02 octobre 2024

La politique du virus: ce que révèlent les documents fuités de l’État allemand (RKI Files)

Les documents « fuités » de l’État allemand éclairent d’un jour nouveau la pandémie du Covid-19. Après le papier stratégique du ministère de l’Intérieur et les rapports du conseil d’experts du gouvernement fédéral, les documents issus de l’Institut Robert Koch (les « RKI Files »), divulgués fin juillet, sont particulièrement édifiants. Les 4.000 mille pages de rapports et les milliers de pages d’e-mails et de lettres, dont l’authenticité vient d’être confirmée par l’État fédéral, mettent en doute une grande partie des informations officielles diffusées pendant la pandémie. Loin de « suivre la science », comme le prétendait le gouvernement allemand, les fichiers du RKI montrent au contraire une politique fabriquant des « preuves » avec l’aide récalcitrante des experts, pour justifier après coup les décisions prises. Les conséquences politiques et juridiques risquent d’être considérables.

1. Par le trou de la serrure

Depuis le début de la pandémie du Covid, l’État allemand a été hanté par des documents fuités, permettant de rares regards sur les processus décisionnels de la politique sanitaire des années 2020 à 2023. Bien sûr, ces documents ne représentent qu’un échantillon limité de procédures politiques et administratives autrement plus complexes et enchevêtrées. Et bien que la plupart de ces documents restent encore à être interprétés et évalués, on y décèle déjà un amalgame intéressant de bonnes et de mauvaises intentions, d’honnêteté et de conflits d’intérêt, de sérieux scientifique et d’opportunisme politique, de réflexions informées, mais également de calculs stratégiques et de manipulations.

Sans donc juger de la véritable portée politique, scientifique et juridique de ces documents fuités, il est d’ores et déjà possible de mesurer la différence entre la pandémie, telle qu’elle a été présentée par les discours officiels, et la situation sanitaire débattue derrière les portes fermées des différents conseils, commissions et institutions, chargés d’établir les faits scientifiques et de fournir des informations sur la meilleure gestion de la crise.

Nous allons esquisser les documents du ministère de l’Intérieur et de la chancellerie fédérale pour ensuite nous arrêter plus longuement sur les protocoles de l’Institut Robert Koch :

– Dans un premier temps, ce fut le « papier stratégique » du ministère de l’Intérieur qui fit brièvement scandale. Face au danger inouï d’un nouveau virus meurtrier, la politique allemande décida, en mars 2020, de s’en remettre à quelques experts en sciences sociales, économiques et littéraires. Ces experts recommandèrent un véritable traitement du choc pour astreindre la population à des comportements dépourvus de tout fondement médical ou épidémiologique.

– Le 16 juin 2023, le médecin généraliste Christian Haffner obtenait gain de cause auprès de la cour administrative de Berlin contre la chancellerie fédérale, qui voulait garder sous clé les procès-verbaux du conseil fédéral d’experts du Corona. Ces documents permettent d’entrevoir une tendance qui va à l’encontre de la grande devise de la pandémie : « suivre la science ». On y voit plutôt un conseil d’experts qui s’aligne progressivement aux décisions et aux besoins politiques.  

– Avec les protocoles du Robert Koch Institut, c’est-à-dire « l’institution centrale du gouvernement fédéral dans le domaine de la surveillance et de la prévention des maladies » (Définition de la page d’accueil de l’institut),  le scandale de la gestion de la crise sanitaire atteignit les grands journaux allemands et les médias publics fin juin 2024. On n’y trouve pas seulement des réflexions sur les stratégies de manipulation du comportement de la population, mais on y voit encore une institution supposée indépendante agir de manière de plus en plus conforme aux revendications politiques.

2. La stratégie du choc

Un papier interne au ministère de l’Intérieur, datant du 18 mars et fuité le 1ᵉʳ avril 2020, rédigé par un petit groupe d’experts – cinq économistes, un sociologue, un politologue et un doctorant en études germaniques – recommandait un recours systématique à l’« effet de choc » dans la gestion de la pandémie du Covid.

L’Institut Robert-Koch est l’établissement allemand responsable du contrôle et de la lutte contre les maladies.

En parfaite ignorance des 2 530 publications et 59 104 citations relatives à la nouvelle épidémie du Coronavirus depuis janvier 2020 (Diéguez-Campaet, 2021), ces experts s’en remirent, dans leur évaluation de la réalité sanitaire, aux scènes télévisées douteuses de personnes tombant raide mort dans les rues chinoises. Ce furent encore les images terrifiantes des convois militaires des victimes de Bergame qui informèrent ces experts de la « véritable » ampleur de la catastrophe épidémiologique.

Avertissant de la catastrophe qui résulterait du non-respect des mesures sanitaires inventées sur le tas, les spécialistes en économie, sociologie et littérature allemande décident d’illustrer les effets concrets d’une contamination sur la société humaine : 1) de nombreux malades graves sont emmenés à l’hôpital par leurs proches, mais refusés, et meurent dans d’atroces souffrances à la maison. L’étouffement ou le manque d’air sont des peurs primaires pour tout être humain. La situation dans laquelle on ne peut rien faire pour aider ses proches en danger de mort l’est également. Les images en provenance d’Italie sont troublantes. 2) « Les enfants ne souffriront guère de l’épidémie » : Faux. Les enfants seront facilement contaminés, même en cas de restrictions de sortie, par exemple, chez les enfants des voisins. S’ils contaminent ensuite leurs parents et que l’un d’entre eux meurt dans d’atroces souffrances à la maison et qu’ils ont le sentiment d’en être responsables, par exemple, parce qu’ils ont oublié de se laver les mains après avoir joué, c’est la chose la plus terrible qu’un enfant puisse vivre (voir ici).

