22 juillet 2019

Trump ne veut pas la guerre


On connaît la thèse depuis un certain temps, et toute une partie des commentateurs la soutient : malgré les apparences, les rodomontades, les menaces, Bolton, & Cie, en réalité Trump ne veut pas de conflit avec l’Iran. Il y a principalement l’argument électoral : s’il s’engage dans une guerre, Trump pourrait bien perdre l’avantage qu’on lui donne en général pour une réélection. Il y a aussi l’argument de la conviction, ou plutôt, avec Trump, l’argument “des tripes” : “intuitivement, il serait contre une guerre.

Les Iraniens, notamment, semblent croire cela, et en jouer en déployant une attitude particulièrement dure comme on l’a vu encore ces deux derniers jours avec l’arraisonnement de deux pétroliers (un relaxé), dont un d'une sociétés britannique. (Par ailleurs, riposte à la saisine d’un pétrolier transportant du brut iranien par les Britanniques.) Une autre prise de position dans ce sens (Trump ne veut pas la guerre) doit être signalée : celle de Ron Paul, l’ancien leader libertarien, trois fois candidats à la présidence (dont en 2008 et en 2012) et “vieux sage” de la politique US quand elle est plus américaine qu’américaniste. Interviewé dans le cadre de l’émission ‘Going Underground’ programmée le 20 juillet sur RT.com, Ron Paul a été catégoriquement optimiste (bien entendu, c’est un anti-interventionniste encore plus qu’un non-interventionniste, et partisan du retrait de toutes les forces et engagements US à l’étranger).

« L'administration de Trump est pleine de bellicistes qui veulent l’attaque de l’Iran, avec des gens comme le secrétaire d'État Mike Pompeo et le conseiller à la sécurité nationale John Bolton qui développent de longs et péremptoires argumentaires pour une action militaire contre Téhéran. On craint que le président ne donne le feu vert à un conflit militaire à grande échelle avec l'Iran dans l'espoir de rallier un soutien interne avant les élections de 2020 ; on rappelle qu’il avait accusé en 2013 son prédécesseur, Barack Obama, de faire le même type de calcul.
» Ron Paul, un politicien libertarien chevronné, a répondu à cela, lors de l’émission de RT ‘Going Underground’, qu’il ne croyait pas qu’un tel calcul marcherait, et que Trump le sait probablement intuitivement.
» “Bien qu’il y ait bien des points sur lesquels je critique le président, je pense sur ce point que son instinct ne le pousse pas à envisager un conflit. Je pense que s'il y avait une guerre d’ici novembre [2020], il aurait beaucoup plus de mal à gagner les élections ", a dit Ron Paul.
» “J’ai la conviction qu’un candidat partisan de la paix, lorsqu’il y en a un, a toutes les chances de gagner. Trump était déjà un candidat partisan de la paix lors de l’élection de 2016. Je suis optimiste, et je pense même qu’il est capable de chasser Bolton”. »

Pourquoi faut-il accorder de l’importance à l’avis de Ron Paul, comme nous le recommandons ? Certes, c’est un “vieux sage” de la politique aux USA quand elle parvient à se dégager de la gangue de pourriture de l’américanisme ; mais il n’est nullement assuré que la sagesse soit, aujourd’hui aux USA, la façon la plus juste de juger de la politique en cours et à venir. Par contre, il peut y avoir des occurrence certes rarissimes où, même aux USA, la sagesse peut rencontrer une situation politique selon les intérêts des acteurs (ce qui rejoint le jugement de De Gaulle dans ses Mémoires de guerre, si l’on accepte que la sagesse fait une place de choix à l’honneur et à l’honnêteté : « Tout peut, un jour arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique »).

Mais l’essentiel n’est pas là car cet argument seul nous paraîtrait assez faible avec une personne aussi étrange de notre “étrange époque” tel que Trump nous apparaît, mi-bouffon, mi-héros de la téléréalité. Il y a surtout que Ron Paul est le père de Rand Paul, sénateur républicain du Kentucky, et comme son père hostile aux intervention extérieures. Rand Paul est devenu assez proche de Trump, et les deux hommes ratent rarement leur partie de golf commune du dimanche.

• Il y a longtemps qu’on parle de Rand Paul comme d’un conseiller occulte de Trump en matière de politique extérieure. Le 13 août 2018, Justin Raimondo consacrait une de ses dernières colonnes au rôle de Rand Paul, sur lequel il rapportait ce jugement de Politico :

« Rand Paul a l’oreille et l’affection de la personne la plus importante de la Maison Blanche : le Président Donald Trump.
» Le sénateur du Kentucky et le commandant en chef ont certes connu les tensions d’être des rivaux lors de la campagne des primaires républicaines mais ils se sont depuis liés d'un plaisir commun à se moquer des experts que le président aime à tourner en dérision, y compris ceux qui travaillent dans sa propre administration. »

• ... Parmi ces derniers « experts qui travaillent dans [l’]administration » et dont se moquent Trump et Rand Paul, il y a certainement Bolton. Lorsque l’on parlait de Bolton comme secrétaire d’État, en 2016, c’était encore le temps où Rand Paul et Trump ne s’appréciaient guère et Rand Paul avait promis qu’il ferait tout pour empêcher cette nomination de Bolton, à ce poste ou à n’importe quel autre. Au printemps 2018, lorsque Bolton fut nommé, Paul ne s’est manifesté en rien, comme s’il avait “certaines garanties” ; de qui, ces “garanties” ? De son partenaire de golf, certes, Trump devenu son ami et lui promettant qu’il ne laisserait pas Bolton conduire ses délires jusqu’à leur terme.

