29 août 2019

Epstein, option-A et option-B


Une audience générale sur l’affaire Epstein a eu lieu hier à New York, avec toutes les parties en présence, – l’accusation (les autorités de New York), les défenseurs d’Epstein, les diverses parties civiles qui se sont établies à partir de diverses personnes qui ont été victimes des activités d’Epstein, c’est-à-dire évidemment des femmes de différents âges. Les positions, répercutées par divers médias (voir notamment ZeroHedge.com) sont les suivantes, telles qu’on peut les résumer :

• Le procureur représentant les autorités légales (New York City et l’État de New York) demande de classer sans suite les poursuites contre Epstein mais précise qu’une telle décision n’entrave en rien la poursuite de l’enquête, notamment sur la possible identification de co-conspirateurs, et l’inculpations de personnes dans ce cadre. Il signale qu’actuellement, sur le plan fédéral, le FBI et d’autres juridictions continuent d’enquêter sur la mort d’Epstein et sur ses activités.

• Les avocats d’Epstein contestent la version du suicide et demandent au juge Berman, chargé de l’affaire, d’entreprendre, sous sa propre autorité, sa propre enquête sur la mort de l’accusé. Les pouvoirs du juge sont tels qu’il pourrait intervenir sur place, au MCC (Metropolitan Correctional Center), où était emprisonnés Epstein, dans sa cellule même, et qu’il pourrait ainsi ordonner sa propre enquête de police.

• Les parties civiles représentant de nombreuses plaignantes (chiffre inconnu, autour sinon plus de trente femmes) sont en général pour le maximum d’enquêtes, de poursuites, etc., pour faire toute la lumière sur les activités d’Epstein. L’un des avocat, David Boies représentant Virginia Giuffre, accusatrice et victime d’Epstein, résume le sentiment général en estimant qu’« Epstein n'a pas agi seul. Il n'aurait pas pu faire ce qu'il a fait, à une telle échelle, pendant tant d'années, sans plusieurs autres personnes-clef. Ces personnes doivent assumer leur part de responsabilité et dire ce qu’elles savent. »

• Le juge n’a pas statué sur ces diverses demandes, et précisément sur la demande de clôture du classement sans suite de l’inculpation d’Epstein, car il veut examiner toutes ces demandes à la lumière des témoignages de plusieurs personnes victimes de Epstein, entendues hier, et dont certains ont été extrêmement chargés d’émotion.

L’appréciation qu’on peut en tirer à ce point est que l’extrême complexité et l’ampleur du cas, avec le nombre considérable de parties prenantes, empêchent un étouffement de l’affaire, le système juridique US fonctionnant comme un bulldozer que rien n’arrête lorsqu’on se trouve dans cette sorte ce circonstances. Cela est encore plus compliqué par le fait que cette affaire évolue en fait dans deux dimensions, chacune d’une extrême importance dans le système de la communication, et qu’il semble extrêmement difficile, voire tout simplement impossible de les annuler toutes deux, alors qu’elles semblent promises de plus en plus à interagir l’une dans l’autre, et à dépendre l’une de l’autre, notamment (essentiellement) du point de vue capital de la communication:
D’une part, la dimension abordée jusqu’ici prioritairement, avec l’implication de personnalités politiques, voire les activités occultes d’Epstein (agent de tel ou tel service) ;
D’autre part, la dimension “féministe” (c’est-à-dire le sort fait à tant de jeunes filles, adolescentes, etc., en nombre impressionnant, sur une durée extraordinairement longue) ; c’est un point capital, lorsqu’on connaît l’importance et le poids des questions sociétales aujourd’hui.


