04 janvier 2014

Des origines de la violence éducative à l'espoir de sa fin

Quand on évoque les origines de l'humanité et les différents périodes de la préhistoire, personne ne parle jamais du moment, pourtant capital, où les hommes se sont mis à utiliser la violence pour éduquer leurs enfants.
Ce moment, en effet, a été une véritable rupture. Aucune espèce de primate proche de l'homme ne frappe ses petits. Renseignements pris auprès de chercheurs du zoo de Planckendael à Anvers, où se trouve une colonie de bonobos (les singes les plus proches de nous), les mères bonobos, ignorent même le geste de frapper à main ouverte, comme pour gifler ou fesser, geste qui nous semble si spontané. Quand son petit risque de se mettre dans une situation dangereuse, la mère l'éloigne du danger mais ne le frappe jamais. C'est seulement lorsque leurs petits sont devenus adolescents, presque adultes, qu'elles s'attaquent à eux s'ils menacent de s'en prendre aux petits. Il est donc à peu près certain que les parents humains, aux origines les plus lointaines de l'humanité, ne frappaient pas non plus leurs petits. Le geste de frapper n'est pas inné. Il appartient à notre culture humaine et non à notre nature animale.
Il faut ajouter que, dans ses comportements innés, non seulement rien ne prépare le petit primate qu'est le bébé humain à subir la violence de la part de sa base de sécurité, mais même le comportement inné qui prépare l'organisme à se défendre en cas d'agression devient destructeur lorsque l'agression vient de sa mère. En effet, le comportement inné de sauvegarde qui prépare en quelques dixièmes de seconde le primate que nous sommes à fuir ou à combattre est totalement inadapté à une menace venant de sa base de sécurité. Les expériences de Henri Laborit (cf. le film d'Alain Resnais Mon oncle d'Amérique) ont montré que, dans une situation où un animal ne peut ni fuir ni combattre, les hormones destinées à préparer l'organisme à ces comportements deviennent autodestructrices et attaquent notamment les neurones. Or, cette situation est exactement celle de l'enfant frappé par sa mère. La combattre lui est impossible et il ne peut la fuir puisqu'il en est entièrement dépendant et que tout le ramène à elle.
Pourtant, il y a eu dans la préhistoire ou dans l'histoire de l'humanité un moment où les parents humains se sont mis à agir contre leur propre nature et contre celle de leurs enfants en les frappant. Et ce comportement est devenu quasiment universel. Il remonte au moins aux toutes premières civilisations (le témoignage le plus ancien date de Sumer) et très probablement avant, puisque la violence éducative se constate aussi aujourd'hui dans des sociétés sans écriture.
On peut supposer que cela s'est produit lorsque les comportements sociaux se sont éloignés à un tel point des comportements innés qu'il a fallu forcer les enfants pour qu'ils acceptent de s'y plier. Il n'est pas impossible que ce moment date des premiers rites d'initiation cruels (circoncision, excision et autres) auxquels il fallait contraindre les enfants par la force. Toutefois, certaines sociétés sans écriture semblent avoir échappé à cet usage si l'on en croit Margaret Mead et Claude Lévi-Strauss qui disent ne pas avoir observé de châtiments corporels respectivement chez les Arapesh de Nouvelle-Guinée et les Nambikwaras d'Amazonie.
Quoi qu'il en soit, à partir du moment où les parents humains se sont mis à frapper leurs enfants, un changement radical s'est produit pour tout le reste de l'histoire de l'humanité, et cela en une génération ou guère plus. En effet, si c'est vraisemblablement une cause extérieure (les rites d'initiation par exemple) qui a provoqué ce changement, lorsque la génération suivante, la première à avoir été battue, a eu elle-même des enfants, elle n'a plus eu besoin de cause extérieure pour les battre. Elle l'a fait simplement poussée par une cause intérieure : la compulsion de répétition qui l'amenait à reproduire ce qu'elle avait subi enfant. C'est-à-dire qu'en quelques générations, peut-être en une seule, l'humanité s'est enfermée dans un cycle de violence dont elle n'a plus pu sortir et dont nous ne sommes toujours pas sortis. Chaque génération assurait la reproduction de l'usage des châtiments corporels en les pratiquant sur sa progéniture.
Qui a jamais tenu compte de ce changement fondamental dans l'histoire de l'humanité?
Or, cette révolution capitale a introduit un brouillage radical de notre vision de nous-mêmes. Pendant des milliers d'années, on a édifié des religions, des philosophies, des morales à partir de conceptions de l'homme qui ne tenaient aucun compte du fait que tous les hommes avaient été battus comme plâtre dans leur très jeune âge. Considèrerait-on que quelqu'un qui n'a connu que des chevaux et des chiens battus dès leurs premières années et donc rendus pathologiquement peureux ou pathologiquement violents par ce traitement, connaît les chevaux et les chiens tels qu'ils sont? Nous avons des hommes la même connaissance illusoire et nous devrions réexaminer toutes nos religions, nos philosophies et nos morales en tenant compte de ce paramètre.
