Par ailleurs, on pourrait tout aussi bien considérer que la “multitude de réponses” qu’elle pourrait susciter ne rend pas cette question si stupide qu’il n’y paraît. De stupide, elle devient énigmatique, selon ce point de vue, et permet les hypothèses les plus étonnantes, les plus audacieuses, les plus exotiques... Eh bien, nous allons nous attarder à l’une d’entre elles qui, considérant l’actuel niveau intellectuel et d’originalité de la pensée de l’establishment diplomatique parisien (français, par ailleurs), ainsi que l’intense liberté dont il jouit, nous paraît tout à fait acceptable et extrêmement amusante en même temps qu’instructive à examiner. Cette hypothèse a commencé à se répandre à Washington après que Macron ait déclaré au tandem Bourdin-Plenel ébahi et ébloui qu’il avait récemment plusieurs fois téléphoné au président Trump pour, disons pour employer un mot leste qui rend l’esprit de la chose, lui “donner ses instructions” sur quelques points fondamentaux de la politique extérieure. Des articles ont été écrits à Washington où, pour la première fois depuis longtemps, la France en était le sujet central.
On donne cet extrait de l’un de ceux articles et l’on vous défie d’en extraire la phrase la plus importante pour notre propos (article de Yasmine Sehan, dans The Atlantic le 18 avril 2018) : « Il est inhabituel d’entendre une affirmation selon laquelle la politique de guerre des États-Unis est en train de se faire en France. Mais encore une fois, la relation de Macron et Trump l’est aussi[inhabituelle]. En dépit d'être diamétralement opposés sur un certain nombre de fronts politiques, les deux dirigeants ont réussi à forger quelque chose d’une amitié au cours de la dernière année. Au lendemain de la dernière attaque présumée contre les armes chimiques en Syrie, c'est Macron qui était au téléphone avec Trump coordonnant “une réponse forte et conjointe” à ce qu'ils considéraient tous les deux comme un crime inacceptable de la part d'Assad. Moins d'une semaine plus tard, les États-Unis et la France ont ordonné des frappes militaires contre trois cibles gouvernementales syriennes, dont un centre de recherche et deux entrepôts d'armes chimiques (le Royaume-Uni, dont le premier ministre Theresa May discuta de l’opération avec Trump deux jours après Macron, a également participé à l’attaque). »
Réponse : la phrase la plus importante est la dernière... Elle est entre parenthèse, vraiment comme un détail oublié et qu’il faut bien rajouter, et, soulignée par l’emploi du caractère gras, elle indique une chronologie extrêmement significative : (le Royaume-Uni, dont le premier ministre Theresa May discuta de l’opération avec Trump deux jours après Macron, a également participé à l’attaque). Ainsi tout se passe-t-il comme si, pour cette attaque, le principal interlocuteur, disons l’auxiliaire sine qua non, était le Français et non le Britt...
Quel changement, par exemple avec, cinq ans auparavant, la crise d’août-septembre 2013. Un de nos textes le rappelait récemment : c’est le vote négatif des Communes à Londres pour une participation britannique qui convainquit Obama de laisser tomber l’attaque contre la Syrie. Les Français, sous le commandement de Hollande, Murat postmoderne et sabre au clair, piaffait d’impatience et son désarroi fut immense de s’en voir refuser la possibilité d’en user contre l’im-monde Assad, le “capo di tutti capi” ayant décidé autrement. En ce temps-là, les Britts menaient encore la valse-musette des auxiliaires. Aujourd’hui, on les informe “pour info”, en queue de paragraphe et entre parenthèses. La France de Macron a retrouvé toute sa gloire de valet de pied de première catégorie.
Certains jugent que le président français va à Washington pour celer une nouvelle étape de cette alliance étrange, ce ces special relationships postmodernes. Le compte de la Syrie étant réglé, à la mode de Grande-Bretagne, passons à l’Iran. C’est la thèse d’un journaliste et auteur algérien, Akram Belkaid, ici interviewé par Ben Norton, de TheRealNews.com, le 17 avril 2018, et il nous promet que cela ne sera pas facile du tout...
