28 octobre 2016

Pas de gouvernement, pas de problème


Dimanche dernier, dans un sursaut défaitiste, les Espagnols ont, comme d’autres avant eux, renoncé à l’absence heureuse de gouvernement et ont replongé avec morosité dans les affres de la politique politicienne : grâce à l’accord des socialistes du cru, Mariano Rajoy devrait finalement prendre la tête d’un nouveau gouvernement en Espagne qui n’en avait plus depuis 10 mois.

Quelle tristesse.

Tout avait pourtant bien commencé puisqu’en décembre 2015, les élections législatives avaient permis d’aboutir à un parlement très morcelé et tiraillé entre différentes forces, dont aucune ne semblait pouvoir prendre la tête. Le Parti populaire (de Rajoy) perdait une soixantaine de sièges, qui ne sont pas revenus à l’opposition traditionnelle, le Parti socialiste. Ce sont finalement Podemos à l’extrême-gauche et Ciudadanos au centre qui récupèrent la déroute des deux principaux partis avec respectivement 69 et 40 sièges. Avec une telle répartition, difficile de faire s’entendre les différents courants politiques. La situation politique du pays s’en trouvera bloquée pendant 10 mois.

Or, pendant ces dix mois, alors que les politiciens se déchirent et se papouillent pour savoir qui prendra la tête du pays et comment se dépatouiller du bazar démocratique (une seconde élection, en juin, ne règlera pas le problème), la situation économique, elle, évolue nettement plus favorablement. Pendant son second trimestre, l’économie espagnole enregistre ainsi une croissance de 0,8% lié à l’augmentation des dépenses de consommation et de bonnes exportations. À l’année, les prévisions de croissance s’établissent ainsi à 3%, faisant mieux que la France, l’Allemagne ou les USA.

Ce regain d’activité économique se traduit d’ailleurs par une nette amélioration des salaires et de l’emploi. Si l’on y ajoute une année touristique exceptionnelle, l’Espagne profitant sans doute des déboires des pays méditerranéens touchés par les soubresauts terroristes, le tableau brossé est au moins aussi positif que la situation politique est, a contrario, tendue.

Y aurait-il un lien de cause à conséquence entre cette absence marquée de gouvernement pendant 10 mois et ces bons chiffres économiques ?

Difficile, dans ce contexte, de ne pas rapprocher le cas espagnol du cas belge, survenu il y a quelques années. On se souvient en effet des déboires du petit royaume lorsqu’en 2010 et 2011, confronté à une crise politique majeure si typiquement belge, le pays n’avait pu se doter de gouvernement pendant 541 jours (ce qui en fit un record homologué au Guinness, soit dit en passant).

Or, pendant cette période, le gouvernement sortant, en « affaires courantes », se retrouvait dans l’impossibilité d’engager de nouvelles dépenses, de lancer de nouvelles impulsions politiques et de partir en sucette dépensière comme on en a pourtant l’habitude dans ce genre de cas. Contraint à la sobriété législative, forcé à l’abstinence fiscale, la Belgique avait alors enregistré, exactement comme l’Espagne ces dix derniers mois, une période de prospérité remarquable qui lui avait alors assuré une croissance bien supérieure à 2% (pour 0.2% actuellement alors même qu’aucune crise politique majeure ne le secoue), le plaçant en tête des pays européens à l’époque.

Le schéma est troublant. Certains, nombreux, crieront à la pure coïncidence et se réfugieront dans cette explication hasardophile. Malgré tout, d’autres, plus avisés, noteront que les bons résultats économiques de ces deux pays sans gouvernements sont logiques.

En effet, l’absence de gouvernement signifie avant tout l’absence de budget spécifique voté pour financer les lubies et autres dadas idéologiques des politiciens. L’absence de gouvernement se traduit très concrètement par l’impossibilité pour nos ténors de lancer l’une ou l’autre idée dispendieuse, par l’incapacité de pousser ou de tirer sur l’un des pans économiques du pays, par la disparition des marges de manœuvres créatives en matière de finances publiques.

Ces deux exemples montrent en réalité en grandeur réelle que, dans un pays où règne déjà des institutions fonctionnelles et un état de droit, lorsque que le gouvernement n’impulse pas, ne dirige pas, ne gouverne pas, n’intervient pas et ne décide pas à la place des individus et des agents de marché livrés à eux-mêmes, tout se déroule nettement mieux.

Autrement dit, si l’on part d’une situation où la société est globalement fonctionnelle, l’absence de gouvernement ou, mieux encore, son évanouissement et son placement en position latérale de sécurité permettent mieux que toute autre politique un retour de la croissance, des emplois et de l’équilibre budgétaire.

Du reste, est-ce si difficile à croire ?

Est-il si impensable d’imaginer que nos politiciens ne font, la plupart du temps, qu’agir en mouche du coche qui ne fait en définitive qu’agacer les marchés, irriter les consommateurs, harceler les contribuables et effrayer entrepreneurs, patrons et commerçants ? N’est-ce pas justement l’art d’un gouvernement efficace que celui de savoir se faire oublier ? N’était-ce pas même le conseil avisé de ces armateurs de Saint-Malo que Louis XIV visitait et auprès desquels il s’était enquis de savoir s’il pouvait faire quelque chose pour les aider dans leur concurrence avec les Anglais, pour les entendre répliquer « Non, Sire. Surtout ne faites rien ! »…

Alors que se rapprochent les élections (présidentielle d’abord, législatives ensuite), et alors même qu’avec le bal des primaires de droite, on assiste à une déferlante de programmes politico-économiques les plus grotesques, la question de la pertinence même d’un gouvernement mérite amplement d’être posée et ces deux exemples concrets et européens, en zone euro, donnent une parfaite illustration du bénéfice qu’on pourrait retirer d’une France politiquement coincée.

En effet, dans 7 mois, nous allons voter pour déterminer quel clown aura le droit d’occuper l’Elysée pour les cinq prochaines années. À l’heure où ces lignes sont écrites, les principales têtes d’andouillesaffiche déclarées se résument à celles-ci : Mélenchon, Montebourg, Hollande, Juppé, Sarkozy, Le Pen. Aucune de celles-ci ne peut prétendre renouveler quoi que ce soit dans la vie politique françaises puisque tous, sans exception, y traînent leurs guêtres depuis plusieurs décennies. Tous, sans exception, nous promettent d’intervenir massivement avec des gouvernements aussi resserrés qu’hyperactifs, avec des programmes de tripotage de l’économie dans tous les sens possibles (le parfum d’intervention change en fonction de la tête, l’intervention, elle, reste imposée). Petite chance dans ce marasme : tous n’auraient aucune coudée franche, aucune marge de manœuvres pour leurs délires interventionnistes, à l’exception de Juppé ce qui en fait de loin le candidat le plus dangereux
 
 
Pourtant, la France n’aurait-elle pas plutôt besoin de faire une pause ? Ce pays ne serait-il pas mieux dans une longue crise politique de cinq années pendant laquelle aucune impulsion, aucune intervention, aucune nouvelle dépense pharaonique ne sera lancée, une période pendant laquelle aucune nouveauté catastrophique ne sera essayée au détriment de millions de contribuables, de millions de travailleurs, de millions d’entrepreneurs qui devront tous, au final, payer l’expérience au prix fort ? Ne serait-il pas temps de dire à tous ces aigrefins trop écoutés : « Surtout, ne faites rien » ?

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