03 septembre 2024

Face à l’illisibilité de la politique américaine, Poutine installe l’arme de dissuasion fatale


Tandis que Zelensky espère encore convaincre l’administration américaine de l’autoriser à frapper avec des missiles en profondeur dans le territoire russe, personne ne sait qui gouverne vraiment à Washington. Dans cette situation de grande incertitude, Vladimir Poutine préside à une révision de la doctrine nucléaire russe. Elle inclut, selon Reuters, le déploiement de l’arme fatale russe; le Burevestnik.
 

Comme nous vous l’avons indiqué la semaine dernière, il est peu probable que l’administration Biden accepte la liste d’objectifs à frapper loin à l’intérieur de la Russie que sont venus lui présenter le ministre ukrainien des Affaires Etrangères Oumerov et le directeur du Bureau de la Présidence Andreï Yermak.

Selon Lucas Leiroz :

La soif d’armes à longue portée de l’Ukraine semble menacée. Selon un récent rapport des médias, citant des sources officielles au fait du dossier, Washington a clairement fait savoir à son mandataire qu’il ne serait pas en mesure de continuer à lui fournir des missiles à longue portée.

Ce type d’attitude américaine peut s’expliquer de deux manières. D’une part, les États-Unis peuvent être préoccupés par la possibilité d’une escalade de la guerre, étant donné les fréquentes actions irresponsables de l’Ukraine. D’autre part, il se peut que Washington se trouve en réalité dans une situation de faiblesse de son industrie militaire, incapable de fournir Kiev et de continuer à produire des armes pour reconstituer son arsenal national.

CNN a récemment publié un article exposant le problème actuel entre l’Ukraine et les États-Unis concernant la fourniture d’armes à longue portée. Selon le journal, les États-Unis ont fait savoir à Kiev qu’ils ne seraient pas en mesure de fournir un nombre important de systèmes de missiles tactiques de l’armée MGM-140 (ATACMS) dans un avenir proche. Ces propos auraient été tenus par un haut fonctionnaire américain non identifié lors d’une réunion avec des représentants ukrainiens.

Le ministre de la défense de Kiev, Rustem Umerov, a récemment rencontré le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, pour discuter de la possibilité pour l’Ukraine de recevoir une aide supplémentaire afin d’atteindre des objectifs militaires spécifiques dans le conflit. M. Umerov a montré à M. Austin une liste de cibles d’une valeur stratégique supposée élevée dans le « territoire profond » de la Russie. Pour mener à bien ces manœuvres, l’Ukraine aurait besoin de plus d’armes américaines, ainsi que de la fin de toute restriction sur les opérations ATACMS.

Comme on le sait, les États-Unis ont récemment « autorisé » les frappes transfrontalières ukrainiennes contre des villes russes. Cette décision semble purement symbolique et rhétorique, puisque Kiev attaque des villes russes pacifiques depuis 2022. Toutefois, du moins en théorie, Washington continue d’interdire aux missiles américains à longue portée d’être utilisés par le régime néonazi pour des « attaques en profondeur ». Kiev supplie pour que cette restriction soit levée, ce qui permettrait de frapper des cibles russes éloignées de la frontière avec des armes hautement létales.

Les cinq raisons qu’a Poutine de ne ne pas faire confiance aux Américains

Quels que soient les freins mis par Washington aux demandes de Zelensky, Vladimir Poutine a cinq raisons de ne faire aucune confiance aux Etats-Unis.

+ les USA n’ont respecté aucun de leurs engagements vis-à-vis de la Russie depuis le début des années 1990.

+ Sans l’aide des Etats-Unis, depuis Maïdan (2014), l’Ukraine n’aurait jamais pu mener une guerre contre la Russie.

+ Les Etats-Unis aident les Ukrainiens, d’ores et déjà, dans leurs frappes de drones sur le territoire russe: 
 

+ Les Américains et les Britanniques ont aidé les Ukrainiens dans leur opération vers Koursk

+ Vu l’état de santé de Joseph Biden, il est impossible de savoir qui prend les décisions à Washington.