Ben Norton : « Et pouvez-vous également parler du récent appel téléphonique de Macron avec Trump? C'est-à-dire, dimanche, le 15 avril, Macron s'est attribué le mérite d'avoir convaincu Trump de laisser des troupes américaines en Syrie. Vous savez, comme je l'ai mentionné, il était peu probable que les États-Unis retirent leurs troupes. Les États-Unis ont au moins dix bases militaires dans le nord de la Syrie, avec au moins 2000 soldats. Alors pourquoi pensez-vous que Macron veut s'attribuer le crédit politique de la chose ? Selon vous, quelles sont ses motivations pour essayer de garder les troupes américaines en Syrie ? »
Akram Belkaid : « Je ne sais pas, je ne sais pas si c'est vrai. Je veux dire, je ne sais pas s'il a convaincu M. Trump de le faire. Je veux dire, mais c'est clairement une communication politique, et cette communication politique s'adresse au public français, à l'opinion publique française. Parce que vous devez savoir que, en France, nous sommes confrontés à une agitation sociale importante. Nous avons des manifestations, nous avons des grèves, nous avons des gens qui critiquent clairement la politique de M. Macron, la politique sociale. Ses réformes sont critiquées. Son taux d'approbation n'est pas si élevé qu'il l'était le mois dernier. Il est clair que M. Macron fait la même chose que François Hollande avant, ou même Nicolas Sarkozy, utilisant les affaires internationales, utilisant la géopolitique internationale pour apparaître aussi fort, comme étant un président fort, comme ayant une grande influence sur les affaires du monde.
Et c'est pourquoi, je suppose, Macron prétend qu'il a convaincu Donald Trump de ne pas se retirer, de retirer les troupes américaines de Syrie. Parce que vous savez, cela donne une certaine crédibilité à Macron, comme si la France était encore une grande puissance et que la France avait encore une grande influence dans le monde. C'est l'une des raisons, je suppose, pour lesquelles nous avions ce genre de détails sur l'appel téléphonique entre M. Macron et M. Trump. »
Ben Norton : « Et peut-on parler plus généralement de la position de la France sur la guerre en Syrie, et plus particulièrement sur l'Iran ? La semaine dernière, Mohammed bin Salman, le prince héritier saoudien et le dirigeant de facto, a rendu visite à Emmanuel Macron. Ils ont eu plusieurs réunions. Ils ont signé des milliards de dollars en accords commerciaux. Et spécifiquement, l'une des choses qu'ils ont déterminées, c’est la collaboration française et saoudienne afin d’affaiblir l’Iran dans la région. Pourquoi la France prend-elle une position aussi agressive contre l'Iran ? Vous savez, il y a clairement une longue histoire de relations entre les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, qui s’allient au Moyen-Orient, en particulier sur la question de l'Iran. Mais il me semble que la France aurait des intérêts économiques et politiques différents de ceux des États-Unis. Pourquoi Macron adopte-t-il une attitude aussi agressive contre Téhéran ? »
Akram Belkaid : « Eh bien, vous devez savoir que nous sommes confrontés en ce moment à deux forces contradictoires à l'intérieur de la vie politique en France. Je veux dire, au cours des dernières années, il y avait beaucoup de fonctionnaires [et de dirigeants], parmi lesquels le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, et même François Hollande, ils étaient contre l'accord nucléaire avec l'Iran. Ils avaient clairement une position très dure contre l'Iran.
» Bien sûr, quand Macron a été élu, il semblait que la France soutiendrait cet accord et qu’il essaierait de protéger cet accord nucléaire. Aujourd’hui, il nous semble que Macron n'est pas aussi catégorique à propos d’une position équilibrée entre la position américaine contre l'Iran, la position israélienne contre l'Iran, alorsque le rôle traditionnel de la France dans la région a toujours été équilibré. Je veux dire, même quand il y avait des problèmes très importants entre Washington et Téhéran, la France, dans les années 80, dans les années 90, a toujours essayé de jouer un rôle équilibré entre les deux parties. Aujourd’hui, nous pouvons comprendre que peut-être quelque chose est en train d’être préparé dans la région. Peut-être que la France a décidé que l’Iran est la cible à frapper et qu’il faut soutenir ce que l’Arabie Saoudite veut, ce que l'administration Trump veut peut-être, ce que veut le gouvernement Netanyahu, c’est-à-dire une action contre l'Iran.
