02 mai 2019

Le visage caché de l’ONU


Pendant le « Congrès sur la Globalisation, l’économie et la famille », organisé à Rome du 27 au 30 novembre 2000 par le Conseil pontifical pour la famille, vous avez exposé la conception de la globalisation selon l’ONU. Cette conception est aussi longuement analysée dans votre récent ouvrage, La face cachée de l’ONU, paru aux Éditions du Sarment/Fayard, Paris, 2001. Selon vous, cette conception tend à considérer que le monde environnant a plus de valeur que la personne. De quoi s’agit-il? Quelle est votre préoccupation?

Globalisation, Mondialisation: deux termes qui sont entrés dans le langage de tous les jours; deux concepts qui font l’objet de débats et de discussions engageant l’avenir de la société mondiale. Ces termes signifient tout d’abord que les sociétés humaines sont devenues interdépendantes: par exemple, une dévaluation du yen japonais retentit sur toute l’économie mondiale. Cela signifie aussi que les sociétés mondiales sont intégrées: les voyages et les médias apprennent aux hommes à mieux se connaître; l’information scientifique est largement divulguée et est discutée dans des forum virtuels ouverts 24 h sur 24. En principe, il faut évidemment se réjouir de cette évolution et il est clair que celle-ci appelle de nouveaux instruments pour piloter les relations internationales.

Traditionnellement, ces relations internationales s’organisent autour de deux grands modèles. D’une part, un modèle incarné aujourd’hui par les USA. Le globalisme est conçu ici à partir du projet hégémonique de la nation dominante, dont l’objectif est d’imposer une organisation du monde d’inspiration néolibérale. Ce projet est d’abord à forte connotation économique: il a pour objectif la globalisation du marché; mais il comporte évidemment aussi une volonté de régenter politiquement le monde. Il ne peut être réalisé qu’avec la connivence des nations riches. L’autre modèle est héritier de l’internationalisme socialiste et, s’il insiste sur de nécessaires réformes économiques, il met à l’avant-plan un objectif politique: limiter la souveraineté des États et mettre ceux-ci sous contrôle d’un pouvoir politique mondial. La méthode pour atteindre ce but n’est plus révolutionnaire; dans l’esprit de Gramsci, elle est réformiste.

Lorsqu’elle parle de globalisation, l’ONU incorpore les significations de ce mot, telles que nous venons de les rappeler. Mais elle profite de l’onde porteuse offerte par ce mot pour imprimer à celui-ci une signification nouvelle. La globalisation est interprétée à la lumière d’une nouvelle vision du monde et de la place de l’homme dans le monde. Cette vision « holistique » considère que le monde constitue un tout ayant plus de réalité et de valeur que les parties qui le constituent. Dans ce tout, l’apparition de l’homme n’est qu’un avatar de l’évolution de la matière.

Vous avez également exprimé de graves réserves face à la Charte de la Terre, un document de l’ONU en préparation et proche à la publication. Vous affirmez même qu’on y trouve l’influence du New Age. Quels sont les liens entre le New Age et ce texte?

Il s’agit d’un projet de document dont l’un des rédacteurs n’est autre que M. Mikhail Gorbatchev lui-même. Que souligne ce document? N’étant que le produit d’une évolution matérielle, l’homme doit se plier aux impératifs du monde environnant, de la Nature, de l’Écologie. L’influence du philosophe Thomas S. Kuhn, un des grands inspirateurs du New Age, est ici évidente, et elle est confirmée dans les livres de Marilyn Ferguson sur ce même courant. L’homme doit accepter de ne plus être le centre du monde. Selon cette lecture de la nature et de l’homme, la « loi naturelle », ce n’est plus celle qui est inscrite dans l’intelligence et dans le cœur de l’homme; c’est la loi implacable et violente que la nature impose à l’homme. Les écologistes mâtinés de New Age présentent même l’homme comme un prédateur. Et comme toutes les populations de prédateurs, la population humaine doit, dit-on, être contenue, limitée impérativement, dans les limites du développement durable.

Quel est le lien entre cette Charte de la Terre et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948?

La Déclaration universelle des Droits de l’Homme, de 1948, s’incline devant une vérité s’imposant à tous. Elle reconnaît que tous les hommes ont droit à la vie; qu’ils naissent libres et égaux en dignité; qu’ils son libres de s’associer, de se doter d’un régime politique de leur choix, de s’organiser en syndicats, de fonder une famille, d’adhérer à une religion, etc. Tous les hommes ont le droit à participer à la vie politique et à la vie économique, car tous ont quelque chose d’unique à apporter aux autres hommes. Tous les totalitarismes du XXe siècle sont nés du mépris de ces droits inaliénables. Promouvoir ces droits partout dans le monde, c’est barrer la route à des systèmes réduisant l’homme à n’être qu’un rouage de l’État, un instrument du Parti, un spécimen de telle Race. La grande originalité de cette Déclaration, c’est qu’elle entend fonder les nouvelles relations internationales sur la reconnaissance, par toutes les Nations, des droits fondamentaux de tous les hommes.

