08 mai 2016

"C’est surréaliste. On n’imagine pas qu’un peuple puisse faire cela à un autre"


Ancien préfet maritime de l’Atlantique, l’Amiral Laurent Mérer, désormais retraité, s’est rendu en Cisjordanie pour une mission bénévole. Bouleversé par les conditions de vie des Palestiniens, il a accepté de raconter son expérience à RT France.

RT France : Vous êtes en Cisjordanie depuis trois mois. Sur le terrain, que constatez-vous ?

Amiral Laurent Mérer : Moi qui connaissais peu le dossier, je ne réalisais pas à quel point la population palestinienne, qu’elle soit chrétienne ou musulmane, était soumise à une occupation de la part d’Israël. Sur place, je constate un véritable vol de sa terre. Les Israéliens grappillent petit à petit des portions de territoire. Le fait que des enfants soient soumis à des contraintes très lourdes pour aller à l’école et que l’accès aux lieux de culte pour les fidèles soit si compliqué est aussi très dur à constater. Et puis en parlant avec les soldats, on apprend aussi qu’ils ont des ordres très stricts qui font froid dans le dos : ils peuvent tirer sur des gamins de 12 ou 13 ans qui leur jettent des pierres par exemple ! A Hébron, où je suis actuellement, c’est encore pire qu’ailleurs, car il y a une très grande proximité entre les colons et les palestiniens, et surtout, une très grande proximité entre lieux de culte majeurs pour les trois religions. Hébron est une ville sacrée pour les juifs car c’était la première cité du roi David par exemple. C’est aussi ici qu’Abraham aurait vu les trois anges. Donc le poids culturel et religieux de la ville est immense, et ce qui est terrible, c’est que de ce fait vous avez affaire à des gens qui sont tous intimement persuadés qu’ils sont dans leur bon droit. Donc Hébron, c’est une ville entièrement militarisée avec des soldats tous les 20 mètres pour tenter d’éviter les débordements. Au souk, les marchands ont même été obligés d’installer des grillages sur leurs devantures pour que les extrémistes juifs ne leur jettent plus des ordures ou des excréments…Et quand vous voyez le regard de jeunes femmes de 20 ans, déjà mères et encore enceintes qui vous supplient de rester dans leurs villages car elles vous disent qu’elles se sentiront plus en sécurité…

C’est surréaliste. On n’imagine pas qu’un peuple puisse faire cela à un autre.

RT France : Vous dites qu’Israël fait passer les Palestiniens pour des terroristes alors qu’ils ne sont que des résistants.

Amiral Laurent Mérer : Vous savez, c’est une situation d’occupation. Ici on est en Palestine, mais on a connu ça en France aussi ! Comment appelait-on les gens qui s’opposaient à l’occupation des Allemands ? Ça ne veut pas dire que les palestiniens ont raison d’avoir recours à l’action violente, car ça peut compliquer la situation, et d’ailleurs beaucoup de Palestiniens raisonnables disent que ça ne mène à rien. Mais pour autant, on voit bien que ces actions sont désespérées. Elles sont souvent menées par des gamins de 12 ou 13 ans qui n’ont jamais connu rien d’autre dans leur vie que le check-point, le barbelé, le contrôle ou la fouille quand ils vont à l’école. Et ça fait 50 ans que ça dure…

Après, je voudrais aussi faire une parenthèse sur les soldats israéliens car il faut savoir qu’ils sont souvent très jeunes, ce qui joue beaucoup sur le cours des choses. Quand vous avez 18 ans, et qu’on vous met un M16 entre les mains, c’est parfois difficile de maitriser une situation. Je peux me mettre à leur place, ça a aussi été mon métier… Ils ont une peur profonde et légitime de se faire poignarder ou attaquer et ça on ne peut pas leur reprocher. On les met dans des situations très complexes, et du coup ça crée forcément des accidents.

C’est une situation d’occupation. Ici on est en Palestine, mais on a connu ça en France aussi

RT France : Et les attentats et attaques sur des civils israéliens, vous les comprenez ?

