06 février 2018

Oncle Sam se débarrasse (de nouveau) des Kurdes


Le drame qui se joue dans le nord de la Syrie est vraiment un cas presque idéal pour évaluer à quel point l’Empire anglosioniste est faible et totalement dysfonctionnel. Mais d’abord, un bref rappel.

Les buts américano-israéliens en Syrie étaient vraiment très simples. Comme je l’ai déjà écrit dans un précédent article, le plan anglosioniste initial était de renverser Assad et le remplacer par les fous takfiris (Daech, al-Qaïda, al-Nusra, ISIS – appelez-les comme vous voulez). Cela permettrait d’atteindre les objectifs suivants.

Faire tomber un État laïque arabe fort, avec sa structure politique, ses forces armées et ses services de sécurité ;
Créer le chaos total et l’horreur en Syrie justifiant la création d’une « zone de sécurité » par Israël, non seulement dans le Golan mais plus au nord ;
Déclencher une guerre civile au Liban en lâchant les fous takfiris contre le Hezbollah ;
Laisser les takfiris et le Hezbollah se saigner mutuellement à mort puis créer une « zone de sécurité », mais cette fois au Liban ;
Empêcher la création d’un axe chiite Iran–Irak–Syrie–Liban ;
Diviser la Syrie selon des critères ethniques et religieux ;
Créer un Kurdistan qui pourrait ensuite être utilisé contre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran ;
Permettre à Israël de devenir l’agent incontesté de la puissance au Moyen-Orient et forcer l’Arabie saoudite, le Qatar, Oman, le Koweït et tous les autres à se rendre en Israël pour tout projet de gazoduc ou d’oléoduc ;
Petit à petit, isoler, menacer, subvertir et finalement attaquer l’Iran avec une large coalition de forces régionales ;
Éliminer tout centre de pouvoir chiite au Moyen-Orient.

L’intervention militaire russo-iranienne conjointe a fait totalement échouer ce plan. Un temps, les États-Unis ont essayé de briser la Syrie avec des scénarios divers, mais la manière dont les forces aérospatiales russes ont pilonné tous les « bons terroristes » a finalement convaincu les Anglosionistes que ça ne marcherait pas.

Le plus grand problème pour l’Empire est que même s’il dispose d’une puissance de feu importante dans la région (et dans le monde), il ne peut pas déployer de « bottes sur le terrain ». Être les fantassins de l’Empire était, en fait, le rôle que les Anglosionistes avaient assigné aux fous takfiris (autrement dit Daech/IS/ISIS/al-Qaïda/al-Nusra, etc.) mais ce plan a échoué. Les seuls alliés restants des États-Unis sont Israël et l’Arabie saoudite. Le problème avec eux est que, exactement comme les États-Unis, ces pays n’ont pas de forces terrestres capables de se déployer en Syrie et d’affronter non seulement l’armée syrienne, mais les forces beaucoup plus compétentes de l’Iran et du Hezbollah. Assassiner des civils est vraiment la seule chose dans laquelle les Israéliens et les Saoudiens sont experts, du moins sur le terrain (dans le ciel, l’Armée de l’air israélienne est très bonne). Et entrent les Kurdes.

Les Anglosionistes voulaient utiliser les Kurdes exactement comme l’OTAN s’était servie de l’UCK au Kosovo : comme une force terrestre qui pourrait être soutenue par les États-Unis / OTAN et peut-être même par la puissance aérienne israélienne. Contrairement aux Israéliens et aux Saoudiens, les Kurdes sont une force terrestre relativement compétente (quoique pas capable d’affronter, par exemple, la Turquie ou l’Iran).

Les gens du Pentagone avaient déjà essayé quelque chose de semblable l’an dernier lorsqu’ils ont tenté de créer un Kurdistan souverain en Irak par référendum. Les Irakiens, avec un peu d’aide de l’Iran, ont immédiatement mis fin à cette absurdité et tout l’exercice a été un lamentable « flop ».

