10 janvier 2018

La Russie a acquis une immense expérience militaire en Syrie…


… et testé de nombreuses armes. Il est certain qu’après deux années en Syrie à son actif, son armée est une machine beaucoup plus capable qu’il y a deux ans.

La phase active de la campagne militaire russe en Syrie est terminée. Le président russe Vladimir Poutine a déclaré à son homologue syrien, Bachar al-Assad, le 21 novembre, que l’opération contre les terroristes en Syrie touche à sa fin, l’accent étant mis sur un processus politique. Le président russe a ordonné un retrait partiel des forces russes de la Syrie lors d’une visite, le 11 décembre, dans le pays déchiré par la guerre. Maintenant, le temps est venu de laisser parler les diplomates, pas les canons.

La victoire de la Russie en Syrie est l’un des principaux événements de ce siècle et, probablement, le seul exemple de réussite d’une opération militaire réalisée en peu de temps avec des résultats positifs, ouvrant la voie à un processus de négociation.

Lorsque l’opération a été lancée en septembre 2015, l’administration du président Bachar Assad était sur le point de s’effondrer, ses forces perdant sur tous les fronts. Il a été prédit que la Russie s’embourberait dans un conflit prolongé, ce qui saperait ses ressources tout en ne produisant aucun résultat. Beaucoup croyaient que l’armée russe était incapable de soutenir un déploiement à long terme si loin de ses frontières.

Ces prédictions étaient fausses. L’opération est un succès. La Syrie n’a pas été un bourbier pour la Russie, pas de répétition de l’Afghanistan. Les prophètes avaient tout faux.

Le gouvernement syrien est devenu plus fort et tient fermement le pouvoir, l’État islamique est mis en déroute et les restes des forces rebelles djihadistes ne contrôlent qu’une partie de la province d’Idlib et sont réduits à l’insignifiance.

La victoire a été obtenue avec des forces très limitées. Aucun déploiement significatif de troupes russes n’a eu lieu. Les pertes sont minimes – 41 hommes en deux ans. Le groupe des forces aérospatiales était estimé à 30-50 avions de combat et 16-40 hélicoptères en moyenne. Le rythme opérationnel a été très élevé durant la phase active – jusqu’à 100 sorties [quotidiennes] donnant lieu à environ 250 frappes. À la fin du mois de septembre, les Forces aérospatiales avaient effectué 30 650 sorties de combat en Syrie, effectuant environ 92 000 frappes contre 96 800 cibles terroristes, éliminant 53 700 terroristes. Dans l’ensemble, la Russie a perdu trois avions. L’un d’entre eux a été frappé par un avion turc et deux avions basés sur des porte-avions – un Su-33 et un MiG-29K – ont été perdus à la suite d’accidents, et non de tirs ennemis. Les drones russes ont effectué environ 15 000 sorties.

Les équipes des forces spéciales sont actives depuis le début de l’opération russe en Syrie. Elles font non seulement appel à des frappes aériennes et à des missiles de croisière, mais participent aussi directement à des affrontements armés avec les terroristes.

Les forces russes ont été bien approvisionnées quotidiennement par les avions de fret et les navires arrivant aux ports méditerranéens de Tartous et de Lattaquié.

En conséquence, les formations terroristes ont été coupées des routes d’approvisionnement. Et les flux financiers provenant des expéditions illégales de pétrole ont été stoppés.

La formation dispensée par les conseillers russes a considérablement amélioré les compétences professionnelles du personnel syrien, permettant aux forces gouvernementales de remporter une victoire après l’autre. Le personnel de soutien russe et les opérateurs spéciaux accompagnaient souvent les unités de l’armée syrienne au combat. Les officiers russes de haut rang et les généraux en mission de formation, de conseil et d’assistance ont souvent conduit les troupes syriennes à des victoires en partageant leur expérience et leur expertise. Le personnel du 5th Volunteer Assault Corps – la principale force de frappe de l’armée syrienne – a été recruté par les commandants russes, choisissant les bons candidats et les équipant de matériel russe.