Si personne jusqu'à nos jours, plus précisément jusqu'à Alice Miller, n'a pris conscience de cette révolution et du brouillage qu'elle a entraîné dans la connaissance que nous pouvions avoir de nous-mêmes, c'est qu'une autre de ses conséquences est d'avoir produit dans le psychisme des hommes un point aveugle, un angle mort de la vision qui les empêche de tenir compte de la manière dont les enfants sont traités et des conséquences que cela provoque. Dans les sociétés où tous les enfants sont soumis à la violence éducative, ce qui a été le cas pendant des millénaires, les enfants frappés n'ont pas d'autre possibilité que de s'identifier aux parents qui les frappent, d'accepter les jugements dont ils les accablent et de considérer qu'ils sont justement frappés. Devenus adultes, ils n'ont plus la possibilité de remettre en question la manière dont on les a traités et ils traitent de la même manière leurs propres enfants sans se poser la moindre question. Ils voient donc la source de la violence non pas dans la violence éducative mais dans l'enfant à qui elle est appliquée. C'est le cas de ceux qui croient à un péché originel, à une animalité brutale et violente qui habiterait l'enfant, à des pulsions qui le pousseraient au parricide ou à l'inceste, à la pulsion de mort, à la "cruauté du nouveau-né", à la violence fondamentale, etc.
Nous commençons à peine, depuis deux ou trois siècles, à sortir, très lentement et progressivement, de ce cercle de violence. Les premiers signes d'une évolution sont apparus au moment de la Renaissance en Europe. Mais on ne contestait en général que la violence éducative scolaire et la violence parentale restait tabou. Cette évolution a pris plus d'ampleur à partir du XVIIIe siècle. Quelques écrivains (Bernardin de Saint-Pierre, Legouvé, Jules Vallès) ont commencé à parler de la violence parentale. Plus tard, des médecins, quelques psychanalystes, des manuels de puériculture adressés aux parents ont commencé à la déconseiller. Le seuil de violence à partir duquel on commençait à parler de maltraitance s'est abaissé progressivement. Si bien que, dans la deuxième moitié du XXe siècle, dans les pays européens où cette évolution a eu lieu, un bon nombre d'enfants n'ont connu que des châtiments corporels assez faibles par rapport à ce qui se pratiquait auparavant et à ce qui se pratique dans la majorité des autres régions du monde et une petite minorité même n'a jamais subi de coups. Cette atténuation de la violence éducative n'est probablement pas pour rien dans le fait que ces pays n'ont plus connu de guerre depuis près de cinquante ans. En revanche, les régions de l'Europe où l'éducation est restée très traditionnelle et donc violente connaissent encore des conflits violents ou des actes fréquents de terrorisme (Irlande, ex-Yougoslavie, Pays Basque).
Sur le plan mondial, tous les pays, à l'exception des Etats-Unis et de la Somalie, ont signé la Convention relative aux droits de l'enfant. L'article 19 de cette Convention fait obligation aux Etats de protéger les enfants contre toute forme de violence, y compris la violence éducative, si faible soit elle. Tous les Etats signataires sont tenus de présenter tous les cinq ans au Comité des droits de l'enfant des Nations unies un rapport sur les progrès de l'application de cette Convention.
Si les individus, les associations, les médias se mobilisent pour obtenir que cette Convention soit rapidement appliquée, que les châtiments corporels infligés aux enfants soient interdits partout et pour qu'une aide soit apportée aux parents en difficulté, il est très vraisemblable qu'en un petit nombre de générations, on considérera comme barbare le fait d'avoir frappé les enfants et les relations humaines s'amélioreront considérablement à tous les niveaux. Car les châtiments corporels n'ont pas seulement pour effet de rendre violents ou soumis à la violence ceux qui les subissent, ils affaiblissent leur capacité de compassion (la compassion s'apprend par la compassion qu'on a soi-même reçue), ils perturbent leur sens moral en leur faisant confondre le bien et le mal ("je te fais mal pour ton bien") et ils enferment leur intelligence dans des limites qui les empêchent de sortir de la culture de la violence, exactement de la même façon que les femmes qui ont subi l'excision sont les premières à exiger que leurs filles la subissent à leur tour.
Au contraire, le fait que les enfants n'auront pas acquis dès leur plus jeune âge, par la violence éducative, le réflexe conditionné de la violence ou de la soumission à la violence, libérera leur imagination et leur permettra de trouver des solutions de compromis pacifiques aux conflits qui naissent inévitablement des relations humaines.
Le cycle de violence dans lequel l'humanité s'est enfermée en une ou deux générations il y a quelques milliers d'années peut ainsi se rompre, ce qui lui assurera, s'il en est encore temps compte tenu des dégâts déjà causés à la planète, un avenir sensiblement meilleur que ce qu'a été son passé.
 
