En ce début de juillet 2019, les perspectives semblent positives pour la réélection de Donald Trump à la Présidence en novembre 2020. Les chiffres du marché boursier et du PIB semblent tous positifs… pour le moment. La grande question sans réponse est de savoir si ces indicateurs peuvent être maintenus jusqu’aux élections fatidiques. Car nous voyons déjà des signes qui sous-entendent des problèmes potentiels pour les Républicains.
Un problème majeur pour que Trump envisage de gagner un deuxième mandat en Novembre 2020 est le fait que depuis 1913, aucun président américain, ni le Congrès, ne contrôlent plus les décisions de la banque centrale, la légendaire Réserve fédérale ou Fed. Ce que peu de gens savent, c’est que la Réserve fédérale n’est pas un organisme gouvernemental, malgré le fait que le Président nomme des personnes qui agissent à titre d’administrateurs. La réalité est que la Fed est détenue en grande partie par les banques internationales et les groupes financiers qui contrôlent les flux monétaires mondiaux. Ils déterminent de manière complexe le contrôle de la création de la monnaie américaine, c’est-à-dire le cœur de l’économie.
En décembre 1913, une cabale de banquiers internationaux républicains de Wall Street, dirigée par J.P. Morgan, John D. Rockefeller, Paul Warburg et compagnie, a provoqué le coup d’État fatidique qui a vu le « Démocrate » Woodrow Wilson céder le pouvoir monétaire du gouvernement aux banquiers. Depuis lors, la Fed a déterminé le cours de l’économie de la nation indépendamment des intérêts de l’économie nationale ou des citoyens.
Le président de la Fed de New York, Benjamin Strong, en tant que chef de la plus puissante des 12 banques de réserve, a littéralement déterminé le sort des États-Unis et de l’Europe jusqu’à sa mort en 1928. Ses politiques de taux d’intérêt ont été directement responsables de la création de la bulle boursière des années 1920 et du Grand crash de Wall Street en octobre 1929. Par ricochet, cela a mené à la crise bancaire mondiale de 1931 et à la Grande dépression. À son tour, c’est la Fed d’Allan Greenspan qui a été responsable de la création de la bulle immobilière de titrisation aux États-Unis et aussi de sa destruction délibérée lors de la Grande récession de 2007-2008, facteur clé de la victoire d’Obama en 2008. Cette Fed détient le vrai pouvoir sur les bons et les mauvais moments économiques.
On peut démontrer que chaque récession ou boom, chaque soi-disant cycle économique depuis 1914 a été déterminé par la Fed. Lorsque Donald Trump est devenu président, il a sélectionné plusieurs administrateurs du Conseil des gouverneurs de la Fed, dont le président Jerome Powell à partir de février 2018, croyant visiblement que Powell poursuivrait le plan d’argent facile.
Quand Powell et la Fed ont continué la politique de Janet Yellen de remontée des taux d’intérêt et à se retirer de l’assouplissement quantitatif en vendant les actifs qu’ils avaient achetés après la crise financière de 2008, les effets ont d’abord été éclipsés par la Loi Trump sur l’impôt et d’autres facteurs qui ont stimulé à la fois le marché boursier, le dollar et l’économie. À la fin de 2018, cependant, il a commencé à devenir clair que la Fed était en voie de créer un effondrement de la bulle d’actifs post-2008 dans les actions et l’immobilier, ce qui a suscité des critiques acerbes de Donald Trump envers Jerome Powell, son propre choix comme président de la Fed.
En décembre 2018, soit près d’un an après l’arrivée au pouvoir de Powell, les marchés financiers ont semblé en chute libre, les marchés boursiers ont chuté de 30 % en six semaines, les marchés des obligations à risques ont gelé et le prix du pétrole a chuté de 40 %. À ce moment-là, à la demande d’un groupe de gens d’affaires influents, Trump a commencé à accuser Powell d’essayer de créer une nouvelle récession. En mars 2019, Powell a annoncé que la Réserve fédérale n’augmenterait probablement pas les taux d’intérêts comme on l’avait prévu en 2019, les maintenant à 2,375 % et suspendant les projets de trois ou quatre hausses de taux supplémentaires en 2019. Les marchés furent alors euphoriques.
Mais à ce moment-là, les actions antérieures de la Fed avaient déjà amorcé des changements profonds dans l’économie qui sont maintenant devenus évidents, car les décisions monétaires ont tendance à avoir un effet de décalage de six à neuf mois dans l’économie réelle. Or cela commence à inquiéter la Maison Blanche. Voici quelques indicateurs préliminaires épineux.
Fret routier et agriculture
Selon le Trucking Diffusion Index de la Bank of America pour la semaine du 21 juin, les prévisions nationales de fret routier ont atteint le niveau le plus bas depuis octobre 2016, juste avant les élections américaines. Plus alarmant encore, l’indicateur est en baisse de 29 % sur un an, la plus forte baisse enregistrée depuis sa création. Les prévisions de la demande de fret aux États-Unis sont à leur plus bas niveau depuis cinq ans. Selon les rapports, le secteur de la construction éprouve des difficultés en raison des problèmes météorologiques dans les marchés clés.
Ce que cela suggère, c’est que le volume de marchandises expédiées par camion à travers le pays montre une tendance malsaine. Pour le moment, la durée de cette tendance n’est pas définie. C’est aussi un indice de problèmes réels.