Au moment où ils imaginent ces recommandations, 55 personnes étaient décédées en Allemagne « en rapport » avec le Covid, c’est-à-dire, « du » ou « avec » un test de laboratoire positif au nouveau virus (selon le « Rapport de situation quotidien de l’Institut Robert Koch sur la maladie à coronavirus-2019 ». 22 mars 2020). La décision de protéger la population par voie de chocs et de propagation de terreur était donc moins due à une situation réellement terrifiante, qu’à des personnes terrifiées par les images médiatiques.

C’est ce que décrit le sociologue Heinz Bude, l’un des auteurs de ces recommandations et spécialiste de la sociologie de la peur (Bude, 2014), dans un article paru en 2002 : « Sous l’effet des images de Bergame, il nous a semblé nécessaire d’évaluer la situation sans préjugés » (Bude, 2022, p. 249). Sous l’effet d’images télévisées, sans aucune connaissance en médecine, en épidémiologie, en infectiologie ou en virologie, et surtout sans aucune prise en compte des données empiriques, ces conseillers politiques s’estimaient donc à même de reconnaître la vérité sous l’effet d’images télévisées.

3. Le Grand Conseil

Le 16 juin 2023, après avoir remporté son procès pour la publication des protocoles du conseil des experts de la Chancellerie fédérale – l’administration fédérale supérieure qui assiste le chancelier allemand – le médecin Francfortois Christian Haffner a eu accès aux documents restés sous scellé. Le journal allemand Nordkurrier a mis l’ensemble des rapports du conseil en ligne et la journaliste indépendante Aya Velázquez en a proposé une première lecture commentée.

Les membres du conseil, ainsi que les deux ministres de la Santé subséquents – suite aux élections de décembre 2021, Karl Lauterbach (Parti socialiste) a remplacé Jens Spahn (Union chrétienne-démocrate) comme ministre de la Santé – se sont réunis de décembre 2021 à avril 2023.

Parmi les consignes données par le ministère de la Santé, on compte la plus grande confidentialité, l’interdit de communiquer sans consultation avec le ministère et la représentation extérieure d’un consensus scientifique homogène. De même, dès la première réunion, le chancelier Olaf Scholz souligne l’importance des informations scientifiques objectives et insiste sur l’indépendance politique du conseil. Les protocoles révèlent toutefois une tendance exactement inverse : au fil des réunions, le conseil semble de plus en plus sollicité par la politique et se voit souvent réduit à la fonction peu scientifique de légitimer les mesures sanitaires après-coup. Quand le conseil fait part du fait que la « réduction du risque d’hospitalisation avec Omicron par rapport à Delta [est] de 0-30%, en cas de réinfection 55-70%, sans tenir compte du statut vaccinal » (protocole de la 4ᵉ réunion du 28 décembre 2021), on pourrait s’imaginer un certain relâchement de la pression des mesures. Au lieu de cela, le conseil recommande au contraire leur renforcement.

Autre exemple : lors de la cinquième réunion du 4 janvier 2022, les experts constatent qu’en Allemagne, la « courbe de charge de la médecine intensive » est en baisse constante. Les chiffres en provenance des États-Unis et du Royaume-Uni indiquent une tendance similaire. Ils écrivent que la vaccination « protège bien contre une évolution grave, mais n’exclut pas la maladie » (ibid.). Autrement dit : la vaccination sert surtout à la protection personnelle contre le risque d’une pathologie grave. Mais elle a peu ou pas d’impact sur l’infection, et sur la transmission du virus. Pourtant, pour ces « experts », la vaccination reste la manière la plus importante de combattre la pandémie.

On retrouve la même logique dans la recommandation d’autres mesures. Même s’il n’existe « aucune preuve de la gravité particulière de la maladie chez les enfants », les fermetures d’écoles, de crèches et de clubs de sport sont supposées constituer la meilleure manière de protéger les enfants contre un risque qui ne les concerne que marginalement.

Le 29 mars 2022, les effets thérapeutiques des vaccins semblent occasionner une étrange dissonance cognitive chez les membres du conseil. On admet que les vaccins sont très peu efficaces contre la transmission (« la proportion de personnes vaccinées dans les unités de soins intensifs est relativement élevée (actuellement environ 45%) »), mais on en conclut quand même que « cela ne dit rien sur l’efficacité de la vaccination » (séance du 29 mars 2022).

Le 5 avril 2022, deux jours avant le vote parlementaire sur l’obligation vaccinale (qui sera récusée par 378 voix contre 296, avec 9 abstentions, et 53 bulletins non remis), « 50% des nouvelles admissions dans les unités de soins intensifs sont boostées [c’est-à-dire vaccinés avec rappel] ; il s’agit surtout de personnes souffrant d’un déficit immunitaire (p. ex. les transplantés) ». Les premiers doutes surgissent alors : « cela ne permet pas de se prononcer sur l’efficacité de la vaccination ». Pourtant, ces experts continuent à recommander la vaccination généralisée. Même logique encore à l’occasion de la 23è réunion du conseil (14 juin) : « Dans le domaine de la pédiatrie, il faut […] mentionner qu’il n’y a pratiquement pas d’activité pathologique stationnaire en ce qui concerne COVID-19. Les cas de PIMS [syndrome inflammatoire multi-systémique chez l’enfant] sont déjà rares après Delta et pratiquement inexistants après Omicron ». Ce qui ne les empêche pas, une fois de plus, de maintenir la recommandation vaccinale pour les enfants. Car, une étude (sans indication de référence) aurait montré « que chez les enfants, la vaccination offre une meilleure protection que l’infection, ce qui souligne une fois de plus l’importance de la vaccination des enfants ».

4. L’institut Robert Koch entre science et politique

Passons aux désormais aux documents de l’Institut Robert Koch (RKI).