Les Russes sont donc en train de revoir leur doctrine nucléaire…

La stratégie consiste à identifier les moyens de réduire l’incertitude provoquée par l’adversaire. En l’occurrence, l’absence de lisibilité des processus de décision américains oblige la Russie à vérifier l’efficacité de sa dissuasion nucléaire.

Simplicius nous explique :

Aujourd’hui, sans surprise, la Russie a de nouveau confirmé qu’elle travaillait à la modification de sa doctrine nucléaire. Cette fois, c’est le vice-ministre des affaires étrangères, Sergei Ryabkov, qui l’a confirmé :

« Comme nous l’avons répété à plusieurs reprises, les travaux sont à un stade avancé et il existe une directive claire pour procéder à des ajustements, qui sont également conditionnés par l’étude et l’analyse de l’expérience de l’évolution des conflits au cours des dernières années, y compris, bien sûr, tout ce qui est lié à l’escalade de nos adversaires occidentaux en relation avec le SVO », a déclaré Sergueï Ryabkov.

Il a expliqué que le document correspondant est en cours de finalisation, mais qu’il est trop tôt pour parler d’un calendrier précis pour son achèvement
… et ils auraient déployé le Burevestnik

Une information plus décisive est livrée par une dépêche de Reuters:

Deux chercheurs américains affirment avoir identifié le site probable de déploiement en Russie du 9M730 Burevestnik, un nouveau missile de croisière à propulsion nucléaire et à armement nucléaire présenté comme « invincible » par le président Vladimir Poutine.
M. Poutine a déclaré que l’arme – surnommée SSC-X-9 Skyfall par l’OTAN – a une portée presque illimitée et peut échapper aux défenses antimissiles américaines. Mais certains experts occidentaux contestent ses affirmations et la valeur stratégique du Burevestnik, estimant qu’il n’ajoutera pas de capacités que Moscou ne possède pas déjà et qu’il risque de provoquer un accident entraînant une émission de radiations.

À l’aide d’images prises le 26 juillet par Planet Labs, une société de satellites commerciaux, les deux chercheurs ont identifié un projet de construction jouxtant une installation de stockage d’ogives nucléaires connue sous deux noms – Vologda-20 et Chebsara – comme étant le site de déploiement potentiel du nouveau missile. L’installation est située à 475 km au nord de Moscou.
L’agence Reuters est la première à faire état de ce développement.
Decker Eveleth, analyste au sein de l’organisation de recherche et d’analyse CNA, a trouvé les images satellite et a identifié ce qu’il estime être neuf rampes de lancement horizontales en construction. Elles sont réparties en trois groupes à l’intérieur de hautes bermes pour les protéger des attaques ou pour éviter qu’une explosion accidentelle dans l’une d’entre elles ne fasse exploser des missiles dans les autres, a-t-il expliqué.

Les bermes sont reliées par des routes à ce qu’Eveleth a conclu être probablement des bâtiments où les missiles et leurs composants seraient entretenus, ainsi qu’au complexe existant de cinq bunkers de stockage d’ogives nucléaires.
Le site est destiné à un système de missiles fixes de grande taille, et le seul système de missiles fixes de grande taille que la Russie développe actuellement est le Skyfall », a déclaré M. Eveleth.
Le ministère russe de la défense et l’ambassade de Washington n’ont pas répondu à une demande de commentaire sur cette évaluation, sur la valeur stratégique de Burevestnik, sur les résultats de ses essais et sur les risques qu’il présente.

Dans la suite de la dépêche, Reuters multiplie les citations d’experts disant que ce nouveau type de missiles ne fonctionne pas encore comme le prétendent les Russes. Une chanson bien connue, que l’on a déjà entendu pour les missiles hypersoniques, jusqu’à ce qu’ils soient utilisés sur le terrain en Ukraine.

