De nos jours, lorsque les détracteurs de la religiosité s’évertuent à énumérer les crimes du christianisme, les croisades figurent habituellement en tête de liste, au même rang que l’Inquisition. Déjà au XIXe siècle, François-René vicomte de Chateaubriand déplora la mauvaise historiographie dont souffrent les croisades :
Les écrivains du XVIIIe siècle se sont plu à représenter les croisades sous un jour odieux. [...] Les croisades ne furent pas des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe, ni dans leur résultat. [...] Les chefs de ces entreprises guerrières n’avaient pas les petites idées qu’on leur suppose, et ils pensaient sauver le monde d’une inondation de barbares. [...] Où en serions-nous si nos pères n’eussent repoussé la force par la force ? Que l’on contemple la Grèce et l’on apprendra ce que devient un peuple sous le joug des musulmans. [...] Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l’Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes [1].
Les Maures ont été plusieurs fois sur le point d’asservir la Chrétienté. Et quoique ce peuple paraisse avoir eu dans ses mœurs plus d’élégance que les autres Barbares, il avait toutefois dans sa religion, qui admet la polygamie et l’esclavage, dans son tempérament despotique et jaloux, il avait disions-nous, un obstacle invincible aux lumières et au bonheur de l’humanité. Les ordres militaires d’Espagne, en combattant ces infidèles, nous ont donc [...] préservés de très grands malheurs. [...] On a blâmé les chevaliers d’avoir été chercher les infidèles jusque dans leurs foyers. Mais on n’observe pas que ce n’était, après tout, que de justes représailles contre des peuples qui avaient attaqué les premiers les peuples chrétiens : les Maures [...] justifient les croisades. Les disciples du Coran sont-ils demeurés tranquilles dans les déserts de l’Arabie, ou n’ont-ils pas porté leur loi et leurs ravages jusqu’aux murailles de Delhi et jusqu’aux remparts de Vienne ? Il fallait peut-être attendre que le repaire de ces bêtes féroces se fut rempli de nouveau, et parce qu’on a marché contre elles sous la bannière de la religion, l’entreprise n’était ni juste ni nécessaire ! Tout était bon, Teutatès, Odin, Allah, pourvu qu’on n’eût pas Jésus-Christ [2] !
Soulignons que l’épopée des croisades ne fut pas la première fois dans l’histoire où l’on se battit pour la possession de la Terre sainte. Par exemple, en l’an 628 de notre ère, l’Empire byzantin (de confession chrétienne orthodoxe) l’avait reconquise sur les Perses sassanides (de confession mazdéenne zoroastriste) qui la leur avaient ravie en 614.
Il est important d’insister que les seigneurs francs sont intervenus au Proche-Orient car le Basileus (Empereur byzantin) avait imploré leur aide dans l’espoir de récupérer ses contrées asiatiques occupées par les mahométans. En 1071, les Turcs convertis à l’islam avaient infligés une défaite majeure à Byzance lors de la bataille de Manzikert en Arménie où l’Empereur Romain IV Diogène fut fait prisonnier [3]. S’ensuivit une déroute de l’armée byzantine qui permit aux Turcs d’occuper la Syrie et de progresser en Anatolie. Le 1er mars 1074, le nouvel empereur byzantin, Michel VIII, adressa une lettre de secours aux chrétiens d’Occident, les enjoignant de faire preuve de charité comme le Seigneur le fit. Malgré les efforts du pape Grégoire VII, les Occidentaux n’allèrent pas prêter main forte à leurs frères d’Orient immédiatement [4]. Les Turcs prirent Nicée en 1075. Par 1082, presque toute l’Asie mineure était tombée sous la domination turco-islamique.
L’empereur suivant, Alexis Comnène, impuissant face à la foudroyante avancée ennemie et sachant que les Turcs seront bientôt aux portes de Constantinople, envoya une embrassade quérir des renforts dans le reste de la Chrétienté en 1094. Les Occidentaux étaient conscients que l’étau se resserrait sur l’Europe chrétienne et cela les préoccupaient de plus en plus.