» Et il faut savoir aussi que la position française, et aussi le fait que la France a participé à l'action militaire contre la Syrie la semaine dernière, est clairement et profondément critiquée dans le pays en ce moment. Je veux dire qu’il n’y pas un accord national sur ce qui s'est passé en Syrie la semaine dernière. Beaucoup de gens accusent Macron de jouer le rôle de la force supplétive des États-Unis, d’essayer d'être un vassal, une sorte de vassal de Donald Trump. Même des gens qui sont contre le régime de Mr. Assad sont convaincus que ce n'est pas une solution de participer à une action illégale. Et nous avons toujours, nous assistons maintenant à une sorte de jeu de poker où la guerre en Syrie, ce qui se passe en Syrie, nous pouvons dire que c'est fini. La prochaine étape est ce qui va se passer avec l'Iran, et peut-être avec le Hezbollah. Sans cela, la France aurait joué le rôle d'essayer de faire respecter la paix et de ne pas permettre que la situation soit plus compliquée qu'elle ne l'est actuellement.
» Nous devons aussi voir que, bien sûr, il y a d'énormes intérêts à faire des affaires avec l'Arabie Saoudite, mais dans le même temps la communauté des affaires est vraiment intéressée par l'Iran. Et de toutes les façons, nous voyons clairement que l'Iran est aujourd'hui un marché très important pour le monde des affaires français, et ils essaient de convaincre le gouvernement français de lever les sanctions et d'appliquer l'accord de 2015.
» Et ceci, c'est une chose avec laquelle Emmanuel Macron doit compter et il va bien devoir s'en occuper... Il va devoir s’en expliquer, si quelque chose se passe, je veux dire, une guerre ou une crise plus importante avec l'Iran, car il est clair que beaucoup d'entreprises françaises vont perdre des contrats signés en Iran, en équipement, en produits alimentaires. C’est quelque chose qui est régulièrement couvert par la presse française. Je veux dire, l'Iran est aujourd'hui considéré comme une sorte de nouvelle frontière pour le business, mais aussi pour le tourisme. De nombreux touristes français qui se rendaient au Moyen-Orient se dirigent aujourd'hui vers l'Iran. Il ne sera pas facile du tout d’expliquer à l'opinion publique française que l'Iran est le méchant que nous devons attaquer... »
Ces spéculations, comme d’autres, comme le comportement lui-même de Macron, conduisent à admettre que l’hypothèse des special relationships n’est nullement à rejeter, qu’elle doit être suivie avec attention. Pour Macron, cela signifie un rôle privilégié en Europe et un rôle important dans les crises d’hors-BAO (hors de la zone d’influence directe du bloc-BAO, à commencer par la Méditerranée, le Maghreb, le Moyen-Orient). Selon l’esprit à la fois compétitif et globaliste-interventionniste de Macron, plusieurs facteurs montrent qu’on pourrait croire que les occasions font le larron :
• Le Royaume-Uni est certes toujours dans sa position de supplétif des USA, comme s’il dépendait d’une sorte de réflexe pavlovien, mais il n’a plus guère de moyens militaires qui le rendent intéressant, et encore moins d’influence après le Brexit. Même son maximalisme antirusse finit par être embarrassant, dans tous les cas pour Trump qui est variable sur le sujet. Enfin, Trump a eu quelques accrochages personnels avec les Britanniques, notamment une visite d’État abandonnée, une hostilité marquée de la famille royale, etc.
• L’Allemagne et Merkel sont plutôt dans une période de basses eaux. Le temps extrêmement long pour la formation du nouveau gouvernement, la position fragile de Merkel, pourtant dans un gouvernement sans la moindre vedette pour émerger, donc une ternitude germanique et générale sous une surveillance US constante, qui s’accompagne d’une absence d’intérêt de Trump pour l’Allemagne.