Simplicius précise :

L’article de Reuters rejette le missile, ironiquement, au motif qu’il est redondant par rapport à ce que d’autres ICBM russes, comme le Sarmat, peuvent déjà faire. Mais l’auteur de l’article ne fait que démontrer son ignorance, car ce missile change véritablement la donne, étant donné qu’il s’agit d’un missile de croisière et non d’une fusée intercontinentale. Le Burevestnik vole très bas et a une portée « illimitée » grâce à sa centrale nucléaire. La plupart des gens ne comprennent pas le type de menace que cela représente.
Supposons que les États-Unis et la Russie s’affrontent. Si la Russie lance un missile intercontinental, quel qu’il soit, même s’il n’est pas nucléaire, il sera détecté par des satellites spatiaux spéciaux et les États-Unis pourraient être obligés d’engager un échange nucléaire, car ils supposeraient que le missile balistique est doté d’une arme nucléaire.
Cependant, le Burevestnik permet à la Russie de lancer un missile de croisière qui peut voler à très basse altitude autour de la planète entière à des angles de pénétration extrêmement rares, là où les États-Unis ne sont pas du tout défendus – par exemple, depuis le Pacifique Sud, étant donné que le bouclier antimissile balistique américain se trouve principalement dans le Nord, en prévision de missiles venant de l’Arctique.
Cela permettrait à la Russie de frapper des usines américaines sensibles, ce qui pourrait instantanément anéantir ou paralyser l’ensemble de la production d’armes des États-Unis. Étant donné que les États-Unis n’ont qu’une seule usine principale pour la plupart de leurs systèmes d’armes clés, la mise hors service de ces usines pourrait porter un coup fatal à la projection de la puissance militaire américaine.
L’article de Reuters affirme que le missile n’a pas une portée « illimitée », mais estime qu’il pourrait avoir une portée de 15.000 miles. Cela pourrait être exact d’après mes propres calculs : les précédents essais de propulsion d’avions à propulsion nucléaire que j’ai vus ont montré une durée de vol de 70 à 200 heures, bien qu’il soit possible d’atteindre plus avec la technologie moderne, étant donné que ces essais dataient de la guerre froide. Un missile subsonique se déplaçant, disons, à 400 mph pendant 70 heures donnerait 400 x 70 = 28 000 miles. Même les 15 000 miles annoncés par Reuters sont suffisants pour que le missile fasse une boucle depuis la Russie jusqu’au Pacifique Sud afin d’éviter les réseaux de radars, puis remonte pour atteindre les sites de fabrication d’armes les plus sensibles des États-Unis dans le sud du pays.
En d’autres termes, cet itinéraire est presque exactement de 15 000 miles :
 

Mais il existe toute une série de voies « intéressantes » qu’il peut emprunter.
Ce n’est que de l’aigreur [de la part de Reuters] de voir que les États-Unis n’ont rien et ne sont pas capables de faire quelque chose de semblable

Pour ma part, j’aurais plutôt tendance à dire que la publication de la dépêche Reuters obéit à une logique de communication indirecte entre Américains et Russes.

La publication d’une telle information, qui devrait rester secrète est un moyen de dire aux Russes: vous voyez bien que nous sommes sérieux quand nous disons que nous aurons tendance, désormais, à réduire notre aide militaire à l’Ukraine. Nous savons ce que vous faites et nous le reconnaissons publiquement, même si c’est indirect.

Qu’ensuite, la seconde partie de la dépêche se passe à dénigrer l’arme fatale russe, fait partie du genre. Mais le signal est passé: les militaires américains sont au courant et ne sous-estiment pas la menace.

Vladimir Poutine a donc atteint son objectif: face à la dissuasion russe, les États-Unis font savoir qu’ils ne joueront pas avec… le feu nucléaire.
 
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2024/09/03/face-a-lillisibilite-de-la-politique-americaine-poutine-installe-larme-de-dissuasion-fatale/?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.