En 1095, en réponse à la demande de Byzance, le pape Urbain II prononça un prêche galvanisant au Concile de Clermont qui donna le coup d’envoi à la première croisade [5]. À l’issue de celle-ci, il était prévu qu’Édesse, Antioche et Jérusalem soient rétrocédés aux Byzantins, mais après que ceux-ci aient joué dans le dos du contingent occidental pendant le siège de Nicée, le corps expéditionnaire croisé décida de faire cavalier seul et de conserver ses gains territoriaux [6].
Cicéron, un illustre sénateur romain et orateur hors pairs ayant vécu au Ier siècle avant notre ère, a posé les critères de la guerre juste. Pour être moralement justifiable, la guerre doit être faite « pour repousser l’ennemi ou pour venger une attaque [7] ». En fidélité à ces principes, Gratien, un éminent juriste scolasticien du XIIe siècle, expliqua dans son célèbre Decretum que pour être légitime, la guerre doit être faite « pour la défense de la patrie attaquée ou la récupération de biens spoliés [8] ».
En remettant les croisades dans leur contexte historique, on se rend compte qu’elles respectent assez bien les critères de la guerre juste. Assurément, plusieurs actes perpétrés par certains éléments indisciplinés de ces grands pèlerinages armés sont d’emblée condamnables. Désorganisés, mal encadrées et sans véritable commandement central, plusieurs des hommes prenant le chemin du Saint-Sépulcre (ou feignant le faire) ont, concédons-le, commis les crimes propres à toutes les guerres de large envergure.
Cela étant dit, la chronologie des événements rend indéniable le fait que les croisades furent la réaction occidentale à près d’un-demi millénaire d’agression islamique contre la Chrétienté. Avant que les chrétiens d’Europe de l’Ouest ne lancent leur première croisade, les musulmans avaient déjà conquis par la force des armes les deux tiers du monde chrétien (qui incluait alors la Mésopotamie et toute l’Afrique du Nord) [9] et massacré ou réduit en état d’infériorité juridique (dhimminitude) la moitié des chrétiens de la terre [10]. Dans le seul siècle ayant suivit la mort de Mahomet, on estime qu’environ 3200 églises furent rasées ou transformées en mosquées [11].
Souvenons-nous qu’en 827 les Arabes avaient envahis la Sicile et l’Italie du Sud et qu’en 846 ils avaient même assiégés Rome [12]. Ils multipliaient les raids sur la Sardaigne et la Corse. Après avoir traversés le détroit du Gibraltar et s’être emparés de la péninsule ibérique en 711, les Sarrazins avaient tentés de conquérir la Gaule mérovingienne ; ils en furent empêchés par la bravoure de Charles Martel et de la cavalerie franque à la Bataille de Poitiers en 732. Pépin le Bref, Charlemagne et Guillaume VIII d’Aquitaine durent eux aussi combattre la menace mahométane en Septimanie puis en Hispanie [13]. Dans cette perspective historique, nous devons considérer les croisades comme des guerres défensives. À long terme, les Occidentaux avaient le choix d’être subjugués par l’Islam ou bien de résister. Sans les croisades et les entreprises militaires similaires (la Reconquista puis les Saintes Ligues contre les Ottomans), il est clair que notre civilisation aurait été anéantie.
Ajoutons qu’en 937, l’église de la Résurrection et l’église du Calvaire à Jérusalem furent brûlées par le pouvoir arabo-musulman. En 1009, le calife Al-Hakim fit détruire l’église du Saint-Sépulcre et profaner le tombeau du Christ, et imposa des conversions forcées aux chrétiens [14]. En 1056, les habitants chrétiens de la cité sainte furent expulsés hors des murs. En 1078, les Turcs musulmans interdirent aux pèlerins chrétiens l’accès à Jérusalem et à ses lieux saints. Or en Europe médiévale, on considérait depuis des siècles que la libre circulation au berceau du christianisme était un droit sacré. Ainsi, la sécurisation de Jérusalem et de la route y menant par ceux qui prirent le nom de soldats du Christ doit indiscutablement être vu comme remplissant les conditions nécessaires de la guerre juste.
La persécution des chrétiens d’Orient précédant les croisades est une réalité historique amplement documentée qui suffit à elle seule à légitimer moralement l’intervention occidentale [15]. Même si les colonnes croisées ont saccagés quelques villes orthodoxes en Europe de l’Est et que leurs relations avec les autorités byzantines étaient généralement tendues, il est avéré que les croisés ont nettement amélioré la situation des chrétiens d’Orient dans les territoires du Levant qu’ils administraient [16].