Dès le début de la pandémie, c’était le RKI qui fournissait les informations officielles quant à l’évolution de la pandémie, au nombre de personnes infectées et décédées. Et, c’était encore sous l’autorité du RKI que la majeure partie des mesures sanitaires, allant du confinement à l’obligation vaccinale, en passant par les fermetures d’écoles, la mise à l’arrêt d’une vaste partie de l’économie, les couvre-feux, etc. furent imposées comme autant de décisions « scientifiquement informées ».

Les protocoles du RKI ont été publiés en deux étapes. Dans la première, ce fut le journaliste indépendant Paul Schreyer – rédacteur en chef du média Multipolar – qui demanda à consulter les notices de l’institut, jugeant que leur publicisation était dans l’intérêt général. En novembre 2020, suite aux refus de communiquer par le RKI, Paul Schreyer porta l’affaire en justice. En mars 2021, il obtint gain de cause au tribunal administratif de Berlin. Mais, l’institut ne transmit que des documents partiels, masqués sur plus de mille passages (voir ici). Le 6 mai, Schreyer déposait une seconde plainte auprès du tribunal administratif de Berlin pour obtenir l’annulation des biffures. L’audience fut néanmoins d’abord reculée au 6 juin par les avocats du RKI, puis à la fin juin, puis à une date ultérieure, non-spécifiée pour le moment.

Entre temps, retournement inopiné de la situation : un lanceur d’alerte ayant travaillé pour le RKI remettait confidentiellement l’intégralité des documents et quantité d’autres matériels des années 2020 à 2023 à la journaliste indépendante Aya Velázquez (voir ici). Cette personne a expliqué sa décision par le fait qu’à son avis, le RKI a « plus ou moins trahi » ses principes scientifiques et « s’est plié par anticipation à certaines directives politiques ». Le 23 juillet 2024, la journaliste Aya Velázquez, secondée par le journaliste Bastian Barucker et par Stefan Homburg, professeur de finances publiques à la retraite, donnait une conférence de presse, depuis disparue de YouTube (mais toujours accessible ici). Le même jour, ils mettaient à disposition l’ensemble des protocoles et dix gigas de matériel supplémentaire sur un site Internet. Dans ce qui suit, nous nous référons aux passages et extraits des protocoles présentés par la première lecture d’Aya Velázquez.

Pendant la pandémie, le slogan « il faut suivre la science » semblait aussi répandu qu’énigmatique. De quelle science s’agissait-il ? Quelle était cette « science » qui ne semblait qu’exister au singulier ? Par ailleurs, que signifiait « suivre » dans ce cas ?  « La » science, ou les experts scientifiques, étaient-ils simplement censés conseiller les décideurs politiques de leurs connaissances objectives ? Où fallait-il, comme le réclamaient certains, que la politique s’en remette aux décisions expertes de « la » science qui, le temps de la pandémie, devait substituer son despotisme éclairé aux procédures démocratiques ? Les documents fuités du RKI apportent quelques lumières sur ces questions.

a. « On peut débattre de tout, sauf des chiffres »

L’on se souvient de la publicité : on n’était pas censé débattre des chiffres car « 8 personnes sur 10 hospitalisées à cause du Covid ne sont pas vaccinées ». La vérité du marketing médiatique semblait simple à comprendre et impossible à remettre en question.

Il fallait donc « les chiffres » de la science. Mais lesquels ? En juin 2021, le RKI discute de chiffres qui, en temps normal, auraient pu être considérés comme rassurants. L’interprétation qu’ils en donnent ne l’est toutefois pas du tout : Évaluation actuelle des risques : Modéré ? Transmission à la communauté ? Discussion : les opposants à un abaissement du niveau de risque avancent l’argument de l’augmentation attendue du nombre de cas à l’automne. Un abaissement du niveau de risque pourrait être interprété comme un signal de la fin de la pandémie. Les partisans d’un abaissement du niveau de risque craignent toutefois que sans un relâchement, il n’y ait plus de marge d’escalade compte tenu du faible nombre actuel de cas. Décision : Maintenir l’évaluation actuelle des risques, c’est-à-dire ne pas déclasser le niveau de danger en ‘modéré’ (25 juin 2021).

En février 2023, le ministre de la Santé allemand a du moins concédé qu’entre les chiffres et de certaines de leurs interprétations, il y avait moyen de débattre : « ‘Ce qui a été une folie, si je peux parler aussi librement, ce sont ces règles à l’extérieur’, a-t-il déclaré. Lauterbach a fait référence à l’interdiction temporaire de faire du jogging sans masque. ‘C’est bien sûr clair, cela a été des excès’, a déclaré le ministre fédéral de la Santé, en poste depuis décembre 2021. ‘Les longues fermetures de crèches et d’écoles ont également été une erreur’, a-t-il ajouté » Corona-Bilanz: Manche Maßnahmen waren laut Karl Lauterbach Schwachsinn », 10 février 2023).

b. Le bien-être des enfants et des adolescents

Bien évidemment, les politiques sanitaires se présentaient animées des meilleures intentions. Il fallait protéger les vulnérables, les personnes âgées et surtout veiller au bien-être et à la santé des enfants. C’est la raison pour laquelle il était nécessaire de fermer les écoles, d’obliger les enfants au port du masque, d’interdire l’accès aux aires de jeux, la fréquentation d’autres enfants, etc.

Évidemment, les experts du RKI n’étaient pas sans savoir que la « protection » des enfants par les différentes mesures de distanciation sociale – fermeture des écoles, des crèches, des aires de jeux … – s’achetait au prix d’une réduction de l’immunité de base :

Répartition par âge des coronavirus endémiques : AG5-15 [AG = groupe d’âge des 5 à 15 ans, TS] et 0-4 [groupe d’âge des 0 à 4 ans, TS] les plus touchés, mais également des infections chez les AG16-60. Discussion : pourquoi une augmentation chez NL63 [coronavirus humain NL6 responsable, entre autres, de la bronchiolite chez les jeunes enfants, TS] ? Une immunité de base plus faible chez NL63 pourrait jouer un rôle en raison de la longue période pendant laquelle les infections ont été supprimées par des mesures. On craint que cela ne se produise également pour la grippe (19 mai 2022).

