10 mars 2018

Eléonore

 
1 > Avant de commencer, et pour peut être insuffler une notion d'intimité à cet échange, je me demandais de quoi était fait ton parcours de vie, et plus particulièrement ton lien avec l'univers de la survie ?

Alors... Au départ je suis parisienne, infirmière depuis quelques années, 15 ans en fait donc assez classique.
J'ai été secouriste à la croix rouge la bas et je bossais en réanimation. Je supportais plus la vie à Paris, je suis partie en province, et j'ai pris un poste aux urgences.

Mon hôpital était le 2nd centre hospitalier le plus proche de la Centrale nucléaire de Fessenheim, la jumelle de Tchernobyl.
Tu commences à voir le lien ?

J'ai suivi des formations en risque NRBC, médecine de catastrophe, pandémie, on s’équipait en tenue NRBC, on simulait des plans blancs, plans rouges, des accidents sur des sites seveso.
Je me disais que c'était cool, qu'en cas de rupture j'étais prête à foncer au taf. Mais à la maison ?
Un de mes super potes a commencé à me parler d'un blog d'un mec pas trop connu qui se faisait appeler "le survivaliste".

C'est la que j'ai mis le doigt dans le milieu.

2 > Ah je vois. L'éventuelle dysfonction d'une centrale nucléaire comme Fessenheim est effectivement un point sensible que le gouvernement prend très au sérieux.
Quel est ton sentiment par rapport aux plans d'actions de nos hôpitaux et de la population dans ce contexte extrêmement lourd d'une catastrophe technologique majeure ?



Il existe des directives mais actuellement celles dont on entend parler sont essentiellement axées sur le terrorisme. J'ai pas mal d'amis infirmiers, médecins, employés des hôpitaux...Qui n'ont absolument aucune information sur ces risques. Parce que ça ne les intéresse pas, parce que ce n'est pas dans leur culture: si tu ne te sens pas concerné, tu ne vas pas chercher à savoir.

La dynamique locale qu'on avait en terme de formation, de préparation et de sensibilisation était hyper efficace mais grâce à l'impulsion des médecins et des chefs de service qui eux prenaient le risque très au sérieux. Et quand toute ton équipe se prépare à une éventuelle catastrophe, de plus géographiquement toute proche, tu commences à considérer le risque réel, même si au départ ça ne fait pas parti de ta culture.

Moi je me sentais déjà bien concernée par le risque de catastrophe majeure, et baignée dans l'inconscient collectif, j'imaginais plutôt la catastrophe nucléaire. Les formations que j'ai suivi, et par prolongement ce que j'ai pu bosser de mon côté, mes lectures, mes recherches (justement sur le site du gouvernement entre autre qui proposent quelques informations pour qui veut les consulter) j'ai réalisé que se baser sur un seul scénario catastrophe n'était pas viable. Des risques il y en a tellement... Seveso, catastrophe naturelle, épidémie, pandémie, terrorisme, et que la rupture de normalité pouvait aussi bien subvenir si j'avais un accident / perte d'emploi.

3> Tu parles d'accident et de perte de l'emploi. Quelles sont tes stratégies de résilience par rapport a tous ces risques de la vie de tous les jours ?

Je pense que de se préparer à un accident du quotidien ou à une rupture de normalité un peu plus massive, c'est la même démarche: Une grosse part de vigilance et de prévention pour limiter les risques et une préparation la plus "large" possible.

Au départ, quand j'ai commencé à me préparer, j'avais une vision assez post apocalyptique de la rupture. Sans envisager de m'installer dans un bunker, j'ai des stocks alimentaires, j'ai une caisse "panne d'électricité" avec des bougies, des lampes, une radio dynamo, une zone avec le matériel pour le jardin et des semences, on avait quelques stock de munitions dans les coffres, une pharmacie bien remplie... J'étais très axée sur le matériel. Et en grande partie grâce à ton blog, j'ai réalisé que la rupture c'était tous les imprévus qui pouvaient arriver dans ta vie, de la maladie, l'accident, la perte d'emploi et que se focaliser sur une catastrophe c'était sûrement irréaliste.

