Il a publié — alors qu’il était en prison — un livre sur son expérience en prison, intitulés Qaptif, puis à sa sortie, un autre, InQarcéré pour raconter son quotidien, mais aussi sa vérité, ce qu’il a vécu. Nous en avions déjà parlé sur Breizh-info, et cette fois-ci, nous avons interrogé Jean-Pierre Marongiu. Un homme meurtri, trahi par son pays, victime de l’agenouillement d’une partie de l’Europe occidentale devant l’argent du Qatar.
Entretien-choc. Attention, les propos tenus par Jean-Pierre Marongiu dans cette interview n’engagent que lui.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Jean-Pierre Marongiu : Je suis citoyen français. Je tiens à cette appellation, car nombreux sont ceux qui véhiculent une idée de la France s’éloignant de sa constitution et de son histoire républicaine. Je suis donc un entrepreneur français qui a toujours travaillé à l’expatriation. Je profite de cette tribune pour rectifier la légende urbaine désignant les expatriés français comme des aventuriers allant à l’étranger chercher fortune ou se soustraire au Fisc. Ce sont en fait les véritables ambassadeurs de la culture, de la technologie et de l’économie française dans le monde. Ce sont les premiers visages de la France que les étrangers voient arriver pour travailler, investir chez eux, échanger, apporter une certaine idée de la France et de sa culture.
Je suis ingénieur, arts et métiers, orienté sur les secteurs de l’énergie, gaz et pétrole. En Qualité d’expert en management, J’ai parcouru la planète pour des grandes compagnies dans ce cadre professionnel. L’Amérique, l’Europe, l’Afrique, et mon expérience au Proche-Orient, récente. J’ai été harponné par une délégation de Qatar Petroleum lors d’une conférence en management à Londres. J’ai créé ma société à Doha, dans le cadre de la Kafala
NDLR : En droit musulman, la « Kafala » désigne à l’origine une procédure d’adoption non plénière. Il s’agit d’une tutelle sans filiation. Cette adoption s’est transformée, dans certains États arabes, en un principe de parrainage dans le domaine de l’emploi. Tout travailleur étranger a l’obligation d’être « sponsorisé » par une entité locale : une entreprise, une association, ou un simple citoyen. L’autorisation du parrain est ensuite obligatoire pour quitter le pays.
Breizh-info.com : Oui c’est d’ailleurs l’objet de ma première question. En ayant votre bagage intellectuel et professionnel, connaissant les pratiques qui se font dans ces pays, les dangers, pourquoi y êtes-vous allé ? Pourquoi vous être vendu au Qatar finalement ?
Jean-Pierre Marongiu : C’est une excellente question à laquelle je répondrai sans langue de bois. Au départ, je pensais m’installer aux Émirats, à Dubaï. Mais à l’époque, il y a dix ans, le Qatar était présenté comme l’Eldorado, le pays d’une modernité extrême, et qui avait une image positive par les médias. En comparaison de l’Arabie saoudite présentée comme un pays obscurantiste.
La décision de m’installer au Qatar — décrite dans mon premier roman écrit en prison et dicté clandestinement. a été prise sur des critères professionnels. La délégation de Qatar Pétroleum, me proposait de créer à Doha un centre de formation aux métiers du management, le projet m’enthousiasmait.
Le Qatar a besoin d’expertise dans tous les secteurs, et propose des ponts d’or à tous ceux qui veulent venir s’installer. J’avais développé un système de management innovant où l’expérience et la compétence individuelle s’inscrivent dans un cadre établi préservant les intérêts de la société et de l’individu. Je souhaitais mettre en pratique mes théories sur ce nouveau modèle management là bas, c’est ce qu’ils m’ont proposé de faire et ce qui m’a poussé à y aller.
Aujourd’hui, vous dites que l’on connait les dangers. Mais on les connait parce que j’y suis allé, parce que d’autres avant moi y ont vécu, et surtout parce que les médias et les politiques ont commencé à lever le voile sur ce qu’est le Qatar.