Le bien-être des enfants dépendait-il également de leur statut vaccinal ? Bien sûr que oui (selon les experts du RKI), et ce, même quand la commission experte responsable de l’évaluation des vaccinations ne les recommandait pas : « Vaccination des enfants : même si la STIKO [Commission permanente pour les vaccinations à l’Institut Robert Koch] ne recommande pas la vaccination des enfants, BM [ministre fédéral] Spahn prévoit tout de même un programme de vaccination » (19 mai 2021).

Le 21 mai, même les associations de pédiatres hésitaient face à la vaccination des enfants, mais les décideurs politiques avaient déjà façonné de grands projets pour la protection des mineurs. Parfois, il n’est donc pas utile de s’en remettre à l’avis des spécialistes : « Les associations pédiatriques sont réticentes à l’idée de vacciner les enfants – Les politiques préparent déjà des campagnes de vaccination pour que les classes d’âge concernées soient vaccinées à la fin des vacances  » (21 mai 2021).

Le 30 juillet, certains experts étatiques du vaccin hésitent toujours, malgré les décisions politiques. De ce fait, il était nécessaire de redéfinir la visée de la campagne vaccinale (glissement des références et des objectifs) :

Réflexion sur l’extension de la recommandation aux enfants en bonne santé, réunion à ce sujet la semaine prochaine, l’objectif de la vaccination doit être redéfini : jusqu’à présent, objectif de prévention des cas graves/des décès et de surcharge du système de santé. Si la prévention des cas légers, des maladies psychologiques, etc. Si l’on inclut les conséquences, etc. comme objectif, cela changerait l’évaluation. Modélisation : la vaccination des adolescents est sans influence sur le déroulement de la 4ᵉ vague, mais la vaccination des 18-65 ans est désormais importante.

Pour la santé des jeunes, la politique n’a donc pas besoin de suivre la science ou même les procédures de mise sur le marché administratives :

Actuellement, les ministères envisagent également une vaccination de rappel des enfants, bien qu’il n’existe aucune recommandation et parfois aucune autorisation à ce sujet (Réunion du 15 décembre 2021).

c. Les masques comme pousse-au-vaccin

Les experts du RKI recommandent parfois le port du masque à l’intérieur et à l’extérieur. Parfois, ils doutent de son utilité à l’extérieur. Selon eux, il semblerait aussi que les vaccins, censés interrompre la transmission, sont plus « efficaces » en combinaison avec les masques et les tests, et la distanciation sociale. Mais, quoi qu’il en soit de son efficacité, le masque est aussi un instrument disciplinaire utile pour l‘incitation à la vaccination :

À court terme, il est utile d’être plus strict, et donc de faire pression sur les non-vaccinés, à long terme, les mesures doivent être à nouveau plus strictes pour les vaccinés : Test pour les vaccinés également. À long terme, la 2G [la règle du « vacciné ou guéri », réglant l’accès à certains établissements, TS] et le dépistage sont utiles. Les [seize] Länder suivent une autre voie : pas de masques pour les vaccinés, doivent inciter les non-vaccinés (charge de morbidité la plus importante) à se faire vacciner. » (8 septembre 2021)

Même si l’efficacité du vaccin semble augmenter avec le port du masque, les experts envisagent des dérogations pour encourager la vaccination. La discussion porte alors sur le bon taux de vaccination dans la population :

CDC, États-Unis : les personnes vaccinées deux fois peuvent renoncer au port du masque, entre autres. La discussion va également avoir lieu chez nous. Déjà des discussions en interne ? L. Schaade [le vice-président du RKI, TS] : ne pas en discuter tant que 60% ne sont pas vaccinés. Taux de vaccination bien plus élevé aux États-Unis. Remarques : La population peinera à porter des masques jusqu’à ce qu’un taux de vaccination approprié soit atteint ; il est impossible de demander à chacun de montrer son certificat de vaccination ; il est donc plausible de lier le port du masque au taux de vaccination. La plupart des études sur l’efficacité des vaccins ont été réalisées lorsque tout le monde portait un masque (14 mai 2021).

d. Les vaccins n’ont pas d’effets secondaires ?

Jusqu’en mars 2023, le ministre de la Santé Karl Lauterbach ne cessait de souligner l’absence de tout effet secondaire des vaccins. Ainsi, les nouveaux vaccins aux ARN messagers seraient les premiers médicaments de l’histoire de la médecine dépourvus de tout effet secondaire.

Myocardite avec les vaccins à ARNm : (…) Les cas groupés chez les hommes de moins de 30 ans constituent actuellement un signal. On ne sait pas encore si cela sera considéré comme une indication de sécurité, aucun lien de causalité n’a été établi. Doit être observé, mais comment le remarque-t-on ? Baisse de l’efficacité ? (7 mai 2021).

Alors que des doutes persistent quant à la sécurité des vaccins et alors qu’il est déjà admis que les enfants ne contribuent pas à la dynamique de la pandémie et n’ont qu’un très faible risque d’affections graves (« Les enfants ont un faible risque de développer une maladie grave par rapport à d’autres maladies respiratoires », 20 juin 2021), le RKI recommande les vaccinations pour enfants et réfléchit sur les manières de « faire passer la pilule » chez les jeunes :

Groupe cible des jeunes & vaccination – Par exemple, Influencer-Vaccination Challenge sur YouTube – BzgA [le Centre fédéral d’information sur la santé, TS] étudie les possibilités à cet égard – FG33 Natalie Grams a réalisé des vidéos à succès avec BMG [ministère de la Santé], une mise en réseau est peut-être possible ici pour développer du matériel pour les groupes cibles plus jeunes – De nombreux aspects du thème pourraient être abordés avec plus d’humour (par exemple, thématiser la peur des effets secondaires de la vaccination) – Par exemple, @elhotzo a thématisé sa réaction à la vaccination lors de sa vaccination (14 août 2021).