D’où cette idée lumineuse : pourquoi ne pas jouer le rôle des Britanniques auprès des USA, en beaucoup plus habiles et beaucoup plus dignes bien entendu, indépendance et souveraineté obligent ? (Ne pas oublier que Macron est un président “jupitérien”)... Nous avouons, humblement bien entendu, que cette idée n’est pas de notre exclusivité, tant s’en faut. Pour reprendre le texte de Yasmine Sehan, dans The Atlantic, cité plus haut :
« La coordination étroite des deux leaders sur des sujets controversés de guerre – même face au scepticisme de leurs publics – rappelle une autre relation transatlantique chargée d'histoire, celle de l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair et du président américain George W. Bush, qui furent désignés à une époque “the odd couple” [“l’étrange couple”]. Comme Blair, Macron est connu pour son énergie juvénile libérale et son désir de transcender un fossé gauche-droite. Alastair Campbell, directeur de la com’ de Blair [et maître ès-spin doctor], a noté la ressemblance en janvier, qualifiant Macron de “véritable héritier de Tony Blair”. La façon dont Macron a facilité l'intervention de Trump contre Assad – en accusant publiquement le régime syrien d'attaques chimiques alors même que d'autres alliés hésitaient, – rappelle comment Blair aida Bush à mobiliser le soutien international pour la guerre en Irak... »
Les special relationships ont toujours exercé une fascination profonde, au moins sur une partie de la diplomatie française (et des élites correspondantes), jusques et y compris pendant la Deuxième Guerre mondiale. On y trouve pêle-mêle des pétainistes comme René de Chambrun, gendre de Laval mais aussi descendant de La Fayette et lointainement lié au président Théodore Roosevelt par sa mère (américaine), aussi bien que des antivichystes d’intensité moyenne, mais surtout violemment antigaulistes comme le diplomate Alexis Léger, Saint-John Perse pour la poésie. A cette vieille garde s’est agglomérée une foule considérable de proaméricanistes formés durant la Guerre froide et jusqu’à nos jours, par les différents réseaux US qui pullulent en France, anticommunistes et antigaullistes sans autre perspective, idéologues libéraux tentés par le néoconservatisme, mais tous gardant néanmoins l’atavisme français d’une certaine méfiance vis-à-vis des Britanniques à cause de leur isolationnisme anti-européen, renforcée de la jalousie du rôle qu’ils (les Britanniques) jouaient auprès des USA. Tout cela s’appuie sur une transversale qui va de Jean Monnet à Jacques Attali et leur globalisme anti-souverainiste pour accoucher des mêmes créatures, dont la génération Sarko-Hollande-Macron est la parfaite illustration.
Nul parmi ces nombreuses intelligences françaises mais proméricanistes ne s’est avisé que les special relationships ont toujours été un jeu de dupes manipulé par la nature même de leur mépris de la souveraineté par la communauté américaniste de Washington, et dissimulé par l’arrogance suprémaciste stupide que l’intelligence britannique a su manéger tout au long de son histoire. On pourra, on devra répéter ici ce que sont véritablement les special relationships selon l’historien britannique John Charmley. (reprise du texte de PhG du 18 avril 2018) :
« Derrière la politique américaine de Churchill, on trouve la proposition que le crédit moral de l’action du Royaume-Uni en 1940-41 pouvait être converti en influence sur la politique américaine. Comme nombre d’américanophiles, Churchill imaginait que l’Amérique survenant sur la scène mondiale aurait besoin d’un guide sage et avisé, et il se voyait fort bien lui-même, avec le Royaume-Uni, dans ce rôle. Cela paraît aujourd’hui une curieuse fantaisie mais c’est bien le principe qui guida la diplomatie britannique à l’égard de l’Amérique pendant la période que nous étudions dans ces pages. En tentant d’exposer “l’essence d’une politique américaine” en 1944, un diplomate définit parfaitement cette attitude [dans une note interne du Foreign Office]. La politique traditionnelle du Royaume-Uni de chercher à empêcher qu’une puissance exerçât une position dominante était écartée : “Notre but ne doit pas être de chercher à équilibrer notre puissance contre celle des États-Unis, mais d’utiliser la puissance américaine pour des objectifs que nous considérons comme bénéfiques”. La politique britannique devrait être désormais considérée comme un moyen d’“orienter cette énorme péniche maladroite[les USA] vers le port qui convient”. L’idée d’utiliser “la puissance américaine pour protéger le Commonwealth et l’Empire” avait beaucoup de charme en soi, en fonction de ce que l’on sait des attitudes de Roosevelt concernant l’Europe. Elle était également un parfait exemple de la façon dont les Britanniques parvenaient à se tromper eux-mêmes à propos de l’Amérique. On la retrouve avec la fameuse remarque de MacMillan, en 1943, selon laquelle les Britanniques devraient se considérer eux-mêmes comme “les Grecs de ce nouvel Empire romain”. L’image de la subtile intelligence des Britanniques guidant l’Amérique avec sa formidable musculature et son cerveau de gringalet était flatteuse pour l’élite dirigeante britannique ; après l’horrible gâchis qu’elle avait réalisé à tenter de préserver son propre imperium, elle avait l’arrogance de croire qu’elle pourrait s’occuper de celui de l’Amérique. Même un Béotien aurait pu se rappeler que, dans l’empire romain, les Grecs étaient des esclaves... »
Peut-on “flatter noblement” The-Donald ?