Rappelons également que les barons francs, flamands et normands avaient infligé de sévères défaites aux mahométans en Anatolie en 1097. Un vaste territoire s’étendant de l’Ionie au Pont (incluant Nicée, Dorylée, Smyrne, Éphèse et Milet) fut restitué à l’Empire byzantin, et était encore sous sont contrôle au moment de la chute du dernier bastion latin en Terre sainte, Saint-Jean-d’Acre, en 1291. Par la suite, les Turcs durent mettre leurs énergies et leurs ressources sur la récupération de cette zone tampon avant de pouvoir arriver aux Dardanelles et débarquer dans les Balkans.
Justement, en 1299, soit à peine huit ans après que les croisés furent définitivement chassés de Terre sainte, la ville anatolienne de Bilecik fut perdue par Byzance aux mains des Turcs qui y proclamèrent l’Empire ottoman. « En accourant à l’aide des chrétiens orientaux, les croisés d’Occident vont repousser de quatre siècles la chute de Constantinople [17]. »
L’HÉRITAGE DES CROISADES EN OCCIDENT
Après que les troupes occidentales aient libéré la Terre sainte en 1917, Henri Joseph Gouraud, un général français ayant affronté les Turcs à Gallipoli, se rendit à la tombe de Saladin située à Damas. Il donna un coup de pied dessus et s’exclama « Saladin, réveilles-toi, ON EST ICI ! » La revue britannique Punch publia un dessin intitulé La dernière croisade où Richard Cœur-de-Lion s’écriait devant Jérusalem « Mon rêve enfin devenu réalité [18] ! » L’année suivante, le Premier ministre du Royaume-Uni, David George Lloyd, déclara à l’occasion d’un discours officiel à Jérusalem que « la guerre des croisades est maintenant terminée. »
[1] François-René DE CHATEAUBRIAND, Itinéraire de Paris à Jérusalem, volume 1, Paris, P.-H. Krabbe, 1848, p. 362-363.
[2] François-René DE CHATEAUBRIAND, Oeuvres choisies – Génie du christianisme, tome 3, Paris, Pourrat Frères, 1834, p. 139-140.
[3] André LARANÉ, « Désastre byzantin à Malazgerd », Hérodote, [En ligne], http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=10710819 (Page consultée le 1er février 2011)
[4] Thomas MADDEN et al. Les Croisades, Londres, Duncan Baird Publishers, 2004, p. 28 sur 224.
[5] Christophe DICKÈS et Jacques HEERS, « L’appel de Clermont », Canal Académie – Institut de France, [En ligne], http://www.canalacademie.com/27-novembre-1095.html (Page consultée le 1er février 2011)
[6] Marc CARRIER, « La première croisade (1095-1099) », Université de Sherbrooke, [En ligne], http://pages.usherbrooke.ca/croisades/croisade1.htm (Page consultée le 1er février 2011)
[7] Richard SORABJI, The Ethics of War, Burlington, Ashgate Publishing, 2006, p. 14-15 sur 253.
[8] Philippe CONTAMINE, La guerre au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, 516 p.
[9] Thomas MADDEN, « Crusade Propaganda – The Abuse of Christianity’s Holy Wars », National Review, [En ligne], http://www.nationalreview.com/articles/220747/crusade-propaganda/thomas-f-madden (Page consultée ler février 2011)
[10] Bill BATHMAN, « Consider the Unthinkable – What if we lose this war ? », In Touch Mission, [En ligne], http://www.intouchmission.org/wp-content/uploads/0409_consider-the-unthinkable.pdf (Page consultée le1er février 2011)
[11] Peter HAMMOND, Slavery, Terrorism & Islam – The Historical Roots and Contemporary Threat, Cape Town, Christian Liberty Books, 2005, 166 p. [Résumé en ligne sur Frontline Fellowship], http://www.frontline.org.za/news/end_of_islam.htm (Page consultée le 1er février 2011)
[12] Sylvain GOUGUENHEIM, Aristote au Mont Saint-Michel – Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Seuil, 2008, p. 29 sur 280.
