La guerre a éclaté. Il n’y a plus lieu de faire semblant.
Le Washington Post de lundi titrait : « Musk et Durov font face à la vengeance des régulateurs ». L’ancien ministre américain du travail, Robert Reich, a publié dans le journal britannique Guardian un article sur la manière de « réintégrer » Elon Musk, suggérant que « les régulateurs du monde entier devraient menacer Musk d’arrestation », sur le modèle de ce qui est arrivé récemment à Pavel Durov à Paris.
Comme tout le monde devrait le savoir maintenant, la « guerre » a éclaté. Il n’est plus nécessaire de faire semblant. Au contraire, la perspective d’une répression de l’« extrême droite » et de ses internautes, c’est-à-dire de ceux qui diffusent de la « désinformation » ou des informations erronées qui « menacent » la vaste « infrastructure cognitive » (c’est-à-dire ce que les gens pensent !), suscite une joie évidente.
Ne vous y trompez pas, les strates dirigeantes sont en colère ; elles sont en colère parce que leur expertise technique et leur consensus sur « à peu près tout » sont bafoués par les « déplorables ». Les « dirigeants » préviennent qu’il y aura des poursuites, des condamnations et des amendes pour les « acteurs » du cyberespace qui perturbent la « culture » numérique.
Le professeur Frank Furedi observe :
Il existe une alliance contre-nature de dirigeants occidentaux – le Premier ministre Keir Starmer, le président français Emanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholtz – dont la haine de ce qu’ils appellent le populisme est inavouée. Lors de ses récentes visites à Berlin et à Paris, Starmer n’a cessé d’évoquer la menace que représente le populisme. Lors de sa rencontre avec Scholz à Berlin le 28 août, Starmer a parlé de l’importance de vaincre « la supercherie du populisme et du nationalisme ».
Furedi a expliqué que, pour Starmer, le populisme représentait une menace pour le pouvoir des élites technocratiques dans toute l’Europe :
S’exprimant à Paris, un jour plus tard, Starmer a qualifié l’extrême droite de « menace très réelle » et a de nouveau utilisé l’expression « supercherie » pour le populisme. Starmer n’a jamais cessé de parler de « la supercherie du populisme ». Aujourd’hui, pratiquement tous les problèmes politiques sont imputés au populisme… La propagande de l’élite politique technocratique utilise constamment le terme « supercherie » pour désigner le populisme. En effet, s’attaquer aux populistes et les discréditer en les qualifiant d’escrocs est sa priorité numéro un.
Quelle est donc la source de l’hystérie anti-populiste de l’élite ? La réponse est que ces derniers savent qu’ils se sont éloignés des valeurs et du respect de leur propre peuple et que ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne soient sérieusement remis en question, sous une forme ou une autre.
Cette réalité est apparue clairement en Allemagne le week-end dernier, où les partis « non establishment » (c’est-à-dire non Staatsparteien) ont obtenu ensemble 60 % des voix en Thuringe et 46 % en Saxe. Les Staatsparteien (les partis de l’establishment) ont choisi de se décrire comme « démocratiques » et de qualifier les « autres » de « populistes » ou d’« extrémistes ». Les médias d’État ont même laissé entendre que ce qui comptait le plus, c’était les votes « démocratiques », et non les votes non Staatsparteien, de sorte que le parti ayant obtenu le plus grand nombre de votes Staatsparteien devrait former le gouvernement en Thuringe.
Ces partis ont coopéré pour exclure l’AfD (Alternative für Deutschland) et d’autres partis n’appartenant pas à l’establishment des travaux parlementaires dans la mesure où cela était légalement possible – par exemple en les excluant des principales commissions parlementaires et en leur imposant diverses formes d’ostracisme social.
Cela rappelle l’histoire du grand poète Victor Hugo, dont l’adhésion à l’Académie française a été refusée pas moins de 22 fois. La première fois qu’il a posé sa candidature, il a reçu deux voix (sur 39) de Lamartine et Chateaubriand, les deux plus grands hommes de lettres de leur temps. Une femme d’esprit de l’époque commente : « Si on pesait les voix, Monsieur Hugo serait nommé ; malheureusement, on les compte ! ».
Pourquoi la guerre ?
Parce qu’après l’élection américaine de 2016, les élites politiques américaines ont reproché à la démocratie et au populisme d’avoir produit de mauvais résultats électoraux. L’anti-establishment Trump avait effectivement gagné aux États-Unis ; Bolsonaro avait également gagné, Farage avait fait une percée, Modi avait de nouveau gagné, et le Brexit, etc.
Les élections ont rapidement été qualifiées d’incontrôlables, désignant des « vainqueurs » insolites. Ces résultats indésirables menaçaient les structures profondément ancrées qui projetaient et protégeaient les intérêts oligarchiques américains enracinés de longue date dans le monde entier, en les soumettant (oh l’horreur !) à l’examen des électeurs.
En 2023, le New York Times publiait des articles intitulés : « Les élections sont mauvaises pour la démocratie ».
Rod Blagojevich a expliqué dans le WSJ, au début de l’année, l’essentiel de ce qui avait brisé le système :
Nous [Obama et lui] avons tous deux grandi dans le milieu politique de Chicago. Nous comprenons comment cela fonctionne : les patrons l’emportent sur le peuple. Obama en a bien tiré les leçons. Et ce qu’il vient de faire à Biden est ce que les chefs politiques font à Chicago depuis l’incendie de 1871 : des sélections déguisées en élections .
