"Terrorisme", "crimes contre l’humanité" : les catégories d’un système de domination |
Précaution liminaire
D’abord et avant tout, ne pas oublier que nos réflexions à tous sont conditionnées par des mois et des mois de répression aveugle sous le prétexte d’apologie de terrorisme. Nous avons vu, autour de l’affaire Charlie, comment ce terme vague était interprété par les magistratures (assise et debout). Alors que le projet de loi de décembre 2014 promettait de ne pas réprimer de simples abus dans l’exercice de la liberté d’expression, mais de ne s’attaquer qu’à la propagande directement promotrice du terrorisme, en réalité on a, sur le fondement de cette loi, poursuivi, condamné et puni des malades mentaux, des ivrognes, des enfants et des adolescents, des idéalistes, des intellectuels et des artistes au-dessus de tout soupçon d’appartenance à une organisation terroriste et aux antipodes de toute connivence avec celles-ci. L’affaire Charlie a été l’occasion de mesurer, avec une certaine horreur, le degré d’intoxication idéologique dont sont victimes la grande majorité de nos contemporains.
Et dans la journée même de ce vendredi 13, ce rouleau compresseur répressif n’est pas à l’arrêt, puisque, illustration supplémentaire, on venait précisément d’apprendre qu’Alain Soral faisait l’objet de poursuites pour « apologie de crime contre l’humanité ». Sur le fondement d’un message qu’il aurait posé sur son mur Facebook, page privée. On n’a pas trace de ce message, mais on se contente, pour le poursuivre, de le deviner, au vu des commentaires dont il aurait fait l’objet (un friend demande « quel boulot ? », et un autre lui répond « l’extermination des juifs »). Quelque chose qu’il aurait écrit à propos des époux Klarsfeld, au sujet de leur décoration de l’ordre du Mérite en Allemagne. Cinq ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende sont encourus pour cette seule phrase, qui, encore une fois, est supposée, et surtout, quand bien même elle serait attestée, ne peut même plus, dans le climat actuel, faire l’objet du moindre commentaire.
Par conséquent, il est établi que le système répressif est au point, et a pu le faire savoir à tous. Nous avons compris qu’il ne frappait jamais qu’à côté de la vraie cible. Dont acte.
Commentaires
Je ne trouve rien à enlever au commentaire que j’ai publié ici même le 7 janvier de cette année, « Bal tragique à Charlie Hebdo : douze morts », auquel je renvoie, car il a très bien vieilli.
J’ajoute simplement, au sujet du terrorisme, deux remarques, tirées des recherches que nous avons pu conduire, en France et en Syrie :
1. Parler de terrorisme c’est déjà du terrorisme. Un État dans la forme classique, un État digne de ce nom, pièce d’un ordre international authentiquement fondé sur le droit, respectueux de la souveraineté, un tel État s’interdirait l’emploi de ce terme. On peut parler de criminalité. On peut désigner les crimes en question : meurtre, destruction, coups et blessures, jusqu’aux violences légères, on peut, surtout, viser les commanditaires, les provocateurs et tous ceux qui sont les vrais responsables de la situation, mais, parler de terrorisme et de terroriste, c’est faire le jeu de la subversion de l’ordre, un ordre à la fois intérieur à l’État et international. Voilà qui ressemble à une dénonciation, non pas devant les tribunaux, mais devant l’opinion, et pour l’histoire. Les gouvernants qui emploient le vocable et qui y accrochent des législations d’exception sont soit dans l’erreur, soit criminels.
2. Tous aussi criminels, dans le droit fil de ce propos, ceux qui parlent de héros, de rebelles (fussent-ils « modérés »), de résistants ou de combattants pour désigner des gens qui mènent les hostilités de manière irrégulière au regard des lois et coutumes de la guerre, et qui objectivement se conduisent exactement comme des « terroristes », et ne peuvent se distinguer de ces derniers que par la cause de leurs actes. Lorsque la cause est jugée moralement juste, tout serait permis, mais lorsque la cause est condamnée, rien, et l’on vous fera payer même la balle de fusil qui vous abat.
Nous avons montré, dans un récent article, comment la réflexion peut s’orienter maintenant autour de l’articulation des catégories de crime contre l’humanité et de terrorisme, quel couple pervers elles constituent pour la subversion de tout ordre mondial digne de ce nom, comment elles sont constitutives d’un système de domination nouveau, qui n’est véritablement là que depuis Nuremberg, et qui durera le temps de notre asservissement.
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