Si nous ajoutons à cela la crise qui grandit dans l’agriculture américaine, la situation devient plus sombre non seulement pour le fret routier, mais pour l’économie entière. Les précipitations record sur la ceinture agricole du Midwest ont eu jusqu’à présent un impact dévastateur sur les prévisions de récolte, bien en amont de la principale saison agricole, c’est-à-dire l’été.
En juin, le Ministère de l’agriculture a réduit son estimation de récolte de maïs, ce qui constitue un événement rare. Les agriculteurs accusent le gouvernement de minimiser la crise. De plus, l’absence de mesures par le Congrès au sujet des accords commerciaux avec le Mexique et le Canada ainsi que les restrictions imposées par la Chine aux exportations de soja américain se combinent pour créer l’une des pires crises agricoles de ces dernières années aux États-Unis. La US Farm Bureau Federation, un lobby important, a déclaré qu’un troisième plan de sauvetage d’urgence des agriculteurs serait nécessaire si les marchés d’exportation des produits agricoles américains ne sont pas bientôt rouverts. Le Farm Bureau affirme que la combinaison de la perturbation des principaux marchés d’exportation, de la faiblesse des prix au comptant, du niveau élevé des stocks, du ralentissement des perspectives économiques et du mauvais temps dans le Midwest, « pourrait aboutir à une véritable crise agricole comparable à celle des années 1980. »
Ce ne sont pas les seuls gros nuages orageux sur l’économie américaine : les ventes de maisons existantes ont diminué d’une année sur l’autre pendant 15 mois consécutifs. La hausse des taux d’intérêt est un élément dissuasif majeur dans l’achat d’une maison. En outre, l’enquête mensuelle de Philadelphie sur les perspectives économiques, qui ausculte les prévisions de commandes par les entreprises, les ventes, l’emploi et d’autres indicateurs de l’activité commerciale, a chuté de 16,6 en mai à seulement 0,3 en juin.
Tout cela n’indique pas encore une récession complète dans l’ensemble de l’économie, mais montre à quel point la timide reprise qui a suivi la débâcle de 2008 est encore vulnérable. Or, dans cette situation, la Fed de Powell n’a pas un rôle constructif.
Powell proclame l’indépendance de la Fed
Le 25 juin, le président de la Fed Powell a prononcé un discours devant le Council on Foreign Relations de New York, ce groupe de réflexion des banquiers de Wall Street créé dans le sillage de la Première Guerre mondiale, parallèlement au Chatham House britannique. Dans ses remarques Powell a souligné l’indépendance de la Fed vis-à-vis des pressions politiques à court terme :
La Fed est à l’abri des pressions politiques à court terme, c’est ce qu’on appelle souvent notre « indépendance », a-t-il rappelé. Le Congrès a choisi d’isoler la Fed de cette façon parce qu’il avait vu les dommages qui se produisent souvent lorsque la stratégie se plie aux intérêts politiques à court terme. Les banques centrales des grandes démocraties du monde jouissent d’une indépendance du même genre.
C’était une déclaration d’indépendance vis-à-vis de Trump.
La réalité, comme Donald Trump l’a souligné à plusieurs reprises dans des discours publics en mars et avril, malgré la déclaration de la Fed sur la pause des taux d’intérêt en mars, c’est que la Fed n’a pas cessé son resserrement. Par l’intermédiaire d’une politique discrète appelée resserrement quantitatif (QT, quantitive tightening), la Fed a pris des mesures pour restreindre la liquidité monétaire dans le système bancaire et l’économie. Elle a forcé les grandes banques à racheter une partie des quasi 4 000 milliards de dollars d’obligations de sociétés et d’autres actifs qu’elle avait acquis en septembre 2008 dans le but de renflouer les grandes banques et les géants financiers après la crise de Lehman Brothers.
Au début de 2018, alors qu’elle augmentait simultanément les taux d’intérêt des fonds fédéraux, la Réserve fédérale a eu un effet double sur les taux d’intérêt du marché en « vendant » quelque 50 milliards de dollars par mois de ses actifs provenant de son expérience sans précédent d’assouplissement quantitatif (QE, quantitative easing) de 2008. Le QE était une politique de facto d’impression de monnaie en achetant certaines obligations et d’autres titres, y compris les hypothèques, auprès des banques de courtiers en valeurs mobilières primaires, leur donnant d’énormes liquidités en retour. Le QT est la tentative de remettre le génie du QE dans la bouteille en inversant le processus, une expérience très dangereuse et qui n’a rien d’urgent.
En février 2019, alors que l’impact du QT de la Fed commençait à semer le trouble, la Fed a accepté de réduire son resserrement, mais seulement de 50 à 40 milliards de dollars par mois jusqu’à maintenant. Cela représente un retrait de près de 500 milliards de dollars de liquidités dans l’économie chaque année, ce qui n’est pas une mince affaire. Si une récession se déroule maintenant entre les six prochains mois et les élections de novembre 2020, elle aura été causée une fois de plus par les « dieux de l’argent » de la Fed et leurs banquiers bailleurs de fonds. Et si Trump perd sa réélection de 2020, il le devra plus à la Fed qu’à ses bizarres adversaires Démocrates.
F. William Engdahl est consultant et conférencier en risques stratégiques, diplômé en politique de l’Université de Princeton et auteur de best-sellers sur le pétrole et la géopolitique, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
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