Si les patrons Démocrates d’aujourd’hui ont l’air différents de l’homme au cigare et au petit doigt levé, à l’ancienne, ils opèrent de la même manière : dans l’ombre des arrière-salles. Obama, Nancy Pelosi et les riches donateurs – les élites d’Hollywood et de la Silicon Valley – sont les nouveaux patrons du parti Démocrate d’aujourd’hui. Ce sont eux qui mènent la danse. Les électeurs, pour la plupart des travailleurs, sont là pour qu’on leur mente, qu’on les manipule et qu’on les contrôle.
La Convention nationale Démocrate qui se tiendra à Chicago le mois prochain constituera la toile de fond et le lieu parfaits [pour désigner un] candidat, et non le candidat des électeurs. Ce n’est pas la démocratie. Mais la politique des patrons de Chicago.
Le problème est que la révélation de la démence de Biden a fait tomber le masque du système.
Le modèle de Chicago n’est pas très différent du fonctionnement de la démocratie européenne. Des millions de personnes ont voté lors des récentes élections parlementaires européennes ; les partis « non staatsparteien » ont remporté des succès importants. Le message envoyé était clair, et pourtant rien n’a changé.
Guerre culturelle
L’année 2016 a marqué le début de la guerre culturelle, comme Mike Benz l’a décrit en détail. Trump, un complet outsider, a franchi les garde-fous du système pour remporter la présidence. On a jugé que le populisme et la « désinformation » en étaient la cause. En 2017, l’OTAN décrivait la « désinformation » comme la plus grande menace à laquelle étaient confrontées les nations occidentales.
Les mouvements qualifiés de populistes sont perçus comme étant non seulement hostiles aux politiques de leurs adversaires, mais aussi aux valeurs de l’élite.
Pour lutter contre cette menace, Benz, qui était jusqu’à récemment directement impliqué dans le projet en tant que haut fonctionnaire du département d’État chargé des questions technologiques, explique comment les patrons en coulisses ont réalisé un extraordinaire « tour de passe-passe » : selon eux, la démocratie ne devait plus être définie comme un consensus gentium, c ‘est-à-dire une résolution concertée entre les gouvernés, mais plutôt comme une « position » convenue, formée non pas par des individus, mais par des institutions soutenant la démocratie.
Une fois redéfinie comme « un alignement d’institutions de soutien », la deuxième « torsion » de la reformulation de la démocratie a été ajoutée. L’establishment avait prévu le risque, en cas de guerre directe contre le populisme, d’être lui-même dépeint comme autocratique et imposant une censure de type haut-en-bas.
La solution au dilemme de la poursuite de la campagne contre le populisme, selon Benz, résidait dans la genèse du concept de « société globale » selon lequel les médias, les influenceurs, les institutions publiques, les ONG et les médias alliés seraient contraints et forcés à rejoindre une coalition de censure de type bas-en-haut, apparemment organique, axée sur le fléau du populisme et de la désinformation.
Cette approche – le gouvernement se tenant « à l’écart » du processus de censure – semblait permettre de nier de manière plausible l’implication directe du gouvernement et l’action autocratique des autorités.
Des milliards de dollars ont été dépensés pour développer cet écosystème de lutte contre la désinformation de manière à ce qu’il apparaisse comme une émanation spontanée de la société civile, et non comme la façade Potemkine qu’il était.
Des séminaires ont été organisés pour former les journalistes aux meilleures pratiques et mesures de protection en matière de désinformation relative à la sécurité intérieure – pour la détecter, l’atténuer, la rejeter et détourner l’attention de celle-ci. Benz révèle que des fonds de recherche ont été alloués à une soixantaine d’universités pour créer des « laboratoires de désinformation ».
Le point essentiel ici est que le cadre de « la société globale » pourrait faciliter la réintégration dans le courant politique dominant des structures de base, de long terme et largement tacites (et parfois secrètes), de la politique étrangère, sur lesquelles s’appuient de nombreux intérêts financiers et politiques de l’élite.
Un alignement idéologique fade axé sur « notre démocratie » et « nos valeurs » permettrait néanmoins de réintégrer ces structures durables de la politique étrangère (hostilité à la Russie, soutien à Israël et antipathie à l’égard de l’Iran) et de les reformuler comme une gifle rhétorique appropriée aux populistes.
La guerre peut s’intensifier ; elle peut ne pas se terminer par un écosystème de désinformation. Le New York Times a publié en juillet un article expliquant que « Le premier amendement est hors de contrôle » et, en août, un autre article intitulé « La Constitution est sacrée. Est-elle également dangereuse ? ».
Pour l’instant, la guerre vise les milliardaires qui n’ont pas de comptes à rendre : Pavel Durov, Elon Musk et sa plateforme « X ». La survie ou non d’Elon Musk sera cruciale pour le déroulement de cet aspect de la guerre : la loi européenne sur le service numérique a toujours été conçue pour servir de « Brutus » au « César » Musk.
Tout au long de l’histoire, les élites qui s’enrichissent et se soucient d’elles-mêmes sont devenues dangereusement méprisantes à l’égard de leurs peuples. La première réaction traditionnelle a été la répression. La froide réalité est que les récentes élections en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne et au Parlement européen révèlent la profonde méfiance et l’aversion à l’égard de l’establishment :
La désaffection de l’Occident postmoderne est mondiale. L’Europe va soit s’en distancer, soit se laisser entraîner dans la détestation du « privilégié ci-devant ». La fin du dollar est en effet l’analogue de l’abolition des droits féodaux. Elle est inévitable, mais elle coûtera cher aux Européens.
Un écosystème de propagande ne rétablit pas la confiance. Il l’érode.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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