Amiral Laurent Mérer : Les attentats ne sont pas justifiables, mais vous savez, les Israéliens aussi attaquent des civils ! Aussi bien l’armée que les colons, qui pour beaucoup d’entre eux portent des armes en permanence…

RT France : Quand le Hamas cache volontairement des armes dans des écoles à Gaza, et a recours à des boucliers humains, ne croyez-vous pas que certains responsables palestiniens ont également leur part de responsabilité dans le malheur de la population ?

Amiral Laurent Mérer : Si bien sûr, et je pense d’ailleurs qu’on n’arrivera pas à résoudre ce conflit par la violence. Je ne peux pas parler de Gaza car je n’y suis pas allé, en revanche je suis allé aux alentours de Gaza, où j’ai pu voir des choses totalement interdites par le droit international, notamment une zone sur le territoire palestinien dans laquelle ils n’ont pas le droit d’aller et où il y a des systèmes de détection automatiques de présence qui déclenchent automatiquement de la mitraille. Avec ça, il y a je ne sais combien d’enfants palestiniens qui ont été cisaillés alors qu’ils venaient juste récupérer un ballon sur ce terrain ! La situation est très complexe, il faut donc regarder des deux côtés…

RT France : Parlant d’avenir, vous qui êtes un homme de la Marine nationale et un spécialiste de stratégie, avez-vous une solution à ce conflit ?

Amiral Laurent Mérer : Malheureusement à court terme je ne vois pas de solution. Il est certain qu’il n’y a pas d’avenir si le Hamas met des gosses en tant que boucliers et si Israël continue à développer des colonies sur une terre qui ne lui appartient pas. Beaucoup d’anciens responsables de la sécurité d’Israël le disent d’ailleurs, comme en atteste le documentaire The Gate Keepers, qui recueille les témoignages de six anciens du Shin Bet qui portent un regard très critique sur la politique israélienne dont ils pensent que la façon de procéder est inefficace et sans issue. Et pourtant le gouvernement israélien continue…alors que partout, et même en Israël, les gens qui réfléchissent un peu savent que ça ne mène nulle part ! Les Palestiniens sont résignés et n’ont plus d’espoir mais vous savez, cette situation désespère aussi les Israéliens : beaucoup ont peur pour l’avenir ! Après, aucune paix n’est impossible, quand on voit ce que l’on a réussi à accomplir en Europe avec nos voisins avec qui on a été si longtemps en guerre…Grace à nos leaders éclairés, il n’y a plus de frontières et on vit en paix. Pour le conflit israélo-palestinien, c’est peut être ça qu’il faudrait, des leaders éclairés…

Il est certain qu’il n’y a pas d’avenir si le Hamas met des gosses en tant que boucliers et si Israël continue à développer des colonies

RT France : Nous avons récemment interviewé des généraux «frondeurs», tels que Tauzin ou Piquemal, qui n’hésitent pas à manifester leur mécontentement ou à donner leur point de vue sur l’actualité. Inscrivez-vous dans ce mouvement ?

Amiral Laurent Mérer : Vous savez, quand j’ai eu des choses à dire et que j’ai voulu m’exprimer ou manifester mon désaccord, je l’ai toujours fait, que ce soit avec les politiques ou dans mes livres. Il est certain que mon passé me donne une certaine crédibilité, donc je veux en profiter. Après, je ne fais le jeu d’aucun lobby ! Je suis juste mon éthique et mes valeurs, je ne suis pas un frondeur. Dans le cadre de cette mission en Palestine par exemple, j’ai voulu faire les choses dans le respect des règles, et j’ai pris toutes les précautions pour ne pas interférer avec la politique de mon pays dans la région : j’ai signalé mon séjour et ma mission aussi bien au ministère des Affaires Etrangères avant de partir, qu’au consulat de France en arrivant par exemple. Après, il est certain que je me sens investi d’une mission après ce séjour, et que je compte bien profiter de mes relations pour faire entendre aux bonnes personnes ce que j’ai pu constater sur place. Je pense que c’est mon devoir.

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