La réforme des retraites en Russie – Une idée personnelle de Poutine
La période où l’on voyait la majorité des Russes faire l’éloge du président Poutine et de sa capacité à écouter les gens du bas est bel et bien révolue. La décision du gouvernement russe de monter l’âge du départ à la retraite pour les Russes, et l’approbation éclair de la loi qui instaurait cette réforme ont démontré que Vladimir Poutine écoutait davantage les intérêts des grands patrons, au préjudice de la population.
Poutine dit qu’il aurait fallu monter l’âge du départ à la retraite de toute façon, dans cinq ou sept ans. Mais il ne convainc pas, parce que cela apparaît comme une longue durée, au cours de laquelle on aurait pu essayer d’inverser cette tendance négative. Des propositions intéressantes avaient été faites dans ce sens, il s’agissait de redistribuer les revenus du grand capital et d’introduire un régime d’imposition progressif.
Prenons un exemple : le taux de rentabilité des prix des carburants dans l’industrie pétrolière russe s’élève à 40%. C’est très élevé. En comparaison, la profitabilité de l’industrie minière aux États-Unis n’est que de 10%. Le taux de profit moyen en Russie s’établit entre huit et dix pourcents. Pour faire court, les sociétés pétrolières russes reçoivent des rentes monopolistiques très élevées, dont la part du lion provient des redevances en ressources énergétiques. C’est l’État qui devrait toucher ces bénéfices pour les affecter aux besoins de la population.
Poutine a refusé de prendre cette voie. Il s’est appuyé sur l’indifférence de nombreux retraités en Russie, que cette réforme ne touchera pas : ils continueront de toucher leurs retraites. Et la majorité des jeunes Russes ne s’intéressent pas au sujet ; il est trop tôt pour eux pour s’en préoccuper. La décision de monter l’âge du départ en retraite en Russie n’a pas seulement porté un coup matériel au pays (les gens vont perdre 82.2 milliards de roubles de revenu au cours de la première année d’application du programme), mais également un coup psychologique.
Poutine a dit non à la nostalgie du socialisme
Un sondage récemment conduit par le Levada Center a montré que le nombre de nostalgiques de l’URSS a fortement augmenté (66%, contre 58% en 2017). Même si ce sont surtout les plus de 55 ans qui ont des sentiments chaleureux pour l’URSS, on mesure une augmentation du même sentiment dans le groupe d’âge des 18-24 ans – c’est à dire ceux qui sont nés après l’effondrement de l’URSS. Cette tendance semble indiquer que les jeunes traduisent ainsi la position de leurs parents, et que ce sujet est abordé au sein des familles. Plus important, cela dépasse la simple nostalgie du passé : il s’agit plutôt d’un mécontentement de la situation actuelle en Russie, un défaut d’État providence, de justice et de stabilité.
Il est notable que cette croissance d’un sentiment pro-soviétique en Russie se produise dans le contexte de la chute de popularité des autorités à un niveau « pré-Crimée ».
Poutine, en déclarant qu’il n’y avait pas de retour au socialisme, a laissé planer le doute quant à sa pensée. Mais en termes de relations publiques, c’est un désastre : pour la plupart des Russes, le socialisme est équivalent à la justice sociale.
Pourquoi Poutine ne se montre-t-il pas honnête avec le peuple ?
Nombreux en Russie pensent que leur président n’est plus honnête avec eux. Au cours d’une séance récente de questions-réponses avec des journalistes, ce 20 décembre, Poutine a déclaré que les salaires réels en Russie croissaient de 6.9% sur une toile de fond d’inflation à 4%. Il a poursuivi en ajoutant que le taux de chômage en Russie avait décru jusque 4.8%, et que le niveau d’une retraite moyenne s’établissait à 14.163 roubles.
Faut-il préciser que ces nombres sont sans aucun rapport avec la réalité ? Le revenu réel des Russes n’a notoirement pas progressé depuis 2014. Selon le rapport de novembre [2018] de l’agence des statistiques russes, le revenu réel en Russie a diminué de 2.9% par an. Les chances dont donc nulles de le voir croître brutalement d’ici à la fin de l’année. Le salaire moyen de 41.774 roubles, auquel le gouvernement russe fait référence comme preuve d’efficacité de ses orientations, ne fait qu’afficher la forte stratification sociale, la moitié des Russes gagnant moins de 26.300 roubles par mois. Et ce revenu est à peine suffisant pour payer les factures, acheter de quoi manger et élever des enfants.
Pourquoi Poutine ne peut-il pas dire à ses concitoyens que la chute du revenu réel constitue le prix à payer pour la Crimée ? Les sanctions internationales et la baisse des prix du pétrole ont durement frappé les recettes budgétaires, les investissements et la stabilité du rouble. Pourquoi Poutine ne peut-il pas dire à son peuple que la Russie a mis de côté de l’or et des réserves de change, en vue de survivre à de nouvelles sanctions ? Pourquoi n’admet-il pas publiquement que le gouvernement a été obligé de faire passer la TVA de 18% à 20%, face au total manque de perspective d’investissements extérieurs ou intérieurs ? Si Poutine pouvait expliquer aux gens que nous ne pouvons pas brader notre souveraineté pour « des saucisses et du fromage », la majorité des Russes aurait une autre attitude face à l’adversité.
Mais pendant ce temps, les Russes voient bien que les oligarques continuent d’entasser des richesses. Quelques-uns d’entre eux ont perdu quelques milliards par suite des sanctions et des fluctuations boursières, mais ils n’ont pas perdu leurs privilèges, ni la possibilité de se faire soigner par les meilleurs médecins ni d’envoyer leurs enfants dans les meilleures écoles de Londres.
Qu’est-ce qui attend les Russes en 2019?
Le président a déclaré que la situation provoquait des changements dans la manière dont pensent nombre de Russes. C’est sans doute vrai, mais les gens ne voient aucune garantie de stabilisation de leurs revenus, ou de préservation des acquis sociaux. Ils voient monter l’injustice sociale, et la malhonnêteté des autorités. 2019 sera-t-elle l’année d’une nouvelle révolution en Russie ? Cela peut se produire, car les prix de l’essence ne font que monter, et le gouvernement remonte déjà au créneau avec une nouvelle réforme visant à doubler, tripler ou même quadrupler les prix des collectes d’ordures.
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