Breizh-info.com : Pouvez-vous nous expliquer le principe du montage d’entreprise au Qatar ? Est-ce que cela n’est pas déjà censé mettre la puce à l’oreille sur « l’arnaque » de ce pays ?
Jean-Pierre Marongiu : Quand j’arrive au Qatar en exigeant d’investir moi-même pour être indépendant, je passe par le ministère du commerce où on m’explique les règles officielles de la Kafala. Je tique. J’interroge ceux qui m’ont attiré ici, dont un représentant de la famille royale, qui m’explique qu’il ne faut pas s’inquiéter, que c’est la procédure habituelle (51 % pour le partenaire local obligatoire, 49 % pour le partenaire étranger), mais que l’on va signer un side agreement chez un avocat. Un accord très clair : j’étais propriétaire à 90 % des parts de ma société, et 10 % au sponsor local. Je me sentais rassuré par ce document, et on m’a toujours dit de présenter ce document à la justice civile en cas de problème, document enregistré en présence d’officiels.
Breizh-info.com : Je ne vais pas raconter toute l’histoire pour que le lecteur la découvre dans votre livre. Mais ce qui est choquant, c’est la trahison de la France vous concernant. Le silence de François Hollande lorsqu’il se déplace au Qatar concernant votre sort. Puis l’épisode à l’ambassade de France au Bahreïn. On est estomaqué en lisant ce que vous décrivez…
Jean-Pierre Marongiu : Dans mon livre Qaptif, je raconte cet épisode. J’erre dans les rues de Doha depuis 8 mois, les comptes bancaires ont été vidés par le sponsor, je suis prisonnier à ciel ouvert de facto dans ce pays et mon arrestation est imminente. Ayant fait le tour de toutes les possibilités au Qatar, je réalise que ne peux pas m’en sortir de façon légale. Aucun avocat qatarien n’a le droit de plaider mon dossier. Franck Berton, avocat de France venu au Qatar pour bousculer la diplomatie française, me dit que ce n’est pas possible de faire quoi que ce soit, hormis de la communication.
Je décide de quitter le Qatar par mes propres moyens, en Kayak. J’informe la consule de France, et lui demande de prévenir le consul à Barhein. Je prends la mer une nuit de Ramadan, profitant de l’heure de la prière pour m’évader en toute discrétion. J’arrive au Bahreïn après des aventures marines terribles. Je me présente à l’ambassade de France, où le consul de France me reçoit. Il est ennuyé, mais me dit qu’il va faire en sorte de me faire sortir. Je lui demande une lettre de sortie du territoire, ou un passeport (qu’on m’avait confisqué au Qatar). Il m’explique vouloir m’accompagner à l’aéroport, à l’immigration, et indiquer aux douaniers que je suis un naufragé Français à Bahreïn et qu’il faut me laisser passer.
Dix minutes avant l’embarquement, je reçois un coup de fil du consul qui me dit avoir réfléchi avec l’ambassadeur qu’il faut aller à l’office de l’immigration, leur expliquer que je suis en situation illégale au Bahreïn, que je vais être mis en retenue quelque temps, et que le consul viendrait le lendemain me libérer grâce à un courrier avalisé par le ministère des Affaires étrangères. Tout cela pour ne froisser aucune diplomatie. J’accepte. On m’installe dans une salle d’attente, je dors. Le matin, au lieu de voir arriver le consul de France, je vois les gardes côtes du Qatar arriver, qui me saisissent, qui me ramènent dans leur pays, qui m’emprisonnent.
Qaptif se termine par une lettre à François Hollande lui demandant d’intervenir auprès de l’émir du Qatar, chose qu’il s’est empressé de ne pas faire, comme à son habitude ;
Breizh-info.com : Mais qu’est-ce qui explique que la France, puissance mondiale, membre du conseil de sécurité de l’ONU, laisse faire, vis-à-vis d’un pays insignifiant, pouvant être rasé d’un claquement de doigt de la surface de la Terre ?