Jusqu’ici, il a été surtout question de la première dimension, à peine de la seconde. Désormais, on sent que la seconde commence à apparaître sur le devant de la scène sans que la première ne disparaisse, notamment grâce aux bons soins du Washington Post (WaPo). A ce sujet, on a vu, notamment dans le même texte référencé, combien l’attitude du New York Times (NYT) différait du WaPo jusqu’à l’exact inverse du “Circulez y a rien à voir”. Soudain, changement d’attitude du NYT : un très-abondant article du 26 août du susdit quotidien de référence, avec nombre de témoignages des victimes d’Epstein, porte sur les frasques extraordinaires jusqu’à l’étrange et au bizarroïde, sorte de labyrinthe kafkaïen avec une touche diabolique, non seulement d’Epstein mais du non moins étrange-bizarroïde couple Epstein-Ghislaine Maxwell.

On comprend le sens de la manœuvre : le NYT, inquiet pour son influence et sa notoriété des épanchements du WaPo qui mettent en évidence sa propre et suspecte retenue dans la dimension politique, se met lui aussi à foncer. Simplement le WaPo exploite la dimension politique, disons l’option-A, on l’a vu pour des raisons peut être peu ordinaires et très-intéressantes, mais le NYT choisit l’option-B, la “dimension féministe”, c’est-à-dire sociétale : puisqu’il se trouve vulnérable, sur son aile DeepState, il se renforce sur son aile sociétale. Tout cela se comprend et fait aussi bien, bel et bien notre affaire, car les deux domaines, les deux options A et B, ne s’annulent pas mais, au contraire, cheminent côte-à-côte.

Un point de détail, qui ne l’est certainement pas dans ses prolongements possibles, dans les circonstances et en fonction des forces existantes, en fonction de l’importance du système de la communication. Dans la partie civile se trouvent plusieurs avocats représentant diverses plaignantes (le flou est complet à cet égard, sur le nombre, l’identité ou l’anonymat, etc., de ces plaignantes), dont Gloria Bloom Allred, qui se trouvait à l’audience d’hier, qui est une avocate célèbre des causes féministes militantes. Cela signifie que le lobby hyperpuissant aux USA du féminisme et des associations sociétales se rapproche d’une implication dans l’affaire Epstein, évidemment contre Epstein et pour une résolution la plus complète possible de cette affaire, pour la cause de la défense des femmes.

Si effectivement, l’on parvient à cette évolution qui montre une complète autonomie (plutôt qu’indépendance) du mouvement sociétal à cause de sa propre puissance au sein du Système, on en déduira sa remarquable évolution par rapport à, disons 2013 puisqu’un exemple précis est disponible. Cette année-là, la Gay Pridede San Francisco, – exemple emblématique de manifestation sociétale, –fut l’objet d’une polémique vigoureuse où l’on vit le sociétal le céder complètement au complexe militaro-industriel (avec adjonction du corporate power). La chose fut vigoureusement dénoncée par deux dissidents homosexuels, Glenn Greenwald et Justin Raimondo, – et elle mérite d’être rappelée :