Presque tous les hauts commandants militaires russes ont acquis une expérience de combat en Syrie. Beaucoup ont appris à commander des forces interarmées et à organiser des opérations humanitaires. En septembre 2017, 86% du personnel navigant des Forces aérospatiales a acquis de l’expérience au combat, y compris 75% des équipages de l’aviation à longue distance, 79% des équipages de l’aviation tactique, 88% des aéronefs de transport militaire. 89% des équipages d’aviation de l’armée de terre ont également servi en Syrie.

La Syrie est devenue un terrain d’essai pour les systèmes d’armes russes, dont beaucoup sont proposés à la vente dans d’autres pays. Les Forces aérospatiales ont utilisé des avions d’attaque Su-24M et Su-25, des chasseurs-bombardiers Su-34, des bombardiers stratégiques à longue portée Tu-22M3, Tu-160 et Tu-95, des Su-27SM, des Su-30SM et des Su-35S multirôles : chasseurs, intercepteurs MiG-31, hélicoptères de combat Mi-8, Mi-24, Mi-28N, Ka-52, avions d’alerte avancée A-50, avions de reconnaissance Tu-214R, avions de renseignement électronique Il-20M1 et avions de guerre électronique. Dans l’ensemble, la Russie a testé plus de 160 armes en Syrie, avec seulement 10 d’entre elles en deçà des attentes.

Les avions russes utilisent le nouveau sous-système de calcul spécial SVP-24 pour améliorer la précision des frappes. Il est installé sur les avions de combat Tu-22M, Su-24M et Su-25. Le sous-système utilise GLONASS, système de navigation par satellite pour comparer constamment la position de l’avion et la cible. Il mesure les paramètres environnementaux et reçoit des informations provenant des communications pour calculer une enveloppe (vitesse, altitude, cap) à l’intérieur de laquelle une bombe gravitationnelle est automatiquement déclenchée au moment précis. Même si GLONASS était bloqué, les innombrables capteurs permettraient à l’ordinateur de trouver une solution de ciblage. En conséquence, les bombes gravitationnelles frappent avec la même précision que les munitions guidées modernes.

Les leçons apprises de leur opération syrienne sont mises à profit à l’État-major, et cette connaissance est incorporée. La campagne syrienne a montré que les nouveaux chasseurs avancés russes Su-34, Su-35S et Su-30SM ont nécessité des modifications mineures à leurs commandes de vol et à leurs moteurs à la suite de l’expérience de combat. Les problèmes ont été corrigés sur place. La performance du Su-34 avec des armes comme la bombe guidée par GLONASS KAB-500S et des missiles guidés comme le Kh-25ML et le Kh-29L a été assez impressionnante pour valoir une distinction à Sergueï Smirnov, le directeur de Novosibirsk Aircraft Production Association. Des hélicoptères Mi-24P ont également été engagés, mitraillant les positions ennemies à basse altitude tout en tirant des leurres pour éviter d’être frappés par des missiles surface-air portatifs. Les SU-35 se sont également particulièrement bien vendus. La Chine en a acheté 24 en novembre 2015, l’Indonésie en a acheté 10 en avril 2016 et les Émirats arabes unis en ont également acheté 10 en mars.

Le plus récents missile de croisière air-sol de la Russie, le Kh-101 – l’arme de haute précision et de grande puissance la plus moderne, avec une portée notable de 4500 kilomètres – a montré un très haut degré de fiabilité. Ils ont été lancés par des bombardiers stratégiques Tu-95 et Tu-160.

La capacité de tirer des missiles de croisière à grande distance par voie maritime et aérienne montre que la Russie ne doit plus dépendre exclusivement des armes nucléaires.

Parmi les armes russe sophistiquées utilisées en Syrie, les missiles de croisière Kalibr (SLCM) lancés à partir de plates-formes marines, de surface ou sous-marines contre des cibles fixes terrestres situées à plus de 1 500 km de distance ont suscité le plus vif intérêt. Des frégates, des corvettes et des sous-marins dans la mer Méditerranée et dans la mer Caspienne ont lancé ces armes. Les lancements des systèmes verticaux (VLS) par des combattants sur le terrain, et des torpilles par les sous-marins étaient sans bavures. Il ne fait aucun doute que l’utilisation des missiles Kalibr pendant l’opération en Syrie augmentera considérablement le potentiel d’exportation de l’arme.