Jean-Pierre Marongiu : Oui, aussi bien par l’Arabie saoudite que par l’Iran. À un moment donné ou un autre, ça va se produire d’ailleurs. Mais pour vous répondre, deux choses :
La position du Qatar au Moyen-Orient, à ce moment-là, car ça évolue vite. L’Arabie saoudite est américaine, l’Iran est russe. La guerre d’Irak s’est mal terminée pour les intérêts français. Son seul pied pouvant être posé dans la région est au Qatar, qui a par ailleurs favorisé l’élection de Nicolas Sarkozy en le subventionnant à des hauteurs inimaginables. Il était au Qatar pour signer des accords militaires en tant que ministre de l’Intérieur, ce qu’il n’avait pas à faire. Il a reçu des garanties. Il a d’ailleurs, dès qu’il a été élu président de la République, fait accélérer la défiscalisation des compagnies dans lesquelles le Qatar avait des parts et des intérêts, afin que l’investissement qatari soit protégé de façon outrancière.
Des accords stratégiques et militaires également. La France vend des armes, c’est un des plus grands vendeurs d’armes de la planète. Qui les achète ? Des pays en guerre, et des factions terroristes. Mais on ne peut pas vendre directement à ces factions, donc on les vend à des revendeurs et le Qatar est en première ligne de ces derniers. L’histoire des Rafales, qui a duré des années, est emblématique. Une histoire dans lequel j’ai eu un rôle pour faire baisser les prix. Le Qatar a expliqué avoir sous la main un citoyen français, que la France l’a vendu au Qatar lors de la trahison de Bahreïn, donc qu’ils devaient répondre à leurs exigences tarifaires si la France ne voulait pas que cette histoire se diffuse trop…
Enfin, une corruption généralisée. J’étais président de l’Union des Français à l’étranger. J’ai vu passer dans mon bureau et dans les salons de l’ambassade tout ce qui se fait d’hommes politiques, et autres (philosophes, écrivains, journalistes). Tout le monde a bénéficié des largesses du Qatar à des niveaux incroyables et plus personne ne peut émettre la moindre critique envers cet émirat corrupteur.
Aujourd’hui, avec tout ce qui sort sur le Qatar, avec le blocus auquel le Qatar est soumis, sa position sur l’échiquier diplomatique est devenue instable. L’image d’Al Jazeera commence à se fissurer. Pour toutes ces raisons les langues se délient, mais c’est récent.
Breizh-info.com : Vous dites qu’on commence à en parler, néanmoins, le Qatar est implanté fortement en France et en Europe, en terme économique, comme en termes d’influence sur la population (le football, le PSG…)..Le Qatar semble donc avoir plus qu’un pied chez nous et nous tenir…
Jean-Pierre Marongiu : Nous ne sommes pas naïfs, en France, pas du tout. Quand on vend des hôtels particuliers, 70 % des immeubles des champs Élysée, des musées, on vend de la pierre qui ne quittera pas le pays. Quand on ouvre des comptes en banque aux gens du Qatar, cet argent peut être bloqué à tout moment. C’est arrivé à Saddam Hussein, à Kadaffi, aux investissements immobiliers japonais à un moment donné. Tout cela c’est de l’argent qu’on a fait rentrer, et on ne donne rien en contrepartie. Les champs Élysée ne se retrouveront pas à Doha demain. Il n y a aucune naïveté, simplement de la malhonnêteté.
Ayant le Qatar devenir actionnaire de sociétés françaises, on avalise toutefois une situation où des emplois français sont payés par des Qataris.
Le réel danger pour notre culture et notre sécurité ce sont les investissements du Qatar dans des mosquées salafistes notamment, C’est beaucoup plus grave que le rachat d’enseigne de luxe. En faisant cela, ils prennent en otage les banlieues françaises. Et financent une France potentiellement insurrectionnelle.
Breizh-info.com : Par rapport à votre expérience personnelle, depuis que vous êtes rentrés, avez-vous vu des signes de changement, politiquement, médiatiquement, pour que votre cas puisse ne plus se reproduire au Qatar ?