« ...L’un ou l’autre membre de l’organisation, ou l’un ou l’autre militant, avait pris sur lui, ou sur eux s’ils sont plusieurs, d’instituer le soldat Bradley Manning comme héros (Grand Marshall) de la Parade. Manning est notoirement homosexuel [il/elle a depuis effectué l’opération transgenre pour devenir Chelsea Manning], en plus d’être le héros à l’incroyable courage qui a passé à WikiLeaks les centaines de milliers de cables confidentiels des organisations de sécurité (Pentagone, département d’État, etc.) du système de l’américanisme, principal organisme du Système. Identifié et arrêté, Manning subit depuis plus d'un an, d’une façon absolument arbitraire et même totalitaire, à l’image des pires dictatures, un traitement inhumain et cruel d’une barbarie sans précédent. (Nous disons bien “sans précédent” parce que, dans sa sophistication infâme, dans sa vindicte aveugle, dans sa haine absolue de tout ce qui n’est pas elle, dans sa volonté également absolue de déshumanisation par la torture, la pression psychologique, l’humiliation permanente, dans la durée qu’elle imprime à toutes ces pratiques, etc., la barbarie moderniste enfantée par le Système et pratiquée dans nombre d'organisations de sécurité des USA est littéralement sans précédent.) Faire de Manning le héros de la Gay Pride, c’était l’évidence même selon ce qu’on suppose que devrait être “l’esprit gay”, si la chose existe. Le 26 avril 2013, la “president of the Board of SF Pride”, Lisa L Williams, a pris la décision d’annuler presto subito cette décision.
» • On trouvera tous les détails de cette opération infâme dans une chronique absolument furieuse de Glenn Greenwald, dans le Guardian du 27 avril 2013. Greenwald dit non seulement son mépris pour cette décision, mais il rajoute les précisions selon lesquelles la Gay Pride est activement soutenue par l’élément-clef du Système dans cette analyse, le corporate power... Il s’agit d’une démonstration à couper le souffle de l’asservissement total au Système de cet événement “sociétal” qu’est l’évolution statutaire de la “communauté gay”. (Cela n’a évidemment rien à voir avec le sentiment des gay-militants, selon ce qu’il en est. C’est à eux de comprendre ce qui se passe précisément, ce qui est fait en leur nom et quel but servent d’abord la sollicitude officielle qui les entoure et les réformes fondamentales qui leur sont offertes. C'est un défi redoutable qu'ils ont à relever.)
[...]
» • Là-dessus, nous nous tournons vers Justin Raimondo, avec sa chronique d’Antiwar.com du 29 avril 2013. Justin n’allait pas rater l'événement : libertarien de la droite extrême, antiguerre et isolationniste, et... homosexuel qui se garde bien d’être militant au nom de cette seule caractéristique. Néanmoins, il faisait partie de la première Gay Pride, non autorisée, non sponsorisée, à San Francisco en 1972. A cette époque, la Gay Pride pouvait, selon Raimondo, éprouver une certaine fierté (pride) d’être, puisqu’elle s’affichait d’abord dissidente et adversaire de l’establishment, du National Security State, – bref, de ce que nous avons coutume de nommer le Système.

» ... Aujourd’hui, constate Raimondo, c’est le contraire. Le mouvement gay, c’est le Système même ; complètement récupéré, noyauté par les partisans d’Obama, devenus quasiment militariste, ce sont les supplétifs des flics du Système, sinon les flics du Système eux-mêmes. C’est Raimondo qui parle, certes, mais nous aurions vraiment beaucoup de peine à lui donner tort... »

Nous ne dirions certainement pas qu’avec ses multiples associations à but très lucratif, ses régiments d’assermentés nous chapitrant sur la liberté du monde, avec son emprise incontestable sur la haute morale de l’époque nous ne dirions pas une seconde que le “système sociétal” s’est libéré de l’emprise du Système (du CMI et ducorporate power) ; tout au contraire, nous dirons droitement qu’il s’est institutionnalisé, qu’il a acquis sa propre puissance et ses propres intérêts et sources de revenu au sein du Système, et qu’il n’est plus prêt à céder aux injonctions d’autres composants du Système.

C’est effectivement pour cette raison que l’option-B (“Epstein ennemi des femmes comme esclavagiste sexuel”) pourrait bien s’avérer aussi valable que l’option-A (“Epstein et sa troupe de personnalités politiques compromises”) . Elle ne la supprime pas ni ne la supplante, et la logique de ce brillant arrangement serait de les observer cheminant côte-à-côte pour notre plus grand plaisir et notre satisfaction esthétique d’apprécier comment le Système produit ainsi des enfants terribles qui le valent bien, chacun réclamant sa part au risque d’ébranler l’ensemble.

Il ne faut pas s’y tromper et garder bon espoir : l’affaire Epstein reste plus incandescente que jamais, avec des braises qui rougeoient, prêtes à enflammer ce qui passe à portée. Le piteux communiqué du 24 août, du Prince Edward, fils d’Elisabeth II et petit baiseur de décadence, en dit long à cet égard.

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