23 janvier 2019

Flicage généralisé : Fin de l’anonymat sur le Web, les limites du projet de Macron


Pour le deuxième acte du grand débat national, qui se tenait ce 18 janvier au Palais des congrès de Souillac (Lot), Emmanuel Macron s'est exprimé au sujet de "l'hygiène démocratique du statut de l'information". Afin de lui redonner ses lettres de noblesse, le président de la République a estimé qu'il s'agissait d'aller "vers une levée progressive de toute forme d'anonymat", en faisant mention de "processus où on sait distinguer le vrai du faux et où on doit savoir d’où les gens parlent et pourquoi ils disent les choses".

Si le chef de l'Etat s'est montré évasif à propos desdits processus, ses propos font écho à un discours prononcé en novembre dernier. A l'annonce de l'appel de Paris pour la confiance et la cybersécurité dans le cyberespace, Emmanuel Macron avait pointé du doigt un "anonymat devenu problématique", qui laissait impunis des "torrents de haine déversés en ligne".
 
Des documents d'identité pour se connecter

Concrètement, mettre en place des initiatives pour dissiper l'anonymat en ligne est envisageable. Il est techniquement possible de soumettre une inscription sur un réseau social, Facebook en tête, à la fourniture d'une pièce d'identité. Une proposition en ce sens avait d'ailleurs été formulée par Eric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes, en août 2016, pour mieux lutter contre le terrorisme.

Cela balaie d'un revers de main l'efficacité et la nature même des VPN, ces "réseaux privés virtuels" qui favorisent l'anonymat en ligne et générant des adresses IP factices. Ces logiciels deviennent inutiles dès lors que des identifiants correspondant à une identité réelle, et associés à une pièce d'identité, sont réclamés pour se connecter à un réseau.

"Ce genre d'obligations - si elles passaient par la loi - seraient impossibles à respecter pour les petits acteurs et risqueraient fort de renforcer davantage les grandes plateformes américaines", explique Félix Tréguer, de la Quadrature du Net, une association de défense des libertés en ligne. "Emmanuel Macron oublie que l'anonymat constitue un droit associé à la liberté d'expression et de communication et au droit à la vie privée. Il est reconnu comme tel au niveau international, notamment par la Cour européenne des droits de l'Homme", complète-t-il.
Haro sur le chiffrement

Par le passé, Emmanuel Macron a déjà dérogé à son rôle de "candidat du numérique" pour faire valoir une approche sécuritaire au sujet d'Internet. En avril 2017, le candidat à l'élection présidentielle avait indiqué vouloir forcer les "messageries instantanées fortement cryptées" à collaborer avec la justice, dans le cadre de la lutte antiterroriste. Il leur reprochait leur refus, dans le cadre d'une enquête, de donner accès aux contenus échangés, à même de comprendre des éléments déterminants. Au point d'envisager, qu'un jour, elles soient considérées comme des "complices d'attentats".

En s'attaquant à l'anonymat, Emmanuel Macron franchit une étape supplémentaire. "Cette question de "levée progressive de toute forme d'anonymat" est en filigrane un aveu de faiblesse face à la défaillance d'éducation des citoyens d'une part, et l'incapacité ou l'ignorance en matière d'investigation, d'une autre", souligne Rayna Stamboliyska, experte en sécurité des données personnelles et auteure de La face cachée d'Internet. "A défaut d'harmoniser les interactions avec les plateformes, pour ne citer que cet exemple, on renvoie la responsabilité sur le citoyen. C'est ce glissement-là qui est problématique et qu'il faut expliquer, expliciter et combattre".

Surtout, Emmanuel Macron semble prôner une position non seulement partagée par Eric Ciotti, mais également mise en avant par ses prédécesseurs François Hollande et Nicolas Sarkozy. "La méfiance envers la parole critique ou irrévérencieuse qui se déploie sur Internet est largement partagée par les élites politiques", rappelle Félix Tréguer. Pourtant, et malgré la défiance qu'il peut inspirer, l'anonymat a son lot de bienfaits, avance le chercheur post-doctorant à l'ISCC (CNRS). "Il conviendrait de combattre la vindicte dont il fait l'objet en rappelant qu'il permet aussi de lutter contre les formes de harcèlement en masquant l'identité de cibles potentielles. Il libère la parole de groupes marginalisés qui sans l'anonymat ou le pseudonymat seraient enclins à s'autocensurer. De ce point de vue, mettre fin à l'anonymat serait donc contre-productif, en plus d'être attentatoire aux libertés publiques." 

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