La Charte de la Terre abandonne et même combat l’anthropocentrisme judéo-chrétien et romain, renforcé par la Renaissance, qui a été porté à son point d’incandescence dans la Déclaration de 1948. Le document projeté serait non seulement appelé à coiffer la Déclaration universelle, mais, selon certains, elle devrait même supplanter le Décalogue lui-même! Excusez du peu…

Vous avez même parlé du projet de l’ONU d’instaurer progressivement un « super-gouvernement mondial » qui surclassera les corps intermédiaires, les nations, et imposera une pensée unique grâce au contrôle de l’information, de la santé, du commerce, de la politique et du droit. N’est-ce pas une image de l’avenir trop « orwellienne »?

L’argumentation « écologique » développée dans la Charte de la Terre est en réalité un artifice idéologique pour camoufler quelque chose de plus grave: nous entrons dans une nouvelle révolution culturelle. En fait, l’ONU est en train de mettre en place une conception nouvelle du droit. Cette conception est plus anglo-saxonne que latine. Les vérités fondatrices de l’ONU concernant la centralité de l’homme dans le monde sont peu à peu désactivées. Selon cette conception, aucune vérité sur l’homme ne s’impose à tous les hommes: à chacun son opinion. Les droits de l’homme ne sont plus reconnus comme des vérités; ils sont l’objet de procédures, de décisions consensuelles. Nous négocions et, au terme d’une procédure pragmatique, nous décidons, par exemple, que le respect de la vie s’impose dans tels cas mais pas dans d’autres, que telle manipulation génétique justifie le sacrifice d’embryons, que l’euthanasie doit être libéralisée, que les unions homosexuelles ont les mêmes droits que la famille, etc. De là naissent de soi-disant « nouveaux droits de l’homme », toujours renégociables au gré des intérêts de ceux qui peuvent faire prévaloir leur volonté.

Pour acclimater ces « nouveaux droits » et surtout la conception du droit qui leur est sous-jacente, deux axes d’action doivent être privilégiés. Il faut d’abord affaiblir les nations souveraines, car elles sont généralement les premières à protéger les droits inaliénables de leurs citoyens. Ensuite, dans les assemblées internationales, il faut obtenir le plus large consensus possible, en recourant s’il le faut, à la corruption, ou au chantage, ou à la menace. Une fois acquis, le consensus peut être invoqué pour faire adopter des conventions internationales, qui acquièrent force de loi dans les États qui les ont ratifiées. Ce type de globalisation, soutenu par une conception purement positiviste du droit, justifie les plus vives inquiétudes.

Le titre de votre dernier livre est « La face cachée de l’ONU »: quelle est cette face, et qui est-ce qui se cache derrière?

Dans des dossiers aussi complexes que celui de la globalisation selon l’ONU, le manque de transparence rend évidemment difficile la preuve directe et la démonstration mathématique. L’expérience récente des « affaires » confirme qu’aucune organisation n’est disposée à reconnaître qu’elle est taraudée par l’action de confréries, par la présence en son sein de « fraternelles » et de « réseaux ». Ces types de réalités existent cependant bel et bien. On les connaît non seulement par leur action, mais aussi par ce qu’en disent publiquement, par exemple à la TV, certains qui en sont membres. Évidemment, il y a toujours des gens prêts à nier les évidences avec d’autant plus d’entrain qu’ils ne savent même pas où trouver les dossiers. Mais faut-il attendre que les membres de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) défilent avec un brassard pour savoir que la DGSE existe?

En réalité, l’idéologie onusienne de la globalisation est pétrie de références libre-exaministes, agnostiques, utilitaristes et hédonistes. Si l’on analyse patiemment les réunions récentes de l’ONU, concernant des dossiers aussi divers que la santé, la population, l’environnement, l’habitat, l’économie mondiale, l’information, l’éducation –pour ne citer que ces exemples, on relève une remarquable communauté d’inspiration et une tout aussi remarquable convergence d’objectifs. Il est clair qu’à l’instigation des nations souveraines qui en sont membres, l’ONU devrait procéder à un audit interne, sans quoi elle donnera de plus en plus l’impression d’être sous influence d’une mafia technocratique . J’ai sur d’autres l’avantage d’arriver à cette conclusion après plusieurs années de recherches. Cependant, si vous me demandez si j’ai vu de mes yeux la « main invisible », je dois vous répondre que je n’en ai vu que l’ombre. Mais, dans ce cas, cela suffit.

Interview de Michel Schooyans, Professeur émérite à l’Université de Louvain
Pour Il Mattino della Domenica

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