Malgré le fait que les enfants soient moins affectés par la maladie et malgré les doutes quant aux effets secondaires chez les enfants, le président du RKI demande des chiffres utiles à la campagne médiatique de promotion de la vaccination infantile : Monsieur Wieler [vétérinaire spécialisé en microbiologie animale et président du RKI] souhaiterait des chiffres/données pour communiquer lors des interviews, montrant que les jeunes sont également hospitalisés et ont des évolutions graves (16 juillet 2021).

Le vaccin Moderna semble le plus problématique quant aux effets secondaires. Le 6 octobre, les autorités sanitaires suédoises, danoises, finlandaises et norvégiennes interdisent l’usage de Spikevax pour les personnes en dessous de 30 ans. Mais, les experts allemands préfèrent attendre les chiffres allemands et, en attendant, recommandent la poursuite ininterrompue du programme vaccinal :

Hier, une réunion a eu lieu entre la STIKO [Commission permanente pour les vaccinations, intégrée au RKI], le PEI [Institut Paul Ehrlich, c’est-à-dire Institut fédéral des vaccins et des médicaments biomédicaux, TS] et le BMG [ministère de la Santé, TS]. Le sujet était la suspension du vaccin Moderna dans les pays scandinaves. La raison en était un nombre accru de cas de myocardite, surtout chez les jeunes. Le risque était quatre fois plus élevé avec Moderna qu’avec le vaccin Biontech. En Allemagne, il existe encore peu de données sur ce sujet. Celles-ci sont en cours de traitement. Ceci est également pertinent pour une vaccination de rappel recommandée (8 octobre 2021).

e. La solidarité vaccinale : protégeons les autres

Les vaccins devaient protéger contre la transmission du virus. Ainsi, nous nous faisons vacciner non pas tant pour préserver notre propre santé, mais par solidarité avec les personnes âgées et vulnérables. Le vaccin, nous disait-on, était le plus beau geste de solidarité que l’individu habituellement pris dans la « culture du narcissisme » pouvait faire à l’égard de ses concitoyens en temps de crise sanitaire.

Pourtant, au RKI, les scientifiques en étaient un peu moins convaincus : Une collègue indienne a rapporté des résultats impressionnants et également inquiétants sur les percées vaccinales chez les vaccinés par B.1.617 (60% des échantillons dans le Maharashtra) […]. Pour le vaccin chinois, par exemple, il y a eu de nombreuses percées, est-ce plutôt le vaccin ou la variante ? Les détails ne sont pas connus, concernant l’immunogénicité/les données sur les anticorps neutralisants, le vaccin indien correspond à Astra Zeneca (AZ) et est comparable (7 mai 2021).

En Allemagne, la situation ne semble pas fondamentalement différente. Cette similarité de la situation pourrait surtout concerner les personnes âgées et vulnérables que l’on était censé protégé en tout premier lieu : Particularité : 45 personnes prises en charge dans une maison de retraite ; 19 d’entre elles ont été testées positives ; 18 d’entre elles ont été complètement vaccinées ; 7 d’entre elles sont décédées. Toutes avaient plusieurs antécédents médicaux et étaient âgées de plus de 82 ans. Évaluation : épidémie remarquable. Discussion, questions et réponses ou questions ouvertes : distanciation après les vaccinations ? Variantes du virus ? B.1.1.7 sans particularités. Vaccin ? BioNTech/Pfizer. » (ibid.)

Les percées vaccinales semblent indépendantes du nombre de doses du vaccin :

Question : l’étude de la Charité montre des percées vaccinales dans les maisons de retraite une semaine après la seconde vaccination. Peut-on recommander une vaccination de rappel pour les personnes très âgées malgré l’absence de preuves, car l’étude fait suspecter une réponse immunitaire insuffisante dans ce groupe ? (11 juin 2021).

Les indications quant aux percées vaccinales se multiplient. Même avec Booster. Mais, l’explication ne tient peut-être pas dans le manque d’efficacité du vaccin :

Nombre élevé de nouvelles infections dans les pays à fort taux de vaccination. Bahreïn, taux de vaccination : >50%, 1ʳᵉ dose, 40% 2ᵉ dose. Néanmoins, forte augmentation du nombre de cas. Explication possible par différents facteurs : assouplissements à partir de début mai, fin du jeûne à la mi-mai [en 2021, Ramadan prenait fin le 12 mai], indications sur l’utilisation du vaccin Sinofarm avec, le cas échéant, une efficacité réduite Booster prévu 6 mois après la 2ᵉ vaccination […] (28 juin 2021).

En août, le nombre des percées semble toujours croissant, et ce, jusqu’à 79% des personnes vaccinées. Et, pour le variant Delta, il n’est pas nécessairement avantageux d’être vacciné :

Les personnes vaccinées qui sont infectées malgré la vaccination (percées vaccinales à environ 79%) éliminent le Delta presque de la même manière que les personnes non vaccinées. Tous les vaccinés qui sont exposés n’éliminent pas le delta, seuls ceux qui subissent l’infection, seulement les percées vaccinales, a également été présenté comme tel par PHE (13 août 2021).

Les nouvelles sur les percées vaccinales se poursuivent en septembre. Ce sont toujours les maisons de retraite qui posent un problème :

Mise à jour de la flambée épidémique dans le district Bergstraße – Une demande d’assistance administrative a été envoyée par la Hesse pour enquêter sur la flambée épidémique dans le district de Bergstraße, dans une maison de retraite, parmi des personnes principalement vaccinées. Entre-temps, 28/86 personnes (44%) ont été infectées ; 6 sont décédées (7% ; dont 1 personne en relation avec la vaccination de rappel) (3 septembre 2021).

