Après celui de Robert Kennedy Junior, le fils de Robert Kennedy, Trump a enregistré, avec presque autant de pompe que le premier, le ralliement de Tulsi Gabbard le 26 août. Le même jour, Trump annonçait que les deux sont incorporés dans son “équipe de transition”, ce qui leur donne un rôle potentiel d’importance à la fois sur la campagne de Trump, à la fois et surtout sur la constitution de son administration si Trump est élu. Dans le second cas, il est tout à fait concevable que les deux auront une place dans l’administration Trump-2.0.
Outre ce que lui apportent ces deux personnalités en termes d’électorat, je jugerais peut-être plus important ce que ces choix dénotent de changement chez Trump par rapport à sa campagne 2016. Pour l’électorat et les élections, on peut faire des évaluations et des calculs savants sans rien apporter de décisif ; de toutes les façons, tout est oublié dès sonnée l’heure de l’élection. Plus intéressant, beaucoup plus, est ce que ces choix et ces déplacements de choix signifient de ce candidat complètement hors des normes, – et qui le reste, – qu’est Donald Trump.
En 2016, Trump était arrivé au pouvoir en plein désordre, avec une équipe disparate, comme s’il n’avait rien prévu, et encore moins sa propre victoire, – ce qui était le cas. Pour lui, en 2016, seul comptait le fait de l’élection qu’il appréciait comme un événement sensationnel qui semblait suffire amplement à l’homme de spectacle qu’il était pour une bonne part. Après, on verrait.
On a vu, effectivement. Les débuts de Trump furent chaotiques. Le seul homme qu’il avait choisi (pour être conseiller à la sécurité nationale), le général Flynn, était plus un militant d’une droite dure qu’un connaisseur de la tactique politique. Il tomba dans le premier piège venu et Trump eut la faiblesse et la naïveté de céder et de presser Flynn pour sa démission. Entretemps, il apprenait (Trump) qu’il était un agent de Moscou et un dictateur fasciste. Il ne fit rien de sérieux pour s’en défendre et ne put qu’accepter tous les collaborateurs que les bureaucraties et le DeepState lui imposaient, incapable de desserrer cette emprise pour reprendre son souffle et imposer son rythme. Ce n’était qu’une poupée de plus conduite par le Système là où le Système voulait le mener, tout en restant plus que jamais, – et “agent de Moscou”, et “dictateur-fasciste”.
Mais quelque chose le sauva, et c’est bien un remarquable paradoxe : la haine du Système et du parti démocrate renforcé par une partie des républicains (les RINO, ou ‘Republicans In Name Only’). Cette haine le conduisit, en bon ‘businessman’ qui ne supporte pas d’être combattu en traître par irrespect des coutumes des affaires et des normes d’un contrat, à adopter quelques idées simples que, d’ailleurs, on lui avait accrochées sur le dos pour mieux le dénigrer. Il comprit ce qu’était son rôle de “cocktail Molotov humain” comme l’avait défini Michael Moore, et il devint l’idole nécessairement néo-isolationniste et populiste des anti-globalistes. Sans le faire exprès, il avait tapé juste, au moment où la GrandeCrise s’exacerbait et exacerbait la pression des élites globalistes et l’opposition des anti-globalistes à tendance nécessairement populiste.
C’est dans ces conditions qu’on connut les épisodes divers de l’élection de 2020, des contestations, des “émeutes” évidemment fascistes du 6 janvier 2021, du développement du wokenisme. On conserva donc Trump comme un acteur de la scène américaniste puisqu’il était le bouc-émissaire idéal de la haine du Système, des globalistes et des démocrates. Mon sentiment est que s’il n’y avait pas eu cette haine dont chacun pensait qu’elle allait le faire disparaître, Trump aurait pu effectivement disparaître corps et bien sur son luxueux parcours de golf de sa non-moins luxueuse propriété de Mar-a-Lago, en Floride.
Mais bon ! Nous sommes en temps de crise et l’homme à la chevelure orange résista à la tempête.
Cette fois, donc, Trump se présente remarquablement mieux équipé. Il s’est adjoint deux ex-démocrates eux aussi complètement hors-normes qui peuvent, s’il sait se conduire avec loyauté avec eux, renforcer décisivement les grands axes d’une politique antiSystème qu’il a naturellement épousée. Robert Kennedy et Tulsi Gabbard forment un tandem très équilibré, qui avait déjà songé à se réunir (RFK avait proposé il y a quelques mois à Gabbard, sans succès, d’être sa colistière vice-présidente).
