Aujourd’hui, même fière, je commence à me dire qu’il faudrait que j’aie peur. Qu’il est de plus en plus difficile de dire d’écrire des propos qui gênent. Depuis quelques années, les coups de pression ont été nombreux, et mes camarades pourraient témoigner de toutes les fois où ils ont dû me raccompagner jusqu’à ma voiture, de peur qu’il ne m’arrive quelque chose. Ma famille pourrait raconter les soirs où je vérifiais dix fois mes pneus avant de monter dans ma voiture ou encore si la porte était bien fermée à clef. Parfois, avec mon amoureux, il nous est arrivé de nous disputer grandement parce qu’il trouvait que je prenais trop de risques, que je m’attaquais aux cons et que par définition, ils pouvaient réagir connement. Que je m’en prenais à plus puissants et qu’il fallait que je fasse gaffe. Mon avocate a parfois haussé les sourcils quand je lui racontais les menaces de mort, les pneus crevés, les cambriolages…
Mais j’ai pu poursuivre mon métier. Épaulée par de nombreuses personnes.
Ce soir, je me dis que je pourrais être Gaspard. Déjà voilà quelques semaines, on m’a reproché un article en me signifiant que si je recommençais certains de nos contrats d’ateliers d’éducation aux médias seraient suspendus sur ordre de plus puissants. Ensuite, on a appris que le nom de notre média était blacklisté dans certaines institutions publiques. Alors que nous étions invités, et que notre nom a été donné par l’organisateur d’un compte rendu, la préfecture a oublié de nous envoyer le communiqué de presse ainsi que l‘invitation…Plusieurs fois, nous avons dû négocier longuement afin de rentrer dans un tribunal pour des comparutions immédiates pourtant publiques.
Alors, oui, je pourrais être Gaspard, au point que je commence à me faire à l’idée que faire ma profession pourrait m’amener derrière les barreaux, et que je me demande s’il faut que je prépare mes enfants à cette éventualité.
Je pourrais être Gaspard, et nous pourrions tous l’être, dès lors que nous avons un discours qui ne correspond en rien à la communication actuelle d’un gouvernement qui préfère taire les violences policières, la misère, les injustices et les reculées sociales, et qui organise une réelle répression dans la peur et l’intimidation ordonnées aux forces de l’ordre.
Alors je devrais avoir peur, et vous tous aussi.
Mais nous ne céderons pas à l’angoisse.
Nous resterons conscients, et éveillés.
Et j’en appelle à un réveil collectif. Mes amis, quand un journaliste est emprisonné, privé de pouvoir se rendre où il veut, interdit de séjour sur son lieu de travail, cela s’appelle de la censure, et c’est d’une gravité sans nom pour la liberté d’expression et d’information.
Je pourrais être Gaspard, et je le dis ici, je ne suis pas une criminelle. Je suis une parole dissidente. Je n’aime pas la violence, j’ai peur du sang, je n’ai jamais mis un coup de pied, encore moins un coup de poing, j’ai dû blesser le cœur de certains, mais pour m’en protéger.
Je ne suis pas une criminelle, je suis une journaliste, et je veux continuer mon métier, comme je l’entends, en dénonçant parfois, en tendant mon micro aux sans-voix, en prenant position en toute honnêteté, et avec conviction. Être indépendante, et pouvoir écrire, raconter, filmer, dans la limite de la charte de Munich et de la loi, ce que bon me semble. Mais aujourd’hui, cette loi ne me protège plus, ni même mon statut de journaliste.
Gaspard n’est pas un criminel, il est journaliste. Je pourrais être Gaspard, et nous tous aussi.
Agissons pour la liberté de la presse, le pluralisme de l’information…Demain, il sera trop tard…
J’appelle tous mes confrères à s’organiser pour défendre notre métier… »
Eloïse Lebourg, journaliste, et co-fondatrice de Mediacoop
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