Fin septembre, une étude anglaise vient confirmer ces cas particuliers. Il semblerait bien que la protection contre la transmission par les vaccins ait été largement surestimée :

Publication « Community transmission and viral load kinetics of the SARS-CoV-2 delta variant in vaccinated and unvaccinated individuals in the UK » [Singanayagam et al. 2022] conclut que l’effet de la vaccination sur la réduction de la transmission est minimal (29 septembre 2021).

Rappelons que la question de la transmission n’est pas seulement scientifique ou sanitaire. La majeure partie des mesures sanitaires, les interdits d’exercice de certaines professions, l’accès aux lieux publics, la participation aux événements sociaux et religieux, étaient fondées sur la conviction de l’efficacité du vaccin. Ces données étaient donc également essentielles pour les fondements juridiques des restrictions des libertés, liées au statut vaccinal.

Comment alors justifier les diverses législations et mesures, quand l’argument de la protection d’autrui tombe ? À suivre les publications scientifiques, et contrairement aux discours médiatiques et politiques, il était clair dès la fin 2021 que les vaccins n’avaient pas ou peu d’efficacité contre la transmission.  (Voir p. ex. Kampf, 2021).

 f. La « pandémie des non-vaccinés »

Si la vaccination ne permet pas d’enrayer la transmission du virus de manière importante ou durable, la dynamique de l’infection au sein de la population ne peut pas directement dépendre du statut de vaccination. Dans ce cas, le slogan de la « pandémie des non-vaccinés » se révèle faux. Les experts du RKI en sont parfaitement conscients et envisagent même d’en avertir le ministre :

Les médias parlent d’une pandémie de non vaccinés. D’un point de vue expert, ce n’est pas correct, l’ensemble de la population y contribue. Est-ce que cela doit être repris dans la communication ? […] – Le ministre le dit à chaque conférence de presse, probablement de manière consciente, ne peut probablement pas être corrigé. […] La communication ne peut pas être modifiée. Créerait une grande confusion. D’autres aspects devraient être mis en avant : AHA+L [l’acronyme signifie : distanciation, hygiène, port du masque et aération régulière], booster. Mettre l’accent sur ces points, remettre en quarantaine les personnes doublement vaccinées n’est pas communicable (5 novembre 2021).

L’hebdomadaire Der Spiegel a retracé l’origine de l’expression. Ce fut Rochelle Walensky, la directrice du Centre for Disease Control américain qui lança la formule le 21 juin 2021. Son inquiétude légitime était alors : « Notre plus grande inquiétude est que nous continuerons à voir des cas évitables, des hospitalisations et, tristement, des décès parmi les personnes non vaccinées » (Aé, 2024).

On voit donc le glissement de sens que la formule prit par la suite dans les propos des politiques, des journalistes et de certains intellectuels publics, qui l’utilisèrent comme « formule de vente » d’une morale vaccinale dépourvue de tout fondement scientifique.

Rappelons les propos de Noam Chomsky, à titre d’exemple pour la moralisation arbitraire de la question vaccinale par des intellectuels : « Je pense que la bonne réponse à apporter aux personnes qui refusent les vaccins n’est pas de les y contraindre, mais plutôt d’insister pour qu’elles s’isolent. Si les gens décident : « Je suis prêt à représenter un danger pour la communauté en refusant la vaccination », ils devraient alors dire « eh bien, j’ai aussi la décence de m’isoler. Je ne veux pas de vaccin, mais je n’ai pas le droit de nuire aux autres. » Cela devrait être la convention » (Chomsky, 26 octobre 2021).

5. La politique d’abord !

« Le ministre a déclaré début avril que la pandémie était terminée… on pourrait envisager de fixer l’évaluation du risque à un niveau bas » (26 avril 2023).

Qui suivait qui, en fin de compte ? La politique suivait-elle la science, ou la science était-elle utile à la politique ? Au RKI en tous les cas, certains scientifiques s’étonnèrent de l’impact de la politique sur leur travail. Ils voyaient la présupposée indépendance scientifique de l’institut menacée :

Une telle influence de la part du BMG [ministère de la Santé, TS] sur les documents du RKI est inhabituelle. Le pouvoir d’instruction du ministre sur les documents techniques du RKI fait actuellement l’objet d’un examen juridique par L1. L’estimation actuelle de la direction du RKI est que les recommandations sont émises par le RKI en tant qu’autorité fédérale et qu’une directive ministérielle visant à compléter cette recommandation doit être suivie, comme le BMG exerce une surveillance technique sur le RKI et ne peut pas, en tant qu’institut, se prévaloir de la liberté de la science. L’indépendance scientifique du RKI vis-à-vis de la politique est donc limitée (10 septembre 2021).

Parmi les documents fuités du RKI, il se trouve également une bonne centaine de mails (939 pages en PDF) qui incluent des échanges avec les autres institutions allemandes déjà mentionnées. Dans ces mails, on trouve, par exemple, une lettre signée de la main d’Emmanuel Macron et un échange avec Jean-François Delfraissy (président du Conseil scientifique Covid-19 en France). Dans ces échanges, il s’agit tout d’abord d’harmoniser les mesures sanitaires ou, dans les termes d’Emmanuel Macron, de mettre en place « une coordination efficace des institutions internationales et des États, notamment dans le cadre de la mise en œuvre du règlement sanitaire international » (Velázquez, juillet 2024).

Cette harmonisation ne se limite pas à une collaboration scientifique. Elle vise aussi, et peut-être surtout, une harmonisation des règles pour garantir une meilleure adhésion des populations aux décisions politiques. Ainsi, Delfraissy écrit dans un mail du 25 octobre 2020 [traduit de l’anglais, TS] :

« Bien entendu, nous sommes pleinement conscients que les enjeux liés au COVID sont autres que sanitaires, qu’ils sont aussi :

– Sociétaux : acceptation des mesures +++

– Économiques : coût estimé de 2b [1] : 1 milliard d’euros par mois, 2c [2] : 10 milliards d’euros par mois.

et sanitaires, à moyen terme, non liés à Covid. […]

Les questions que je pose à chacun d’entre vous sont les suivantes :

– Où en êtes-vous dans votre réflexion au niveau de votre pays ?