Volontairement ou pas, – je ne sais mais je penche plutôt pour l’involontaire, – Trump a ainsi formé au sein de son équipe une sorte de germe du parti démocrate opposé à mort, de différentes façons et dans différents domaines, à l’actuelle structure idéologique des démocrates. Cela donne à Trump une assise populaire inhabituelle chez les républicains classiques et élargit naturellement et vers la gauche, sans plan préconçu, la base populiste de la proposition trumpiste.
Qui plus est, et en cela ils s’arrangent fort bien, les deux ex-démocrates ont naturellement des centres d’intérêt différents et complémentaires. Kennedy est plutôt tourné vers divers aspects de la politique intérieure, la politique sanitaire (c’est un antivax décidé), l’environnement, la politique de l’aide et de la protection à l’enfance. On y ajoutera ce point très spécifique, qui le concerne personnellement, qui est l’activité para-légale ou franchement illégale des services de sécurité. Lors de sa présentation à une foule républicaine– surprise, surprise, – complètement enthousiaste pour cet ex-démocrate, Trump a annoncé qu’il confierait à RFK Junior la direction d’une commission d’enquête sur les assassinats de son père et de son oncle, ce qui impliquera fort probablement une mise en cause au moins de la CIA.
Tulsi Gabbard, elle, est résolument différente. Cette ancienne ‘star’ des jeunes démocrates, vice-présidente du parti jusqu’en 2016 et plutôt globaliste, n’a cessé d’affirmer et de radicaliser sa position antiSystème et devenue antiglobaliste sur les questions de politique extérieure. Qui plus est, sa position de lieutenant-colonel dans la Garde Nationale d’Hawaii avec deux campagnes en Irak à son actif, lui donnent à la fois une exceptionnelle originalité et une très grande autorité pour dénoncer les guerres absurdes que l’Amérique ne cesse de perdre depuis 2003 en laissant au tapis des centaines de milliers de morts civils des pays investis qui ne demandaient rien à personne. Sa position très hostile à l’intervention en Ukraine, partagée par RFK et Trump, lui permet de dénoncer avec une grande connaissance du sujet les risques de guerre nucléaire, – comme elle le fit lorsqu’elle annonça son ralliement à Trump.
« “Nous l’avons vu au cours de son premier mandat présidentiel, lorsqu’il n’a pas seulement déclenché de nouvelles guerres, mais qu’il a pris des mesures pour les désamorcer et les empêcher”, a-t-elle déclaré, ajoutant que Trump avait “le courage de rencontrer des adversaires, des dictateurs, des alliés et des partenaires dans la quête de la paix”.
» “On ne peut pas en dire autant de Kamala Harris”, a poursuivi Gabbard. “En fait, c’est le contraire qui est vrai, et nous vivons cette réalité aujourd’hui alors que cette administration nous confronte à de multiples guerres sur de multiples fronts dans des régions du monde entier, et nous sommes plus près de la guerre nucléaire que jamais auparavant”.
» “C’est l’une des principales raisons pour lesquelles je m’engage à faire tout ce que je peux pour renvoyer le président Trump à la Maison Blanche”, a-t-elle déclaré à la foule. “Parce que je suis convaincue que sa première tâche sera de… nous éloigner de la catastrophe de la guerre”. »
Ainsi Trump-2024 est-il mieux armé, plus expérimenté que Trump-2016, presque mûri si l’on veut. Les circonstances, et rien d’autre à mon avis mais il a la vertu d’être là, ont fait de lui un grand stratège de la politique réunissant au sein de ses soutiens des partisans de l’ancien parti démocrate, celui qui existait du temps de JFK et de RFK a précisé RFK Jr., et la base populaire de renouvellement du parti républicain. C’est un cocktail détonant, une sorte de “cocktail Molotov politique” si l’on veut.
Ce rassemblement, qui est si parfaitement illustratif de son temps, bénéficiera (!) de la haine furieuse dont Trump a été honoré depuis des années. C’est dire que si jamais Trump est élu, une formidable bataille politique va se déclencher... D’ailleurs, on peut dire la même chose pour l’inverse : “si jamais Trump est battu, une formidable bataille politique va se déclencher”. La formule rénovée de Trump-2024, si elle marque un réel progrès, nous fait aussi attendre des affrontements extraordinaires où toutes les tendances classiques se perdront, où l’on trouvera enfin les véritables protagonistes de la bataille que suscite la GrandeCrise ; le “progrès”, justement, est d’en arriver à l’essentiel.
Difficile de savoir qui l’emportera, et si quelqu’un l’emportera d’ailleurs. Pour ma part, je ne crois qu’une chose d’assurée : l’Amérique n’en sortira pas indemne, et le reste du monde avec elle.
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