[13] Pierrick AUGAIN, « Guillaume VIII d’Aquitaine (1058-1086) », Passion & Patrimoine, [En ligne], http://www.passion-patrimoine.net/article-guillaume-viii-d-aquitaine-1058-1086-63806563.html (Page consultée le 1er février 2011)
[14] Jean RICHARD, « Face aux croisés », L’Histoire, no 337, décembre 2008, p. 52-55.
[15] Robert SPENCER, The Politically Incorrect Guide to Islam and the Crusades, Washington, Regnery Publishing, 2005, 270 p. [Traduction collective en ligne], Le Guide Politiquement Incorrect de l’Islam et des Croisades, http://gpii.precaution.ch/ (Site consulté le 1er février 2011)
[16] Jean RICHARD, opere citato, p. 52-55.
[17] André LARANÉ, « De l’appel de Clermont au départ des croisés », Hérodote, [En ligne], http://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=82&ID_dossier=144 (Page consultée le 1er février 2011)
[18] Thomas MADDEN, opere citato, p. 204-205.
Source
[2] François-René DE CHATEAUBRIAND, Oeuvres choisies – Génie du christianisme, tome 3, Paris, Pourrat Frères, 1834, p. 139-140.
[3] André LARANÉ, « Désastre byzantin à Malazgerd », Hérodote, [En ligne], http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=10710819 (Page consultée le 1er février 2011)
[4] Thomas MADDEN et al. Les Croisades, Londres, Duncan Baird Publishers, 2004, p. 28 sur 224.
[5] Christophe DICKÈS et Jacques HEERS, « L’appel de Clermont », Canal Académie – Institut de France, [En ligne], http://www.canalacademie.com/27-novembre-1095.html (Page consultée le 1er février 2011)
[6] Marc CARRIER, « La première croisade (1095-1099) », Université de Sherbrooke, [En ligne], http://pages.usherbrooke.ca/croisades/croisade1.htm (Page consultée le 1er février 2011)
[7] Richard SORABJI, The Ethics of War, Burlington, Ashgate Publishing, 2006, p. 14-15 sur 253.
[8] Philippe CONTAMINE, La guerre au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, 516 p.
[9] Thomas MADDEN, « Crusade Propaganda – The Abuse of Christianity’s Holy Wars », National Review, [En ligne], http://www.nationalreview.com/articles/220747/crusade-propaganda/thomas-f-madden (Page consultée ler février 2011)
[10] Bill BATHMAN, « Consider the Unthinkable – What if we lose this war ? », In Touch Mission, [En ligne], http://www.intouchmission.org/wp-content/uploads/0409_consider-the-unthinkable.pdf (Page consultée le1er février 2011)
[11] Peter HAMMOND, Slavery, Terrorism & Islam – The Historical Roots and Contemporary Threat, Cape Town, Christian Liberty Books, 2005, 166 p. [Résumé en ligne sur Frontline Fellowship], http://www.frontline.org.za/news/end_of_islam.htm (Page consultée le 1er février 2011)
[12] Sylvain GOUGUENHEIM, Aristote au Mont Saint-Michel – Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Seuil, 2008, p. 29 sur 280.
[13] Pierrick AUGAIN, « Guillaume VIII d’Aquitaine (1058-1086) », Passion & Patrimoine, [En ligne], http://www.passion-patrimoine.net/article-guillaume-viii-d-aquitaine-1058-1086-63806563.html (Page consultée le 1er février 2011)
[14] Jean RICHARD, « Face aux croisés », L’Histoire, no 337, décembre 2008, p. 52-55.
[15] Robert SPENCER, The Politically Incorrect Guide to Islam and the Crusades, Washington, Regnery Publishing, 2005, 270 p. [Traduction collective en ligne], Le Guide Politiquement Incorrect de l’Islam et des Croisades, http://gpii.precaution.ch/ (Site consulté le 1er février 2011)
[16] Jean RICHARD, opere citato, p. 52-55.
[17] André LARANÉ, « De l’appel de Clermont au départ des croisés », Hérodote, [En ligne], http://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=82&ID_dossier=144 (Page consultée le 1er février 2011)
[18] Thomas MADDEN, opere citato, p. 204-205.
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