Là-dessus, redevenons sérieux, – ou plutôt redevenons “officiel” tendance-narrative. Tout ce qui précède est de la spéculation selon un point de vue sans aucun doute orienté que nous ne dissimulons pas une seconde. Si nous adoptons le point de vue officiel, nous dirons que le président Macron est venu à Washington pour convaincre le président Trump que l’accord nucléaire avec l’Iran est une bonne chose qu’il importe, de protéger et de poursuivre, et qu’à cela il n’y a pas d’alternative. En gros, Macron dit qu’il n’y a “pas de Plan-B” pour l’Iran, particulièrement hier dans une interview à FoxNews, – entre autres affirmations sonnantes et triomphantes, et dites en un anglais impeccable, comme par exemple« I’ll Make France Great Again ! ».
(Habile sapiens-président, que nous admirons de notre claque joyeuse et sur commande : les majuscules, de notre cru on le comprend, lui permettant de le rapprocher encore plus de son ami The-Donaldet de son triomphant MAGA [“Make America Great Again”], mot d’ordre de cette superbe campagne électorale de 1976. Macron nous avait déjà fait le coup, du temps où il conchiait très officiellement Trump pour avoir sorti les USA de l’accord de Paris : « Make the Earth Great Again » [MEGA].)
Macron se fait fort de convaincre son ami, sur lequel il laisse entendre qu’il a, grâce à des affinités multiples et des estimes particulières, une très grande et très excellente influence, sur divers terrains et notamment sur celui de l’accord nucléaire avec l’Iran. C’est ce que nous dit le compte-rendu de FoxNews, dans un passage où, après tout, l’on peut aisément considérer que notre hypothèse a bien des similitudes avec la version “officielle” dont nous considérerions alors, d’ailleurs tout à fait en accordance avec les pratiques du temps, qu’elle a éminemment un caractère de narrative. Il s’agit d’un passage où Macron explique pourquoi The-Donald est “son ami” et qu’il a avec lui, – cela tombe bien, – des “relations spéciales”. Pour le cas, il faut laisser ce passage du texte de FoxNews en pur anglais, tel qu’on nous l’offre, car l’on peut mieux saisir l’apologie ainsi offerte de deux personnalités que les circonstances, les croyances de circonstance et le flou du reste, la singularité de leurs destins politiques doivent rapprocher en une sorte de néo-special relationships. (L’emploi du caractère gras est de notre cru.)
« He [Macron] said he and Trump “have a very special relationshipbecause both of us are probably the maverick of the systems on both sides. I think President Trump’s election was unexpected in your country, and probably my election was unexpected in my country. And we are not part of the classical political system. … We are very much attached to the same values …. especially liberty and peace,” he said. “And I think the U.S. today has a very strong role to play for peace in different regions of the world and especially the Middle East.” »
Connaissant les psychologies des uns et des autres, les formes d’arrogances différentes mais tout aussi intenses qui règnent à Washington et dans les salons parisiens (« le mélange continuel de tragédie et de calembours qui fait la conversation à Paris », dit Talleyrand), il est manifeste qu’il existe dans plus d’un esprit diplomatique et communiquant autour de l’Elysée, et à l’Elysée même, dans le bureau symboliquement ovale du cru, quelque esprit pour refaire du Charmley en définissant de très-special relationships selon l’esprit du temps, — c’est-à-dire postmodernes : « L’image de la subtile intelligence des [Français]guidant l’Amérique avec sa formidable musculature et son cerveau de gringalet était flatteuse pour l’élite dirigeante [parisienne]... »
Ainsi se trouvent réconciliée l’hypothèse développée dans la première partie du texte et ce qui apparaît clairement comme la partie narrative d’une version “officielle” dont on devine la flexibilité. Il n’est pas sûr que Merkel, qui a été fort peu informée des détails cruciaux de l’aventure France-UK-USA en Syrie, boive du petit lait bruxellois en imaginant son partenaire favori arguer de cette « very special relationship » comme s’il s’agissait d’une sorte de “rencontre des deux Empereurs”, – celui des USA et celui de l’Europe, pas moins... Quant à la pauvre Theresa May, laissons-là à son Brexit.