Jean-Pierre Marongiu : Le Qatar se bat encore pour tenter de minimiser ma voix. Exemple : Emmanuel Razavi (GlobalGeonwes) a reçu avant hier des coups de téléphone lui demandant, moyennant argent, de cesser de relayer le dossier Marongiu. Il y a encore des pressions qui se font. La Kafala est toujours en vigueur au Qatar. Ma situation est précaire, je n’ai pas de revenu stable depuis que je suis rentré.
Aucun membre du gouvernement ne m’a appelé, ne serait-ce que pour débriefer. Je ne vois aucun changement. Aujourd’hui encore, quelques recommandations, sur les sites gouvernementaux, incitent encore les Français à aller travailler au Qatar.
La seule bonne nouvelle, c’est que je n’ai pas eu un seul contradicteur.
Breizh-info.com : Avez-vous eu des menaces, de la part du Qatar ?
Jean-Pierre Marongiu : Pas encore. Je reçois des coups de téléphone sans personne au bout. Un article sur un blog de Libération écrit par Romain Caillet (qui a fait l’objet d’une Fiche S en raison de sympathies anciennes avec des islamistes) qui se définit comme « islamologue », je ne sais pas ce que ça signifie, explique que mon livre est un roman de gare, qu’il ne faut pas croire tout ce qui est écrit à l’intérieur. Je revendique l’appellation roman de gare, je souhaite même qu’il soit vendu dans les aéroports afin de dissuader les voyageur de se rendre dans cette dictature islamiste, mais tout ce que je décris est l’exacte vérité.
Mais hormis cela, pas de menace, pas d’attaque. Aucun homme politique ne s’est indigné lorsque j’ai dit que la plupart étaient revenus avec des valises pleines. Cela ne bouge pas.
Breizh-info.com : Avez-vous lu le livre Qatar Papers, qui rejoint le vôtre dans la dénonciation du Qatar ?
Jean-Pierre Marongiu : Mon épouse a rencontré M. Chesnot et M. Malbrunot sur un plateau télé. J’ai lu des extraits de leur livre. Oui, cela corrobore complètement. Mais eux font du journalisme, moi du témoignage. Ils possèdent de nombreuses informations qu’ils n’ont pas décrites, ils ne peuvent pas les sortir comme ça, sans preuve, sans évidence, pour ne pas être attaqués. Moi je raconte ce que j’ai vécu. Ce sont les témoignages que j’ai enregistrés, y compris de membres emprisonnés de la famille royale du Qatar. Je n’ai pas les mêmes soucis qu’eux.
L’un d’eux, travaille par ailleurs pour des organismes dont l’actionnaire majoritaire fait beaucoup d’affaires avec le Qatar, on peut donc supposer que certaines informations qu’ils ont ne peuvent pas être publiées.
Breizh-info.com : Pour vous, comment faut-il traiter la question du Qatar, intérieurement en France, et sur place au Proche-Orient, dans les années à venir ?
Jean-Pierre Marongiu : La totalité du Moyen-Orient vit en plein Moyen âge, et nous, dans une époque moderne. On ne peut pas discuter avec eux comme nous discuterions avec des Anglais ou des Américains. La démocratie est un concept qu’ils n’ont pas intégré. Il leur faudra sans doute 400 ans pour que cela vienne. Il faut arrêter de leur cirer les babouches. Ils ont besoin de nous. Ils ont du gaz et du pétrole, qui se vend aux nations occidentales, même si avec l’émergence de la Chine, on a moins de pression sur eux.
Mais leurs prêts bancaires sont faits aux USA ou en Europe. Ils sont dépendants de nous, ils le savent. Je ne comprends pas pourquoi nous nous mettons en retrait et les laissons faire. Prendre de la distance, politique, diplomatique. Arrêter de diffuser et de distribuer des Légions d’honneur à des gens qui ne le méritent pas.
Aujourd’hui, attirer des investissements de dictature ne nous permettra pas d’avancer sur le long terme. Ce que je reproche aux politiques, qui savent pertinemment tout cela, ce n’est pas de l’incompétence, c’est de la malhonnêteté.
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