– La vague étant européenne, même s’il y a des différences, ne faudrait-il pas inciter nos gouvernements à avoir une réponse, sinon identique, du moins coordonnée ?

Cela aurait probablement deux avantages :

– Une meilleure perception de la situation par les citoyens des différents pays

– Et une meilleure acceptation des mesures, si elles ne sont pas prises pays par pays mais qu’il a une vision plus globale.

Il s’agit bien sûr de décisions politiques, mais nous pouvons encourager nos gouvernements respectifs à mieux se coordonner » (cité par Velázquez, 2024).

Cet échange répond, du moins en partie, à l’un des phénomènes en apparence les plus surprenants de la pandémie : comment se faisait-il que la plupart des pays européens mettaient en œuvre des mesures similaires, même quand les collaborations scientifiques étaient loin d’être harmonisées ?

L’explication est ici qu’il y avait des efforts de concertation politique entre les pays dans l’intention de garantir l’acceptation des mesures sur le plan national [3]. Mais si cet exemple de la nature politique de certaines mesures peut paraître anodin – bien qu’il y soit déjà question de restrictions historiques de droits et de libertés démocratiques fondamentaux – l’exemple suivant paraît moins rassurant.

En janvier 2022, le RKI baissait, sans autre avertissement, la durée de l’état de convalescence de l’infection de six à trois mois. Or, cette décision ne reposait sur aucune donnée scientifique, sur aucun modèle épidémiologique, mais bel et bien sur une décision prise au sein des conférences des ministres-présidents. En abaissant la durée de la convalescence, le RKI n’intervenait plus que comme autorité de légitimation de décisions purement politiques.

Les exemples de ce type de rapport entre politique et science ne manquent pas dans les protocoles du RKI. Citons-en quelques-uns :

– Le 29 avril 2020, le chef de la sous-direction de la sécurité sanitaire, ministère fédéral de la Santé « demande l’adaptation rapide des critères de test pour évaluer la suspicion de COVID-19 sur la base du document ‘Tester, tester, tester’ ci-joint. » C’est-à-dire que le RKI était censé fournir les légitimations scientifiques au programme ministériel des tests à grande échelle.

– Le 19 juin 2020, le Sénat de Berlin demande au RKI de suivre les recommandations de Christian Drosten concernant le retrait des malades de leur environnement familial.

– Le 16 avril 2021, Lothar Wieler, le président du RKI écrit que l’interruption de la transmission du virus par les vaccins ne dépassent probablement pas les deux mois. L’efficacité des vaccins a donc été surévaluée, notamment aussi en raison des « mutations de fuite » (les virus ayant développé des propriétés leur permettant de contourner la réponse immunitaire). En conclusion, Wieler demande des modélisations internes ou externes afin de rester « capables de communiquer », c’est-à-dire d’apporter un support médiatique aux programmes vaccinaux ministériels.

6. Remarques en guise de conclusion provisoire

Il serait trivial de lire ces documents comme autant de preuves du « mensonge » en politique. Rappelons la formulation éclairante d’Hannah Arendt en 1967 : « Il est vrai que personne n’a jamais compté la véracité parmi les vertus politiques. Mentir semble faire partie du métier non seulement du démagogue, mais aussi du politicien et même de l’homme d’État. » (Arendt, 2019, p. 44). À propos des Pentagon papers en 1972, Arendt remarquait encore : « La véracité n’a jamais fait partie des vertus politiques, et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen autorisé en politique » (ibid., p. 8)

De même, les fameux chiffres dont on ne peut débattre, ou les faits que l’on ne peut remettre en question sont « par nature politiques », comme le rappelle Arendt (Ibid. p. 57). Car, dès que les chiffres, ou les « faits » entrent dans le discours politique, ils deviennent eux-mêmes politiques. Ils se posent comme autant de tentatives d’exercice de pouvoir, comme autant d’efforts de remporter des débats ou d’imposer des décisions.

Si les documents fuités ne devaient prouver qu’une seule chose, ce serait justement la nature politique de ces prétendus « faits » scientifiques. Car, ce que l’on voit dans les divers rapports, c’est l’enchevêtrement inextricable des connaissances scientifiques dans les perspectives, les préjugés, les informations sélectives et les interprétations instrumentalisées par des décisions ou des positions politiques.

Pourtant, le problème qui se pose ici est bien plus profond encore. Le recours à un gouvernement d’urgence, avec le soutien des médias, des experts et des intellectuels publics, a mis en évidence un durcissement de l’approche sécuritaire et une extension quasi sans limites des dispositifs répressifs. Ce que montrent les divers documents exposés ci-dessus, c’est que la « science » constitue l’un des outils politiques les plus efficaces pour légitimer l’orientation sécuritaire de la démocratie. Comme nous venons de le voir, la « science » et les discours de ses experts peuvent contribuer à « sacrifier sur l’autel de la sécurité toutes ces vertus démocratiques d’une société ouverte que sont la liberté de l’individu, la tolérance vis-à-vis de la diversité des formes de vie et la bonne disposition à adopter la perspective d’autrui. » (Habermas, 2015).

Ce que montrent les divers documents allemands, c’est le paradoxe d’une « science » qui permet de passer de la politique fondée sur les preuves aux preuves fondées sur la politique. Ce faisant, la gestion de la pandémie du Covid illustre jusque dans de moindres détails la façon dont certains experts et intellectuels peuvent collaborer au soutien d’un État répressif au nom de la « science ».  