Ce qui soulève immédiatement une question évidente : les Américains sont-ils capables d’apprendre de leurs erreurs ? À quoi pensaient-ils donc lorsqu’ils ont annoncé la création d’une force de sécurité de 30 000 hommes aux frontières syriennes (BSF dans le sigle anglais), ainsi nommée pour donner l’illusion que le projet était la protection de la frontière de la Syrie et non sa partition ? Le but véritable était, comme toujours, de faire pression sur la Turquie, l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Russie tout en s’emparant d’une grande quantité de pétrole. Comme toujours avec Oncle Shmuel, tout ce projet n’avait pas d’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU et était donc totalement illégal au regard du droit international (tout comme l’est la présence des États-Unis dans l’espace aérien et sur le territoire de la Syrie, mais plus personne ne s’en soucie).

Trump et ses généraux pensaient-ils vraiment que la Turquie, l’Iran, la Syrie et la Russie accepteraient un protectorat américain en Syrie déguisé en « Kurdistan indépendant » et ne feraient rien ? De nouveau, et je sais que cela semble difficile à croire, mais je pense que c’est une nouvelle indication forte que l’Empire est dirigé par des gens stupides et ignorants, dont le cerveau et l’éducation ne leur permettent tout simplement pas de saisir même les dynamiques de base dans les régions de notre planète où ils s’ingèrent.

Quoi qu’il en soit, les Turcs ont réagi exactement comme tout le monde le pensait : le chef de l’état-major turc a sauté dans un avion, s’est envolé pour Moscou, a rencontré des généraux russes de haut niveau (y compris le ministre de la Défense Choïgou) et a obtenu le feu vert de Moscou : non seulement les avions turcs survolant la province d’Afrin en Syrie n’ont pas été contestés par les systèmes de défense aérienne russes (qui ont une couverture étendue dans cette région), mais les Russes ont aussi utilement retiré leur personnel militaire de cette zone pour qu’aucun Russe ne soit blessé. Sergueï Lavrov a déploré cette situation, comme il le devait, mais tout le monde savait que la Turquie avait le soutien russe pour cette opération. J’ajouterais que je suis quasiment sûr que les Iraniens ont également été consultés (peut-être lors de la même réunion à Moscou ?) pour éviter tout malentendu car il y a peu d’amour entre Ankara et Téhéran.

Et les Kurdes ? Bon, comment pourrais-je l’exprimer gentiment ? Disons seulement que ce qu’ils ont fait n’était pas très intelligent. Pour le dire de façon très, très modérée. Les Russes leur ont proposé un accord en or : acceptez une grande autonomie en Syrie, venez au Congrès pour un dialogue national à Sotchi, nous présenterons vos arguments devant les Syriens, les Iraniens et les Turcs (toujours réticents) et nous vous donnerons même de l’argent pour vous aider à développer votre production de pétrole. Mais non, les Kurdes ont choisi de croire aux paroles creuses venant de Washington et lorsque les Turcs ont attaqué, c’est tout ce qu’ils ont obtenu de Washington : des paroles creuses.

 
En fait, il est assez clair que les Américains ont de nouveau trahi un allié : Tillerson a maintenant donné son feu vert à une zone de sécurité de 30 km en Syrie (comme si quelqu’un lui demandait son avis, sans parler de sa permission !). Jetez un œil sur cette carte de la région d’Afrin et regardez à quoi ressemblent 50 miles (environ 80 km). Vous pouvez immédiatement voir ce que signifie cette « zone de sécurité » de 30 km : la fin de toutes les aspirations kurdes à créer un petit Kurdistan indépendant au nord de la Syrie.

Il n’est pas exagéré de dire que tous ces développements rendent les Russes vraiment heureux. Il est particulièrement doux pour les Russes de voir qu’ils n’ont même pas eu grand chose à faire, que ce sont les États-Unis qui se sont infligés à eux-mêmes cette catastrophe. Qu’y a-t-il de plus doux ?

Examinons tout cela du point de vue russe.