Puis en élargissant ma vision des risques possibles, en imaginant un peu des scénarii, je me suis rendu compte que le matériel c'était hyper limité. Un objet est une réponse précise à un problème précis, et on ne peut pas prédire ce qui nous arrivera demain, et de quel matériel, équipement, ou produit nous aurons besoin... La solution c'était d'avoir des compétences en priorité. Ça rejoint bien ton interview "bienvenue en enfer" ou le mec explique que ce qui la sauvé, c'était ses compétences d'infirmier.

J'ai repris le concept de l'Ikigai : ce pour quoi je suis payée, ce que j'aime, ce dans quoi je suis douée et ce dont le monde a besoin (mon monde pour commencer, surtout mes enfants qui sont arrivés entre temps). Je sais que j'ai des compétences en premiers soins, même assez avancées puisque j'ai continué à me former en plus de mon expérience et je continue encore à suivre des formations à titre personnel sur les hémorragies massives, bleeding control, premiers secours en situation a risque...

Je me suis mise au tir, par plaisir aussi il faut être honnête. J'allais de temps en temps au stand, le but, sans être une tireuse chevronnée, c'était d'être autonome avec un PA ou une arme longue: règles de sécurité, savoir charger, pointer et grouper mes tirs sur une cible. Je fais de l'airsoft à côté, donc je suis à l'aise dans mes déplacements avec une réplique de fusil d'assaut, sécuriser un bâtiment... On est loin d'une situation réelle, mais ça participe à me donner une certaine dynamique en groupe aussi.

 

Je fais pas mal de sport, sans avoir un gros niveau, je coure un peu, je fais du sport en salle, avoir un minimum de force physique et un peu de cardio pour tenir la route. Une bonne hygiène de vie en général pour pouvoir compter sur ma santé et avoir une machine fiable si besoin. Être polyvalente. Et puis surtout, il me fallait des compétences de base en survie.

J'ai bricolé un peu toute seule en rando, avec mes potes de l'airsoft aussi, avec plus ou moins de succès il faut avouer. J'ai finalement suivi un premier stage de survie, puis rapidement derrière un second, un troisième... Ça fait 2 ans maintenant que je suis à fond dans cet aspect là, que je me passionne pour ça. De l'aspect psychologique à la moindre technique, je ne vis que de ça et c'est tellement vaste, tout touche à la survie en pleine nature de près ou de loin : la physiologie, la botanique, la météorologie, la géologie, la chasse, l'orientation...

Maintenant que je me sens plus solide par rapport à mes compétences, j'ai changé radicalement ma façon d'appréhender ma préparation. Les stocks et le matériel restent un pilier de la préparation, mais d'un autre côté je suis devenue plus résiliente au quotidien: je n'achète presque plus de superflu, je consomme quasi exclusivement des produits de base, je fabrique ma lessive, je fais un maximum de choses par moi même ou en restant tant que possible dans un circuit local, j'essaie de produire le moins de déchets possibles, je n'utilise que très peu de produits jetables. Je suis dans une démarche minimaliste même s'il reste du chemin à parcourir.

Connaître les personnes ressources autour de chez moi c'est important aussi, savoir que si j'ai besoin d'un coup de main en couture, en mécanique ou autre, je peux troquer avec tel ou tel voisin. Pour résumer ce que je vise:

- avoir des compétences, des connaissances et des capacités utiles et pragmatiques à la base
- être plus raisonnée dans ma consommation au quotidien, du renouvelable ou du réutilisable, parce que le jetable disparaîtra
- en dernier point, le moins important à mes yeux, avoir de l'équipement, du matériel, du consommable sur ce dont on aura du mal à se passer. (alors que le matos c'est quand même ce qui fait le plus fantasmer quand on regarde sur les forum ou les groupes de discussion)

4> Tu abordes la question de la survie en milieu naturel. De ma fenêtre, il me semble que ces dernières années nous pouvons observer un intérêt prononcé pour cette notion de survie en milieu naturel. C'est quoi pour toi la survie en milieu naturel, et d’où vient cet intérêt ?

La survie en milieu naturel c’est hyper vaste. Tout touche à la survie et à la nature alors ce n’est pas étonnant qu’il y ait un tel engouement, surtout quand tu vois à quel point on vit en décalage avec nos besoins de base.