Alice MillerSource

5 commentaires:

  1. Tout ça c'est super mais à la base les gens qui veulent mettre en place ça, prône également la protection des enfants par l'Etat, et quand tu vois qu'une ministre ou je ne sais plus quoi a dit que les enfants appartiennent à l'Etat et pas aux parents, on voit où ils veulent en venir. ces enfoirés.

    Criminalisation des parents qui mettent une fessée à leur gamin qui fait n'importe quoi, retrait de la garde de l'enfant 'maltraité' et envoi direct dans un bordel pédophile pour politiciens ou dans un camp d'endoctrinement de l'Etat.

    En plus c'est bien beau de remettre les guerres sur le dos des chatiments corporels reçus étant enfant. Alors qu'on sait bien quels sont les alliés de Satan qui déclenchent chaque guerre de ce monde.

    Ils veulent des moutons passifs et pacifistes alors qu'en face ils sont armés à fond avec une armée d'hommes de main en uniforme prêts à vous tabasser ou vous tuer.

    Bref j'adhère pas du tout à ça.

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  2. La violence éducative existe depuis toujours chez les animaux et les humains.

    Les guerres ? :
    Illuminati, le culte qui a détourné le Monde - Henry Makow
    http://www3.zippyshare.com/v/39122422/file.html

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  3. C'est quoi cet article qui culpabilise les parents ?!
    En quoi des parents bonobos sont-ils comparables aux parents humains ?
    Les parents bonobos ne se tapent pas les transports en commun pour aller gagner sa croûte chez un employeur dont ils doivent supporter les humeurs.
    Les humains se chargent de les nourrir dans des zoos où ils n'ont pas leur place d'ailleurs. Ça, c'est une violence !
    Les petits bonobos ne font pas des caprices comme les petits humains.
    Les bonobos ne regardent pas la télé qui les bombardent de pubs pour la consommation à outrance.
    Les bonobos ne regardent pas de films violents en actions et en paroles et qui les feront se retourner contre leurs parents.
    Les bonobos ne vivent pas dans un monde matérialiste et concurrentiel où tout le monde doit être beau, très beau.
    Les singes sont des singes et les hommes des hommes.
    J'ai vu des enfants élevés sans jamais de claques. C'étaient des petits monstres; ils n'avaient rien d'humain.
    Proverbes 28,29-15 : le bâton et la réprimande donnent la sagesse, mais le jeune homme livré à lui-même fait honte à sa mère.
    Proverbes 28,29-17 : châtie ton fils, tu seras tranquille et il te comblera de délices.