Premièrement, cette situation place la Turquie (un allié des États-Unis et un membre de l’OTAN) sur une trajectoire de collision avec les US / OTAN / UE. Et la Turquie n’est pas « seulement » un allié de l’OTAN, comme le Danemark ou l’Italie. La Turquie est la clé de la Méditerranée orientale et de tout le Moyen-Orient (enfin, l’une d’entre elles, au moins). La Turquie a également un immense potentiel pour être une épine douloureuse dans le « ventre » méridional de la Russie, donc il est vraiment crucial pour cette dernière de maintenir Oncle Sam et les Israéliens aussi loin de la Turquie que possible. Cela dit, personne en Russie n’entretient aucune illusion sur la Turquie et / ou Erdogan. La Turquie sera toujours un voisin problématique pour la Russie (les deux pays ont déjà été 12 fois en guerre !). Mais il y a une grande différence entre « mauvais » et « pire ». Considérant que dans un passé pas très lointain, la Turquie a abattu un avion russe au-dessus de la Syrie, financé, formé et soutenu des « bons terroristes » en Syrie, qu’elle a été profondément impliquée dans le mouvement séparatiste tatar en Crimée et qu’elle a été la principale base arrière pour les terroristes wahhabites en Tchétchénie pendant plus d’une décennie, « pire » dans le cas de la Turquie peut être bien pire que « mauvais » ne l’est aujourd’hui.

Deuxièmement, ces développements ont clairement amené la Turquie à une dynamique de coopération plus étroite avec la Russie et l’Iran, quelque chose que la Russie désire beaucoup. La Turquie toute seule est beaucoup plus un problème potentiel qu’une Turquie qui s’associe avec des partenaires comme la Russie et l’Iran (idéalement avec la Syrie aussi, mais à voir l’animosité entre les deux pays et leurs dirigeants, c’est quelque chose pour le lointain futur, du moins pour le moment). Ce qui se dessine, c’est une alliance régionale russo-turco-iranienne informelle contre l’Axe du Bien : USA–Israël–Arabie saoudite. Si c’est ce qui se produit, ce dernier n’a aucune chance de l’emporter.

Troisièmement, même si les Kurdes sont outrés et se plaignent de la « trahison » russe, ils finiront pas se rendre compte qu’ils l’ont fait eux-mêmes et que leur meilleure chance de liberté et de prospérité est de travailler avec les Russes. Cela signifie que les Russes pourront réaliser avec et pour les Kurdes ce que les États-Unis n’ont pas fait. Encore un bénéfice secondaire très agréable pour les Russes.

Quatrièmement, la Syrie, l’Iran et la Turquie réalisent maintenant une chose simple : seule la Russie se dresse contre les projets fous américano-israéliens pour la région et pour eux. Sans la Russie, rien n’empêche les Anglosionistes de rallumer les « bons terroristes » et les Kurdes et de les utiliser contre l’un d’eux.

Quoiqu’il en soit, il ne suffit pas que les États-Unis et Israël se tirent une balle dans le pied et les regarder saigner. Pour tirer vraiment parti de cette situation, les Russes doivent également atteindre un certain nombre de buts.

D’abord, ils doivent arrêter les Turcs avant que tout cela se transforme en un conflit majeur et prolongé. Depuis que Tillerson a « donné son feu vert » à une zone de sécurité de 30 km, c’est probablement ce qu’Erdogan a dit à Trump au téléphone et c’est probablement ce sur quoi les Russes et les Turcs se sont mis d’accord. Donc, avec un peu de chance, cela ne devrait pas être trop difficile à atteindre.

Ensuite, les Russes doivent parler aux Kurdes et leur proposer de nouveau le même marché : une large autonomie en Syrie en échange de la paix et de la prospérité. Les Kurdes ne sont pas précisément les gens les plus agréables pour discuter, mais puisqu’il n’y a vraiment pas d’autre choix, je parie que dès qu’ils cesseront d’halluciner sur le fait que les États-Unis feront la guerre à la Turquie en leur nom, ils devront s’asseoir à la table et négocier l’accord. De même, les Russes devront vendre le même accord à Damas qui, franchement, n’est pas en position de le rejeter.

