07 avril 2020

Le jour d'après : comment maintenir la paix publique


Il faudra bien sortir de cette crise inouïe, qui gèle le monde, notre pays, nos activités et notre moral, nous coûtera des milliards d'euros et des dizaines de milliers de drames individuels. Dans une inflexion remarquée de la communication gouvernementale, le Premier ministre a commencé à aborder ce sujet et notre « déconfinement ». Qu'il soit bref ou long, progressif ou général, personne n'en sait rien. Ce qui paraît certain, en revanche, c'est qu'il sera délicat, avec de multiples enjeux, dont celui du maintien de la paix publique. Un de ceux qui marqueront « les jours d'après » sera incontestablement d'arriver à une vraie transparence – comprendre : au-delà de la communication – pour tuer dans l'œuf le complotisme, les soupçons les plus excessifs et une colère que l'on entend sourdre, pas seulement sur les réseaux sociaux, par des décisions rapides, claires et nettes. De complot, il n'y en eut point. En revanche, on trouvera probablement de la légèreté, de l'imprévoyance, des insuffisances et de l'incompétence lorsqu'on voudra sérieusement opérer un « retour d'expérience ».

Après ce « juin 40 » de la santé publique, l'État, au sens large, ne pourra échapper à une introspection sincère. Si elle n'a pas lieu, nous courons le risque de nous retrouver face à une situation explosive à côté de laquelle la crise des Gilets jaunes nous paraîtra être un gentil monôme de cour d'école. Il ne s'agit même pas d'exiger un mea culpa, un « responsable et pas coupable » ou le désormais habituel « nous avons été surpris par une vague imprévue ». L'État devra avouer ses responsabilités et ses erreurs, sans tenter de protéger qui que ce soit. En clair, se montrer intraitable (on hésite à écrire : sans pitié).

Si l'on a su, que n'a-t-on agi ?

Voici vingt ans ou peut-être même trente que nul ne pouvait ignorer qu'une grande crise sanitaire était redoutée. On a beaucoup parlé du rapport de la CIA sur les grands risques, des avertissements de Bill Gates, pour ne parler que des choses très publiques et sans doute un peu convenues. Ce que l'on sait moins, c'est que, concrètement, chez nous, des « kriegsspiels » et des rapports nombreux ont été produits dans les ministères de la Santé et de l'Intérieur sur ce thème. On a même cru comprendre que, dans l'équipe même de M. Macron, le Pr Jérôme Salomon avait tiré la sonnette d'alarme pendant la campagne de 2017. Et, sans doute, on en oublie et on en ignore. Tout ce remue-méninges n'aura finalement servi à rien et on se pose la seule question qui vaille : « Si on a su, que n'a-t-on agi ? »

Car, malgré ces prévisions, ces craintes et ces pressentiments, malgré la première alerte du Sras et du H1N1 (comme on s'est bien moqué de Mme Bachelot !), les instances politiques et administratives ont commis un nombre incalculable d'erreurs de jugement et de prévision, quand bien même le Premier ministre ne souhaite « laisser personne le dire ». La face émergée de l'iceberg est bien sûr cette invraisemblable histoire de masques dans laquelle les autorités pataugent depuis des jours, la pénurie qui s'annonce de produits anesthésiants, etc. Nul doute que les commissions d'enquête à venir nous en apprendront beaucoup sur l'imprévoyance ou la lâcheté de ceux qui ont dirigé notre système de santé publique (« le meilleur du monde », nous serinait-on) dans les dernières années. On est, par exemple, confondu et révolté d'apprendre que l'administration n'avait pas recensé les respirateurs disponibles depuis… 2009, il y a onze ans, si l'on en croit l'enquête réalisée par la rédaction de TF1. Laissons aussi de côté la litanie des mensonges ou des demi-vérités proférés depuis le mois de janvier par ceux à qui nous avons délégué notre protection ou la communication hésitante, imprécise et, partant, contre-productive du président de la République et de ses porte-parole au début de la crise.

Lorsqu'on est en guerre, on ne doit pas hésiter à sanctionner les généraux qui ont failli.

Incontestablement, des sanctions doivent suivre et des têtes doivent tomber, ou au moins des responsabilités être sérieusement mises en cause, à commencer par celles des ministres des trois derniers quinquennats et, je n'hésite pas à le dire, du directeur général de la Santé, dont c'était le travail de prévoir, de conseiller et de s'opposer aux folies des ministres comptables. Que le Pr Salomon parle bien à la télé ne doit pas le dispenser de rendre des comptes, lui qui est dans le circuit décisionnaire depuis des lustres.

La paix publique dépendra de ce nettoyage, qui doit être sans arguties et sans copinage. Lorsqu'on est en guerre, on ne doit pas hésiter à sanctionner les généraux qui ont failli. Les citoyens chauffés à blanc ne se contenteront pas de mesurettes, des habituelles nominations de compensation, au Conseil d'État ou ailleurs, et de l'autosatisfaction postérieure de ceux qui ont conduit le pays pendant la crise.

Notre industrie pharmaceutique ne doit pas non plus échapper à une profonde autocritique. Les citoyens l'accusent de vénalité et de recherche à tout prix du profit, peut-être à tort. Quoi qu'il en soit, les délocalisations de la production et les luttes d'intérêts ont désarmé « l'arrière » (toujours la guerre !). Pour l'avenir, au-delà des stratégies industrielles et même de la morale, les décisions qui seront prises devront convaincre les citoyens, et de préférence rapidement. Le président de la République paraît l'avoir compris, lorsqu'il promet que rien ne sera plus comme avant. Il connaît parfaitement l'enjeu. Voyons ce qu'il fera.

Si l'arrière a failli, l'avant n'a tenu (pour le moment) que grâce à ces femmes et ces hommes qui passent en deux semaines du rang de râleur à celui de héros.

Nous, citoyens, n'échapperons pas non plus à un passage devant le miroir. Nous nous sommes laissé entraîner à ce qu'un syndicaliste appellerait « la casse » de l'hôpital public et des urgences. C'est tout juste si nous avons dressé l'oreille aux appels au secours qui nous étaient adressés. Nous avions tous dans notre entourage un ami ou un parent qui avait été soigné dans l'hôpital public et qui en était sorti émerveillé par le dévouement des soignants, l'humanité et, bien sûr, la gratuité des soins. Nous nous sommes dit parfois que les médecins qui demandaient « plus de moyens » étaient à ranger dans la catégorie habituelle des pleureurs qui ne savent que demander plus de moyens. Nous avons eu tort. Si l'arrière a failli, l'avant n'a tenu (pour le moment) que grâce à ces femmes et ces hommes qui passent en deux semaines du rang de râleur à celui de héros, cet « héroïsme des humbles », selon le mot magnifique de Robert Redeker.

Pour sortir de cette crise, pour ne pas se faire piéger de la même façon dans quelques années, pour ne pas tomber à court terme dans une crise encore plus grave (pour dire les choses simplement : pour que le pays n'explose pas, car 67 millions de personnes ont assisté au piètre spectacle offert par nos gouvernants et ont subi dans leur chair les conséquences de la crise), une vraie et sincère réflexion sur notre système de lutte contre les épidémies (il y en aura d'autres) s'impose à l'évidence. Elle ne pourra se faire sans un vrai coup de balai, le renvoi (y compris en justice) de ceux qui ont failli, sans un vrai patriotisme industriel (quitte à ce qu'il coûte un peu, et même beaucoup, aux actionnaires) et un réveil des citoyens.

*Thierry Lentz est historien et directeur de la Fondation Napoléon. 

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