Si au moment de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la « sûreté » signifiait d’abord la « protection de l’individu contre les arrestations et détentions arbitraires », c’est-à-dire la protection du citoyen contre le pouvoir potentiellement illimité de l’État, le régime d’urgence de la politique pandémique a contribué à la transition politique de la sécurité vers la « sûreté de l’État » (Hennette Vauchez, 2022, p. 64).

La normalisation de l’état d’urgence mène ainsi à une restriction progressive des libertés et des droits fondamentaux, à un paternalisme affirmé des élites politiques menant une « guerre » contre des ennemis de l’État. Dans cette optique, qu’il s’agisse du virus, du terrorisme, du conspirationnisme, des ennemis de la démocratie ou des représentants d’extrême-gauche ou d’extrême-droite, toute critique politique, tout débat scientifique, tout discours critique risque d’être défini comme menace pour la sécurité de l’État (ibid., p. 55).

L’actuelle ministre de l’Intérieur allemande, Nancy Faeser, a d’ailleurs récemment illustré ce virage sécuritaire de la manière la plus claire et la plus orwellienne qui soit, dans le cadre d’une « loi de promotion de la démocratie » : « Ceux qui se moquent de l’État doivent faire face à un État fort » (Mangold, 2024). Et comme nous le constatons au quotidien, depuis la pandémie ce tournant autoritaire de l’État peut compter sur le soutien indéfectible de journalistes, d’experts scientifiques et d’intellectuels qui œuvrent ainsi pour la normalisation et la durabilité de l’état d’urgence.

Notes de bas de page

[1] En 2b, Delfraissy mentionne : « […] couvre-feu généralisé de 18h/19h à 6h sur l’ensemble du territoire, y compris le week-end : restriction stricte des ouvertures de magasins, télétravail +++, reprise des cours début novembre, fermeture des bars et restaurants, rappel des mesures de barrage, fermeture des universités, évaluation de cette stratégie au bout de 12 jours et si pas d’amélioration sanitaire, confinement. »

[2] En 2c, on lit : « un verrouillage généralisé, de type irlandais, avec l’autorisation d’aller à l’école, de travailler pour des personnes lorsque le télétravail est impossible, pour une période d’un mois (?) suivie d’une levée progressive du verrouillage avec des couvre-feux pendant X (?) semaines. »

[3] Une anecdote amusante dans ce contexte : quand au Luxembourg, les restaurants rouvraient leurs portes, alors que ceux des pays voisins restaient encore fermés, on voyait rapidement les restaurants luxembourgeois surchargés. Deux semaines plus tard, le gouvernement décida de les refermer en raison des tensions politiques occasionnées avec les régions frontalières de la France, de la Belgique et de l’Allemagne.

Références

Aé, Julian et. al. (2024). « Corona-Protokolle: Worum geht es in der Diskussion über die »Pandemie der Ungeimpften«? » Der Spiegel, juillet 24 [en ligne].

Arendt, Hannah (2019). Wahrheit und Lüge in der Politik: zwei Essays. 5e édition. Munich : Piper.

Bude, Heinz (2014). Gesellschaft der Angst. 7ᵉ éd. Hamburg: Hamburger Edition, HIS.

Bude, Heinz (2022). « Aus dem Maschinenraum der Beratung in Zeiten der Pandemie ». Soziologie 51(3) : 245‑55.

Chomsky, Noam (2021). « Noam Chomsky Calls for Unvaccinated to Be ‘Isolated’ from Society. »

Diéguez-Campaet et al. (2021). « The 2020 research pandemic: A bibliometric analysis of publications on COVID-19 and their scientific impact during the first months ». Archivos de Cardiología de México 91(Supl), 1‑11.

Habermas Jürgen (2015). « Jürgen Habermas : ‘Le djihadisme, une forme moderne de réaction au déracinement’ ». Le Monde, 21 novembre [en ligne].

Hennette Vauchez, Stéphanie (2022). La Démocratie en état d’urgence: Quand l’exception devient permanente. Paris, Seuil.

Kampf, Günter (2021). « The Epidemiological Relevance of the COVID-19-Vaccinated Population Is Increasing ». The Lancet Regional Health – Europe [en ligne].

Mangold, Ijoma (2024). « Demokratiefördergesetz: Der Staat soll das Recht durchsetzen, nicht über Gesinnungen wachen ». Die Zeit, février 23 [en ligne].

Hildebrandt, Camilla (2024). « „Keine Pandemie in unserer Wahrnehmung“ », 12 juin [en ligne].

Schreyer, Paul (2024). « „Die volle Macht der Regierung entfesseln“ », 6 juin [en ligne].

Schreyer, Paul (2024). « „Es soll hochskaliert werden“ ». 18 mars [en ligne].

Schreyer, Paul, et Stefan Homburg (2024). « RKI-Protokolle und Leak: Offene Fragen », 9 août [en ligne].

Semsrott, Arne (2020). « Corona-Strategie des Innenministeriums: Wer Gefahr abwenden will, muss sie kennen ». FragDenStaat.

Singanayagam et al. (2022). « Community Transmission and Viral Load Kinetics of the SARS-CoV-2 Delta Variant in Vaccinated and Unvaccinated Individuals in the UK: A Prospective, Longitudinal, Cohort Study », The Lancet Infectious Diseases 22 (2): 183‑195.

Velázquez, Aya (2024). « Was erfahren wir aus den RKI Files? – Teil 1 », 2 août [en ligne].

Velázquez, Aya (2024). « Politischer Sprengstoff: Vertrauliche RKI-Email-Korrespondenz im Leak aufgetaucht », 29 juillet [en ligne].

Velázquez, Aya. (2024). « Freigeklagt: Die Geheimakte Corona-Expertenrat », 28 juillet [en ligne].

Par Thierry SIMONELLI, docteur en philosophie et docteur en psychologie, psychanalyste, ancien enseignant à l’université en France et au Luxembourg, auteur de nombreuses publications à découvrir sur son blog personnel.

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