Enfin, la Russie n’a ni l’envie ni les moyens de faire constamment face à des flambées de violence au Moyen-Orient. Si l’Empire a désespérément besoin de survivre, la Russie a besoin de paix. Concrètement, cela signifie que les Russes doivent travailler avec les Iraniens, les Turcs, les Syriens pour assurer un cadre de sécurité régionale qui serait garanti et, si nécessaire, imposé par toutes les parties. Et oui, la prochaine étape logique sera d’approcher Israël et l’Arabie saoudite et leur donner des garanties de sécurité en échange de leur promesse de cesser de créer chaos et guerres au nom des États-Unis. Je sais, je serai très critiqué de le dire, mais il y a des gens en Israël, et peut-être en Arabie saoudite qui comprennent peut-être la différence entre « mauvais » et « pire ». Écoutez ce que je dis : dès que les Israéliens et les Saoudiens réaliseront qu’Oncle Sam ne peut plus faire grand chose pour eux, ils deviendront subitement beaucoup plus disposés à des négociations sérieuses. Mais franchement, je ne sais pas si ces esprits rationnels seront suffisants pour faire face aux idéologues enragés. Mais cela vaut assurément la peine d’essayer.

Conclusion

La « stratégie » (je suis vraiment gentil) de l’administration Trump est de d’attiser autant de conflits en autant d’endroits de la planète que possible. L’Empire ne vit que du chaos et de la violence. La réponse russe est l’exact opposé : essayer du mieux qu’on peut d’arrêter les guerres, de désamorcer les conflits et de créer, sinon la paix, au moins une situation de non-violence. Bref : la paix quelque part est le plus grand danger pour l’Empire anglosioniste dont toute la structure repose sur des guerres éternelles. L’échec total et absolu des plans américains pour la Syrie (suivant comment on compte, on en en est au « plan C » ou même au « plan D ») est un indicateur fort de combien l’Empire anglosioniste est devenu faible et totalement dysfonctionnel. Mais « faible » est un terme relatif tandis que « dysfonctionnel » ne signifie pas « inoffensif ». L’actuel manque de cerveaux au sommet, quoique très bon à certains égards, est aussi potentiellement très dangereux. Je m’inquiète en particulier de ce qui semble être une absence totale de véritables militaires (des officiers en contact avec la réalité) autour du président. Est-ce que vous vous rappelez que l’amiral Fallon a parlé un jour du général Petraeus comme d’« une poule mouillée lèche-bottes » ? Cela s’applique aussi à toute la bande de généraux autour de Trump – tous sont le genre d’hommes que de véritables officiers comme Fallon « détesterait » selon ses mots. Quant à l’État, je dirais seulement ceci : je n’attends pas grand chose d’un homme qui n’a même pas pu gérer Nikki Haley, sans parler d’Erdogan.

Vous-vous souvenez comment les États-Unis ont mis le feu à l’Ukraine pour punir les Russes d’avoir contrarié l’attaque qu’ils projetaient sur la Syrie ? Eh bien cette même Ukraine a récemment promulgué une loi abolissant les « opérations anti-terroristes » dans le Donbass et déclarant celui-ci « territoire occupé ». Sous la loi ukie, la Russie est maintenant officiellement un « pays agresseur ». Cela veut dire que les Ukronazis ont aujourd’hui fondamentalement rejeté les Accords de Minsk et qu’ils sont quasiment en situation de guerre ouverte avec la Russie. Les risques d’une attaque ukronazie à large échelle sur le Donbass sont maintenant plus élevés qu’avant, en particulier avant ou pendant la Coupe du monde de football à Moscou l’été prochain (vous vous rappelez Saakachvili ?). Comme ils ont été ridiculisés (de nouveau) avec leur Force de sécurité aux frontières en Syrie, les Américains vont maintenant chercher un endroit pour prendre leur revanche sur les vilains Russkofs et cet endroit sera très probablement l’Ukraine. Et nous pouvons toujours compter sur les Israéliens pour continuer d’assassiner les Palestiniens et de bombarder la Syrie. Quant aux Saoudiens, ils semblent être temporairement occupés à se battre entre eux. Donc à moins que l’Empire fasse quelque chose de vraiment fou, le seul endroit où il peut devenir violent avec pas grand chose à perdre (pour lui), c’est l’Ukraine orientale. Les Novorusses le comprennent. Que Dieu les aide.

The Saker

Cet article a été écrit pour Unz Review
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone

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