    La Bible est faite pour les humains, pas pour les bonobos.


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  4. Je viens de lire justement quelques explications de Tchalai sur les tziganes Rom. Elle explique qu'ils ne battent jamais leurs enfants qui expérimentent la vie eux-même. Effectivement, je me suis trouvée en contact en milieu scolaire avec des enfants Rom qui vivaient en caravane. J'ai pu constater qu'ils sont infiniment plus calmes et matures que les autres.

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  5. Les commentaires qui précèdent le mien reflètent ma pensée:

    Ce texte viens compléter et justifier la police qui a condamné le père qui a fessé son fils, d'un élu qui a dit que nos enfants ne nous appartiennent pas...
    Nous aurons pour tâche d'élever nos enfants, mais leur devenir et leur éducation ne nous appartiendront plus...

    La société ne peut pas diriger ni faire traailler son peuple uniquement avec des bonbons, la police est là pour cela et la justification de l'acte de la police est la loi...
    La loi familiale n'est pas écrite, pourtant les parents appliquent ce qui a toujours été à leurs yeux ce qui est le mieux pour ceux qu'ils aiment.

    La violence parentale existe quand la société pervertis les mœurs, l'économie, les liens sociaux, les méthodes familiales ne marchent plus. Quand il y a un risque concernant la vie de l'enfant, une personne extérieure peut intervenir.
    Il a été dit qu'être parent ce n'est pas un métier, c'est un art... Nous sculptons chaque instant l'avenir de ceux que nous aimons et pour ce faire, il n'y a pas de truc tout fait comme en technique. Il faut savoir manier le bâton et la carotte.

    J'ai moi ,comme Anonyme 5janvier2014 17:44, aussi remarqué que les enfants élevés sans jamais de claques affrontent le monde sans être conscient des conséquences de ses actes et commet des erreurs car inconscient des limites et se laissaient aller volontier à la paresse en cas de problèmes. Un peu comme Icare.

    Un enfant trop adapté -comprendre soumis - n'a pas la véhémence de relever les défis ni de penser autrement.

    Les braves bonobos sont un bel exemple, mais je crois aussi que les hommes ainsi que la société peuvent être comparés au monde végétal. Nous nous battons tous pour avoir notre place au soleil, l'arbre dans la forêt, chaque feuille de l'arbre et chaque pétale des fleurs se battent pour avoir sa place au soleil. C'est la raison pour laquelle, une réponse pratique a été trouvée afin que chacun puisse profiter au mieux du soleil: la position fractale. Les positions fractales dans les plantes ont la propriété de faire que jamais une feuille ne se superpose exactement au dessus d'une autre il en sera de même des branches, des pétales ou d'une arbre.

    Chaque parent garde une parcelle de cette sagesse que je qualifierait de fractale et sachant que les parents vivent au jour le jour auprès de leurs enfants, ils savent au mieux à quel moment appliquer cette sagesse, les fessées comme les bonbons afin que l'arbre ne pousse pas tordu.

    En faisant disparaitre les fessées par force inconsciente au sein des familles comme dans ce texte, est ce que les ingénieurs sociaux qui pondent ce genre de textes connaissent les conséquences de leurs décisions? Comment voient ils notre société dans plusieurs siècles.
    Ce texte ne fait que suggérer fortement mais s'imprime dans notre inconscient car nous nous référons toujours à notre passé pour prendre une décision pour l'avenir.

    Notre inconscient collectif est la clef de notre avenir. Cet inconscient est aussi fractale.

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