenus en avril. Concernant les indépendants, un versement de 1 500 euros est prévu, mais limité à ceux qui peuvent justifier d’une baisse d’activité de 50 % par rapport à mars 2019 ou qui ont vu leur établissement fermé par décision administrative. Ces réponses ne sont clairement pas à la hauteur pour assurer une sécurité sociale aux plus modestes.
Stratégie délibérée ?
On peut avancer deux explications sous forme de conjectures à cet « oubli » de millions de ménages. La première est que l’imaginaire social du gouvernement est biaisé au point qu’il est capable d’envisager les difficultés économiques des entreprises et de leurs dirigeants, d’encourager à la suspension du paiement des loyers, mais seulement pour les entreprises ; de demander (poliment) aux actionnaires une « modération dans le versement des dividendes (sic) » ; mais que, préoccupé par la crise économique et l’urgence sanitaire, il ne se rend pas spontanément compte de l’exposition des ménages modestes à la crise présente.
Pour gérer la crise et en sortir, le gouvernement organiserait dès aujourd’hui un « choc d’offre », permettant un ajustement des salaires à la baisse
La seconde explication, encore plus inquiétante, est suggérée par les impressionnantes mesures de dérégulation du droit du travail contenues dans le plan d’urgence sanitaire. Pour gérer la crise et en sortir, le gouvernement organiserait dès aujourd’hui un « choc d’offre », permettant un ajustement des salaires à la baisse.
Si tel est bien le cas, on peut penser que ne pas relever les minima et étendre la couverture chômage n’est pas une omission : faire rouler les livreurs à vélo coûte que coûte n’est pas un oubli, mais une stratégie. Elle permet de mettre à disposition des entreprises et des ménages aisés une main-d’œuvre bon marché, pendant le confinement, et en sortie de crise. Cette stratégie n’ignore pas l’absence de protection sociale et au travail d’une partie de la population, elle en a besoin.
Ce texte est issu du blog de Michaël Zemmour. Il a été initialement publié en version courte sur le site du journal Le Monde le 27 mars 2020
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