• Et voici qu’il se trouve que le même Politico annonçait le 17 juillet que Trump avait discrètement, sinon secrètement nommé Rand Paul à la délicate fonction d’“envoyé spécial” (permanent ?) auprès de l’Iran, pour rechercher une solution négociée à la crise entre les deux pays. Peut-être cette “nomination” (?) compte-t-elle au moins pour conduire (comme première mission ?) une rencontre secrète avec le ministre iranien des affaires étrangères de passage à l’ONU (la seule portion du territoire US où il a le droit de se déplacer). Personne n’a confirmé ni démenti, ce qui tout de même une façon de replacer lourdement et sans grâce le lieu ultra-commun qu’il n’y a pas de fumée dans feu... Là-dessus, Politico termine :

« Lorsqu'on lui a dit que le président avait adoubé une personne d’en-dehors de l’administration pour tendre la main à Zarif, un fonctionnaire de l'administration Trump qui travaille sur les questions iraniennes a bien ri en remarquant : “Il nous l’a bien mis !”. »

• Mais d’une certaine façon, on dirait que, finalement, ce sont les réponses de Ron Paul à RT.com qui constituent presque la confirmation la plus sûre du rôle secret confié à son fils. Nous voulons dire par là que la certitude affichée par Ron Paul du bien-fondé de la politique de Trump ne peut venir que d’une source sûre et bien placée, parce que Ron Paul n’a certainement pas l’habitude d’avancer à la légère de telles affirmations sur un problème d’une importance si brûlante. Et quelle meilleure source pourrait-il avoir que son fils ? Les deux Paul jugeraient, peut-être avec l’accord de Trump, qu’il s’agit là du meilleur moyen de confirmer cette nouvelle orientation Trump-Paul sans sortir du bois, sans confirmer rien d’officiel, sans brûler inutilement des cartouches dans la bataille de la communication à ciel ouvert, tout en faisant savoir d’une façon doublement indirecte et sans en dire un mot, mais à qui de droit (pensons à la doublette Bolton-Pompeo, mais aussi et à l'inverse à nombre d'observateurs étrangers), quelle orientation prend désormais la politique iranienne de Trump.

Quoi qu’il en soit, et admettant que nombre de ces éléments permettent de composer une vérité-de-situation de l’administration Trump et de la “politique” de Trump, on en arrive à l’étrange situation où ce président choisit des collaborateurs directs et officiels qui lui sont en général de tendance opposée et des collaborateurs “secrets” comme compléments de ses propres humeurs, et d’une orientation similaire à ce que ses “tripes” le poussent à faire dans certains domaines de la politique étrangère. Peut-être procède-t-il de la sorte pour “désarmer” l’opposition du DeepState, mais on a déjà observé combien cette “technique” est contestable simplement au vu de l’inefficacité, du désordre, de la grossière désorganisation du susdit DeepState (après tout, le DeepStatese se trouve, comme les USA eux-mêmes, en pleine décadence, sinon en cours d’effondrement)... Et nous voilà revenus à la case-départ de la technique Trump : désordre, insaisissabilité et tout ce qui va avec.

Il faut au moins cela pour entendre Ron Paul qui, depuis des années, tonitrue contre toutes les administrations qui se succèdent, vouent aux gémonies idem les présidents les uns après les autres, se montrer aussi indulgent, sinon sûr de sa bonne orientation, avec un personnage de la trempe-de-Trump. Étrange paradoxe : Ron Paul, homme honnête, indépendant, modeste, légaliste à la mode ancienne, soutenant un pirate, faiseur de simulacres, branquignol du fric. Il faut dire que tout ce monde paradoxal se trouve dans une contrée, dans notre “étrange-époque” qui ne ressemble à rien dans ce qui précéda, dont les progressiste-sociétaux sont en train de détruire tout ce qui rappelle son passé, des statues abattues aux grands œuvres littéraires caviardées a posteriori, pour nous offrir en guise de remplacement la folie à la vitesse de la lumière qu'on éteint. Ce qui fait l’étrangeté de certains rapprochements dans cette époque de Système-vs-antiSystème, c’est l’étrangeté encore plus grande de ce que nous offre notre destin officiel, au son martial des noces de la bienpensance et du Politiquement-Correct, – un festin de roi où le Roi est nu...

Par conséquent, toutes les supputations développées sont possibles, au nez et aux moustaches de John Bolton.

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