Et si cette Eglise n’a peut-être pas de divisions au sens de Staline, elle en est une.
J’en viens à Ludwig Feuerbach.
Feuerbach est un grand philosophe athée qui a exercé une grande influence, y compris stylistique, sur des maîtres tels que Karl Marx ou Guy Debord.
Dans l’introduction à la deuxième édition de son livre sur le christianisme, il écrit ces phrases très justes et très sensées, qui annoncent notre ère postmoderne du simulacre et de la simulation, pour reprendre une expression que Baudrillard puis le film Matrix ont rendue célèbre. On est à l’époque de Flaubert ou Dostoïevski qui eux aussi se moquent comme ils peuvent du pseudo-christianisme de leur époque (voyez l’ignoré Idiot ou bien sûr Bouvard et Pécuchet).
Et cela donne :
« Pour ce temps-ci, il est vrai, qui préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être, cette transformation est une ruine absolue ou du moins une profanation impie, parce qu’elle enlève toute illusion. Sainte est pour lui l’illusion et profane la vérité. »
Feuerbach pressent la falsification de la société de l’image avant que celle-ci n’apparaisse. Mais le télégraphe, mais la presse, mais l’agence Reuters, mais la photographie sont déjà là… La société de l’ineptie actuelle est déjà là, et son abjection spirituelle qui se reconnaît dans le nullissime pape François qu’elle accepte sans broncher.
Feuerbach comprenait comme le jeune Marx de la question juive que Rome n’est plus dans Rome, que le chrétien moderne n’est pas vraiment chrétien. Il est coquet et sans caractère (pensez au mensch ohne eigenschaften, l’homme sans qualités de Robert Musil):
« J’ai déclaré par conséquent que, pour trouver dans le christianisme un digne objet d’étude, j’avais été obligé de faire abstraction du christianisme moderne, dissolu, confortable, épicurien, coquet et sans caractère, et de me reporter dans ces temps où la fiancée du Christ, vierge encore, chaste et pure, n’avait pas mêlé à la couronne d’épines de son fiancé céleste les roses et les myrtes de la Vénus païenne, dans ces temps où, pauvre en vérité des trésors de la terre, elle était riche et heureuse dans la jouissance des mystères d’un amour surnaturel. »
Puis Feuerbach enfonce le clou ; et à notre époque de culte papiste (papimane, disait déjà le pauvre Rabelais), ces phrases ne feront pas de mal à certains – et en confirmeront d’autres dans leurs prévarications (comme le remarque à ses frais mon amie Béatrice du site Benoit-et-moi.fr, on adore encore, on adore toujours les chasses aux sorcières et on est toujours prêt à accompagner la police de la pensée athée et multiculturelle pour les mener en humant l’odeur de la chair rôtie) :
« Depuis longtemps la religion a disparu et sa place est occupée par son apparence, son masque, c’est-à-dire par l’Eglise, même chez les protestants, pour faire croire au moins à la foule ignorante et incapable de juger que la foi chrétienne existe encore, parce qu’aujourd’hui comme il y a mille ans les temples son encore debout, parce qu’aujourd’hui comme autrefois les signes extérieurs de la croyance sont encore en honneur et en vogue. »
Feuerbach parle déjà, parle déjà, assez génialement je dois dire, de monde moderne, ce monde que les vrais chrétiens comme Léon Bloy ou Chesterton condamneront une génération plus tard en invoquant à tort ou à raison le moyen âge :
« Ce qui n’a plus d’existence dans la foi, — et la foi du monde moderne, comme cela a été prouvé à satiété par moi et par d’autres, n’est qu’une foi apparente, indécise, qui ne croit pas ce qu’elle se figure croire ; — ce qui n’existe plus dans la foi, doit, on le veut à toute force, exister dans l’opinion; ce qui en vérité et par soi-même n’est plus saint doit au moins le paraître encore. »
La foi est remplacée par l’opinion. Le mot doxa est ainsi promis à une riche manipulation. Je vous laisse découvrir ce grand auteur, qui n’est pas là vous ôter la foi, mais vos illusions sur la religion modernisée, cent ans avant le culte de l’abjection vaticane.
J’ajouterai ce morceau du meilleur guide de voyages de tous les temps, le voyage en Espagne de Théophile Gautier :
« Le peuple aussi commence à calculer combien vaut l’or du ciboire ; lui qui naguère n’osait lever les yeux sur le blanc soleil de l’hostie, il se dit que des morceaux de cristal remplaceraient parfaitement les diamants et les pierreries de l’ostensoir ; l’église n’est plus guère fréquentée que par les voyageurs, les mendiants et d’horribles vieilles, d’atroces duenhas vêtues de noir, aux regards de chouette, au sourire de tête de mort, aux mains d’araignée, qui ne se meuvent qu’avec un cliquetis d’os rouillés, de médailles et de chapelets, et, sous prétexte de demander l’aumône, vous murmurent je ne sais quelles effroyables propositions de cheveux noirs, de teints vermeils, de regards brûlants et de sourires toujours en fleur. L’Espagne elle-même n’est plus catholique ! »
Léon Bloy, encore et toujours :
«Et ce cortège est contemplé par un peuple immense, mais si prodigieusement imbécile qu'on peut lui casser les dents à coups de maillet et l'émasculer avec des tenailles de forgeur de fer, avant qu'il s'aperçoive seulement qu'il a des maîtres, — les épouvantables maîtres qu'il tolère et qu'il s'est choisis. »
Sources
Ludwig Feuerbach – L’essence du christianisme (préface à la deuxième édition)
Théophile Gautier – Voyage en Espagne, ch.14.
Paul Hazard – La crise de la conscience européenne
Nicolas Bonnal – Comment les peuples sont devenus jetables (Amazon.fr)
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