Le problème de Macron, comme des Français en général, c’est que, malgré tout leur exercice de maniement de la postmodernité, ils comprennent bien peu de choses du fonctionnement du pouvoir à Washington D.C., – pardon, à “D.C.-la-folle”. Hier, peu après son élection, Trump était vilipendé, méprisé, ridiculisé, et on le tenait à l'Elysée pour rien sinon comme un rebut faussaire, une ordure relaps destituable dans les mois à venir. Aujourd’hui, puisqu’il est toujours là, on tendrait à croire à l'Elysée qu’il est devenu le président dans toute sa splendeur et ses pouvoirs, et que le convaincre en le séduisant, éventuellement par la flatterie et l’exubérance, c’est s’assurer l’avantage d’une alliance spéciale (« very special relationship ») avec « cette énorme péniche maladroite » qu’il convient d’« orienter [...] vers le port qui convient... ». On se contentera ici de rappeler en quelques mots les véritables conditions du “pouvoir” à “D.C.-la-folle”, c’est-à-dire cette nébuleuse éclatée dansant une gigue démente dont aucune musique ne peut prétendre rendre compte du rythme et du sens.
• Le président Trump est un homme qui promet énormément et ne tient guère, parce qu’il a la mémoire extrêmement courte sinon l’esprit ailleurs. Il ne connaît pas la différence entre le mensonge et ce qui n’est pas mentir. Il adore les coups, les contrepieds, les formules twitteuses, les menaces sans lendemain et les alliances sans raison d’être, et il est ligoté de diverses façons par tant de factions du DeepState qu’il en est moins le prisonnier qu’une espèce de “fou-du-roi” tendant à accentuer encore plus ses traits de caractères les plus étranges pour pouvoir exister. Quelle que soit la flatterie et les relations excellentes mais de circonstances, on saisit autant Trump qu’une savonnette mouillé sous une pluie de mousson. Cela n’interdit pas de tenter d’avoir des relations assez bonnes avec lui, voire de tenter de l’utiliser à son profit, mais cela interdit toute certitude dans une entreprise qui dépasserait le délai d’une semaine.
• L’entourage de Trump, son équipe, son administration, sont d’une certaine façon aussi fous que lui, insaisissables et incompréhensibles selon la seule raison cartésienne, avec des personnalités aussi suspectes qu’un fou de Bolton ; des forteresses aussi cadenassées que le Pentagone de Mattis, nageant dans $trillions que sa comptabilités ne juge pas nécessaire de prendre en compte ; des situations aussi extravagantes qu’un ministère de la Justice quasiment en état de rébellion permanente où le ministre Sessions menace de démissionner si Trump touche à un cheveu de son adjoint hérité de l’équipe Obama, Rod Rosenstein, soutien et informateur privilégié et subversif du procureur spécial Mueller qui s’est juré d’avoir la tête du président.
• “D.C.-la-folle” n’a que trois buts : la guerre, la guerre et la guerre, avec un antirussisme rabique pour couronner le tout. On connaît bien cette situation et l’on sait que l’Iran est très, très haut sur la hit list, avec la Syrie et le Hezbollah, et pas très loin, la Russie elle-même.
Ce qui attend Macron, s’il veut réellement établir des « very-special relationships » durables, – disons au moins quelques semaines, peut-être un-deux mois, – c’est un exercice de génuflexion habile sinon dissimulé mais bien réel, notamment sur l’exercice de la sévérité morale préparant des expéditions guerrières contre ceux de l’“Axe du Mal” revu à la lumière postmoderne de l’aventure syrienne. Même s’il obtient l’une ou l’autre forme de promesse de Trump concernant l’accord nucléaire ou telle ou telle autre gâterie, il aura du mal à s’en relever tant “D.C.-la-folle” n’aura perçu l’exercice que comme une acceptation déguisée et empressée des inaltérables conditions d'obéissance aveugle que la “nation exceptionnelle” impose à ses “amis”.
Lors de la rencontre des “deux Empereurs” de 1807 pour le pseudo-“partage du monde” auquel Alexandre Ier et Napoléon faisaient semblant de procéder, à Erfurt où il commit sa fameuse “trahison” dont il y a tant à dire, Talleyrand, encore lui, disait à propos de la multitudes de princes allemands qui s’agitaient autour de Napoléon pour obtenir quelques miettes: « Cette idée m’est venue qu’il y a des secrets de flatterie révélés aux seuls princes, non pas descendus du trône, mais qui ont soumis leur trône à un protectorat toujours menaçant ; ils savent en faire l’emploi le plus habile, lorsqu’ils se trouvent placés autour de la puissance qui les domine et qui peut les détruire. [...] Les petits princes ne savent que se jeter à terre, et ils y restent jusqu’à ce que la fortune vienne les relever. Je n’ai pas vu, à Erfurt, une seule main passer noblement sur la crinière du lion. »
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