Certains cherchent juste à déconnecter un week-end, d’autres à apprendre des techniques pour être autonome en pleine nature, certains veulent trouver du « frisson » en vivant une expérience qu’ils pensent extrême, ou alors juste à se reconnecter avec la nature…

Pour moi c’est un mélange de plusieurs choses : mon intérêt pour le survivalisme y a contribué bien sur, mais aussi le fait que je pratique pas mal de sports en pleine nature, du trek, parfois seule, parfois avec mes enfants et j’ai senti le besoin d’être un peu outillée pour faire face à un éventuel accident.
Petite mon livre de chevet c’était « copain des bois » alors je cherchais peut être à retrouver ce côté-là aussi !

Une fois que j’ai mis le doigt dedans, j’ai découvert bien plus que juste des outils pour prolonger ma vie en pleine nature. C’est une reconnexion avec les bases, on vit selon un rythme bien plus naturel que celui auquel on est soumis au quotidien, on se lève avec le soleil, on se couche avec lui aussi, on se réveille pour prendre soin du feu, on écoute, on reconnecte nos 5 sens, et on reconnecte avec la terre, on prend le temps de faire les choses.

Quand tu es en condition d’immersion totale, si tu veux manger, tu peux pas appeler « allô pizza », tu vas pêcher, tu pars à la cueillette, ce que tu as c’est le résultat de ton travail ou de celui du groupe.

Mon grand kiff c’est aussi de repousser mes limites, mais je le fais de façon hyper progressive, en gagnant petit à petit en confort là où tu penses ne pas en avoir. Souvent les personnes à qui je raconte mes aventures ou qui me suivent sur les réseaux sociaux ont l’impression que je fais des choses incroyables, mais en fait la plupart du temps je suis en confort et en sécurité totale. La juste dose de découverte, de techniques, de réflexion, d’acclimatation… et de passion !

Enfin je dis la plupart du temps parce qu’il y a eu quelques épisodes extrêmes quand même…
Ce que je cherche ce n’est pas à démontrer que je suis plus forte que quelqu’un d’autre (ce qui n’est pas le cas) mais plutôt au contraire que si moi, petite blonde d’1m60, je peux le faire, tout le monde en est capable !

Cette passion justement m’a amené à totalement changer ma vie. J’ai eu l’opportunité l’année dernière (dont je ne peux pas parler encore…) de vivre une aventure hors du commun qui a été un virage pour moi. J’ai atteint ces fameuses limites que je cherchais tant. Bref ça a été un déclic : c’est ce que je voulais partager, à plein temps.

J’avais déjà débuté une formation de moniteur de survie avant, j’étais en stage de survie environ 1x/mois, voir plus avec mes potes, la transmission et le partage ça fait parti de moi. Et en rentrant en France l’été dernier, on m’a proposé de bosser comme monitrice de survie plus régulièrement… après pas mal de réflexion j’ai décidé de me lancer. J’ai repris avec 2 associés une société qui existe depuis 2013, Time on Target.

Je suis directrice générale depuis le 1er janvier, on organise des stages de survie avec mes 2 associés Damien LECOUVEY et Marc MOURET (qui était consultant sur the island auprès de Mike Horn), on vient d’intégrer dans l’équipe un 4ème moniteur de survie, Rémi CAMUS un aventurier hors normes, extrêmement humain.

Notre objectif principal, avant même les stages de survie en France qui sont pour moi une première étape pour se sentir en sécurité, c’est de pouvoir emmener les gens vivre des aventures de survie partout dans le monde, démontrer qu’avec quelques bases, tout le monde peut le faire, aussi novice soit il, et que le monde entier est un terrain de jeu (avec plus ou moins de préparation, restons pragmatique). J’ai des idées un peu utopiques, mais je pense que ça peut créer des déclics et aider les gens à prendre conscience de ce dont ils sont capables, que les seules limites qu’on se met sont dans la tête.

J’ai la chance d’être soutenue et accompagnée dans ces projets par mes collègues qui sont totalement complémentaires, on est entouré de spécialistes pour certains biotopes, comme par exemple Regis Belleville, l’un des plus grand explorateur français spécialiste du désert, Arnaud Fleury pour l’Afrique Australe, une agence de voyage (point-voyage) qui nous fait totalement confiance et nous soutient au niveau logistique.

