En réalité, l’actuelle guerre civile soudanaise oppose les Nubiens vivant le long du Nil, qui constituent la colonne vertébrale du pays et qui contrôlent l’armée, aux Bédouins arabes des steppes et des déserts de l’Ouest. Une dichotomie encore renforcée par les affiliations confrériques.
La guerre civile qui a éclaté au Soudan le 15 avril 2023 ne se résume pas à une rivalité entre le numéro deux du régime, Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemedti», chef des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), et l’armée régulière fidèle au général Abdel Fattah al-Burhane, au pouvoir depuis le coup d’État d’octobre 2021, le tout sur fond de luttes pour l’accaparement des ressources.
Pour le comprendre, un retour en arrière est nécessaire.
En 2003 éclata la guerre du Darfour qui fut la matrice des FSR et sur laquelle il importe donc de nous attarder. Membre des Rizeigat, une tribu nomade arabe de la zone soudano-tchadienne, Mohamed Hamdane Daglo dit «Hemedti» constitua alors une milice, les tristement célèbres janjawid, qui multiplièrent les exactions contre les minorités ethniques non arabes.
Selon l’ONU, le conflit qui aurait fait 300.000 morts et provoqué plusieurs millions de déplacés valut au président Omar el-Béchir des poursuites de la Cour pénale internationale pour «génocide» et «crimes de guerre».
En 2010-2011, Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemedti», réprima la vague de contestation qui secoua le Soudan dans le contexte des «Printemps arabes». Ayant démontré leur «efficacité», les FSR prirent ensuite un rang essentiel au sein de l’appareil sécuritaire, à telle enseigne qu’Omar el-Béchir en fit sa garde rapprochée. En échange de leur fidélité, il laissa ses membres se «payer sur la bête» et prendre notamment le contrôle des mines d’or du pays.
Dans la nuit du 24 au 25 octobre 2021, le général Abdel Fattah al-Burhane prit un pouvoir qu’il exerçait déjà largement à travers le Conseil de Souveraineté.
À la suite de ce coup d’État, de fortes manifestations de protestation secouèrent Khartoum, et les FSR jouèrent alors une fois de plus un rôle essentiel dans leur féroce répression. Puis, inquiète de voir l’importance que prenaient les FSR, l’armée voulut les intégrer afin de les contrôler. Leur refus est la cause immédiate du conflit.
Aujourd’hui, le rapport de forces est équilibré. Les FSR sont fortes de plusieurs dizaines de milliers de combattants aguerris. Certaines sources les estimant à plus de 120.000 hommes contre 100.000 militaires.
Lourdement armés, les FSR ne disposent toutefois ni de tanks ni d’aviation, et cela, contrairement à l’armée régulière.
En réalité, l’actuelle guerre civile soudanaise oppose les Nubiens vivant le long du Nil, qui constituent la colonne vertébrale du pays, et qui contrôlent l’armée, aux Bédouins arabes des steppes et des déserts de l’Ouest.
Une dichotomie encore renforcée par les affiliations confrériques. Le Soudan est en effet politiquement bipolaire, car traditionnellement dominé par les chefs (Sayyid) des deux principales confréries religieuses du pays (Tariqa) qui sont la Mahdiya, d’où le Mahdisme, et la Khatmiya. Géographiquement et ethniquement, la Khatmiya, qui est plutôt nubienne, recrute essentiellement chez les populations sédentaires quand la Mahdiya, qui est au contraire implantée chez les tribus nomades, a incarné le nationalisme soudanais ancré sur le souvenir de l’État théocratique mahdiste fondé à la fin du XIXème siècle.
Alors que la capitale Khartoum se transforme peu à peu en champ de bataille, comme le Soudan a des frontières avec deux pays extrêmement fragiles et instables que sont le Tchad et la Libye, la crainte d’une déstabilisation régionale inquiète désormais ses voisins. Une déstabilisation qui pourrait réveiller plusieurs conflits dormants, dont ceux du Tchad.
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