Le projectile explosif Krasnopol, lancé par des canons de 152 mm, stabilisé par des ailettes, semi-automatique guidé par laser, est une autre arme à mentionner ici. La portée est de 30 km. Il se focalise automatiquement sur un point éclairé par un indicateur laser, généralement exploité par un observateur d’artillerie au sol. Il est tiré principalement à partir d’obusiers autopropulsés russes tels que le 2S3 Akatsiya et le 2S19 Msta-S et destiné à engager des cibles au sol comme des chars, des pièces d’artillerie et des points forts. La probabilité de létalité est de 90%, en faisant une arme parfaite pour la guerre urbaine.

Le char T-90 s’est avéré être un outil de travail très efficace. Il a survécu et est resté opérationnel même après avoir été touché par des missiles antichars TOW livrés par les américains aux terroristes.

Les véhicules blindés anti-sabotage 15T56M BPDM ou Typhoon-M ont réussi à affronter n’importe quel terrain pour débarquer des troupes (16 hommes) et des marchandises, là ou il fallait, à la vitesse de 110km/h. L’expérience de combat en Syrie a montré qu’elle peut résister aux frappes directes de lance-roquettes. Les véhicules sont également efficaces pour les opérations humanitaires.

L’opération en Syrie a mis en évidence le manque de grands navires de débarquement. La France a refusé de respecter son contrat de vente à la Russie de deux navires d’assaut amphibie Mistral sous la pression des États-Unis pour punir Moscou de la réunification avec la Crimée. La Russie a réussi à faire face au problème sans aide extérieure. L’Ivan Gren, un grand navire amphibie, termine ses derniers essais avant de rejoindre le service de la marine russe. C’est ainsi que les leçons apprises se traduisent en actes.

L’expérience acquise et les leçons tirées de l’utilisation de la puissance aérienne, de la technologie moderne et des opérations spéciales définiront la planification militaire de la Russie pour les années à venir. L’opération a complètement renversé la tendance en Syrie. Elle a privé les terroristes d’une grande partie de leurs revenus, sapant gravement leur capacité à recruter de nouveaux adhérents, à acheter des armes et à diffuser l’idéologie djihadiste. Le succès a créé les conditions pour lancer une initiative russe visant à promouvoir un cessez-le-feu entre le gouvernement syrien et les groupes d’opposition « modérés ». Les champs de bataille sont devenus des zones de désescalade favorisées par le processus de paix d’Astana, dirigé par la Russie, la Turquie et l’Iran. L’espoir des Syriens pour une vie normale a été rétabli. Moscou est devenu le médiateur principal pour atténuer les différences entre les acteurs pertinents impliqués dans le conflit syrien. La Russie va accueillir ce mois-ci le Congrès syrien de dialogue national pour ce rassemblement.

L’opération militaire en Syrie a également réaffirmé le statut de la Russie en tant que superpuissance mondiale capable de projeter une force loin de ses propres frontières. Son empreinte régionale s’accompagne d’un certain poids pour en faire un acteur majeur au Moyen-Orient. La Russie a démontré sa capacité à conclure des accords avec divers acteurs importants, dont l’Iran, l’Arabie saoudite et d’autres monarchies du Golfe, la Turquie, Israël, l’Irak, la Jordanie… et d’autres. En octobre, le roi saoudien s’est rendu à Moscou. La Russie s’est accordée avec le Caire pour permettre à ses avions de combat d’utiliser les bases aériennes égyptiennes. Les deux nations sont préoccupées par la situation instable en Libye.

La forte position de la Russie dans la région est apparue en plein lumière le 11 décembre, avec le déplacement du président Poutine en Syrie, en Égypte et en Turquie dans une tournée très active d’une journée. Ayant gagné en Syrie, la Russie est perçue comme un acteur pragmatique, avisé et sensé, capable de peser sur les questions régionales par des moyens diplomatiques et militaires.

Andrei Akulov

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