Ce qui m’a permis de saisir cette chance c’est aussi la résilience que j’ai développé grâce au survivalisme, tout est lié, je sais que si je n’ai pas de revenus réguliers j’aurais la capacité de m’adapter. Quelque part tu as participé à cette vocation.

La boucle est bouclée c’est un cercle vertueux, grâce au survivalisme, j’ai développé mon niveau de résilience, et j’ai eu cette opportunité de survie en pleine nature, grâce à la résilience j’ai pu saisir cette chance, et je sais que mes pérégrinations continueront à développer cette adaptabilité.


5> Il n'y a pas enormement de femmes instructeur de survie. Qu'est-ce que cela implique pour toi, a l’échelle humaine mais aussi physique et psychologique ?

Au départ quand je me suis lancée un peu plus sérieusement dans le milieu ça me posait pas mal de questions d'être une femme. Ça reste un milieu majoritairement masculin, et relativement emprunt de testostérone, j'avais peur de devoir me justifier face à certains stagiaires ou d'autres moniteurs dans le milieu.

J'ai toujours évolué dans des milieux assez masculins : jeu vidéo, jeu de rôle, airsoft... et finalement j'ai toujours trouvé ma place.

Au niveau humain je n'ai eu aucune difficulté à prouver ma légitimité en pratique. J'ai aussi vécu quelques expériences depuis ça me donne des billes, et comme je suis dans l'échange de pratiques et de connaissances, je ne cherche pas à imposer une quelconque supériorité (que je n'ai absolument pas) ça ne fait pas de différence que je sois une femme.

Et au contraire, c'est parfois un avantage, ça m'apporte de la visibilité aussi, un regard parfois différent et complémentaire de celui de mes collègues.

Sur le plan physique, c'est particulier... Je m’entraîne pas mal, je suis assez sportive mais je suis clairement loin derrière la majorité des mecs. Ça tombe bien, ce n'est pas une compétition.

J'ai mis en place des stratégies : je compense la force physique par la technique. Une stagiaire me l'a fait remarquer le week end dernier lors d'un stage de survie : elle avait peur de « ne pas y arriver », que j'avais plus de force qu'elle... mais en fait elle a été hyper satisfaite de constater que justement, ça m'avait permis de lui donner des et que c'était motivant de voir que je pouvais couper une petite bûche avec mon couteau sans jamais forcer. Ça lui a permis de se dire que si moi je pouvais le faire, elle aussi pourrait. Et c'est vraiment ce que je cherche et ce qui me motive, prouver aux autres que si je peux le faire, tout le monde en est capable à condition de s'en donner les moyens.

C'est peut être sur le plan physiologique qu'il y a le plus de différences. Et ce sont plutôt des mécanismes en faveur de la survie des femelles que nous sommes Pour moi c'est hyper intéressant de pouvoir étudier cet aspect là, puisque je le vis. Et quand j'en parle, je sais très précisément ce qui fonctionne ou pas puisque je l'ai testé.

Et puis c'est Wiseman qui la dit : la base de la survie, c'est l'attitude, pas le physique. Si tu as envie de vivre, envie de réussir, envie d'avancer, d'aller plus loin et de te dépasser, tu peux le faire, tout est principalement une question de mindset. Cet aspect psychologique n'est pas spécifiquement féminin, c'est plutôt dépendant des individus et des personnalités, mais de ce point de vue là, nous sommes sur un pied d'égalité.

Bref en survie comme ailleurs, ce qui compte c'est le travail d'équipe. Et pour qu'une équipe soit efficace, il faut des membres différents et complémentaires, et dans cette recherche de complémentarité, être une nana c'est un vrai atout.

Certaines femmes ont des appréhensions à s'inscrire en stage de survie par peur de ce milieu assez masculin et de voir que c'est une femme qui encadre, ça leur aide à mieux se projeter. Il y a quelques temps lors de mes premiers stages le taux de présence féminin tournait autour de 10%, c'est clairement en train de changer, le week-end dernier par exemple nous étions presque 30% de femmes (et je le constate également sur des stages encadrés par mes homologues masculins).

Au final, homme ou femme, peu importe, ce qui compte ce sont les compétences, l'attitude, les capacités à transmettre et surtout la complémentarité.


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