Troisième jour d'agression militaire de la région de Koursk par l'armée atlantico-ukrainienne et les médias russes officiels tiennent un discours aussi hors-sol que les officiels, ce qui ne renforce pas la confiance - au minimum en ce qu'ils disent. Alors que l'Axe atlantiste prépare une République populaire de Koursk devant entrer dans l'Ukraine, la Russie a toujours du mal à saisir qu'elle est en guerre et à repousser réellement cette tentative d'installer un front sur son sol. Quelques leçons intermédiaires à tirer.
Le fait même qu'une agression d'une telle ampleur soit possible sur le territoire russe et qu'au troisième jour l'on discute des risques de fortification par les Atlantistes d'une ligne de défense dans la région de Koursk montrent l'existence de dysfonctionnements, qui vont bien au-delà d'une simple dimension communicationnelle (elle-même déplorable), mais qui revêtent un caractère et politique, et idéologique profond.
Le décalage du discours officiel et les risques d'une perte de confiance
Dès le départ, le ministère russe de la Défense communiquait a minima. Il n'y aurait eu que 300 personnes, puis un millier, ils sont repoussés aux frontières, hourra! Soit le premier jour, une illusion. Mais au soir du deuxième jour, alors que l'ennemi continue à avancer sur le territoire, le JT du soir montre des scènes irréelles d'officiels produisant des discours totalement décalés de la réalité. L'on parle en fait d'une incursion sur le territoire russe d'au moins 5 brigades, soit entre 7 000 et 17 000 hommes. Et les réserves ne sont pas épuisées.
Certes, cela devait rassurer les Moscovites et ceux qui se foutent de la politique, mais pour les habitants de Koursk voyant de leurs yeux les occupants et tous ceux, qui n'ayant déjà plus confiance en ces belles paroles, lisent les publications des correspondants de guerre, comme sur Rybar ou Podoliak, l'ahurissement devient total. Il est vrai que Guérassimov a fait très fort, à tel point que l'on aimerait lui demander sur quels éléments objectifs était fondé un tel optimisme ? Le besoin de faire plaisir au chef ? Le besoin d'endormir le bon peuple ? Ou un déni fondé sur l'incapacité d'assumer la réalité de la situation et ses implications ? Cela a même poussé Medvedev à attirer l'attention du public sur ces déclarations.
Les médias officiels jouent également le jeu d'une fausse normalité et Izvestia a osé lancer un reportage affirmant que Soudja était libre de militaires ukrainiens. Alors que s'ils ne tiennent pas toute la ville, il ne reste qu'une poche de résistance à l'est, où des militaires russes reprennent un peu le combat depuis hier soir. Comme Podoliak l'écrit :
Je voudrais attirer l'attention de nos équipes de télévision sur le fait qu'il n'est pas nécessaire d'essayer de tromper les gens et de faire passer le reportage de Izvestia du 6, comme s'il avait été filmé le 7. Pourquoi est-ce si important ? Oui, cela trompe les Moscovites et le pays tout entier, mais cela ne permet pas non plus aux personnes sur place de s'orienter correctement et de prendre les bonnes décisions, y compris celle d'évacuer. Et puis des gens meurent à cause de ces mensonges. Pensez-vous à cela quand vous faites ça ?
Si en période de conflit, toute vérité n'est pas bonne à dire, composer un monde totalement virtuel est particulièrement dangereux : les élites peuvent alors perdre la confiance de la population, qui ne comprend pas ce qui se passe réellement, mais saisit parfaitement qu'il se passe quelque chose de dangereux. Elle peut alors se détourner des élites régulières et appeler de ses voeux l'arrivée d'un "dieu de l'instant", autrement dit d'un personnage non-systémique, dont la légitimité charsimatique devra sauver la situation ... mais faire tomber le système institutionnel. L'on voit ainsi revenir la fantasmagorie des "musiciens" rappelés soi-disant en urgence d'Afrique ou le rôle devant être salvateur des groupes Akhmat.
En attendant, le 8 au soir, les forces de l'Axe étaient à moins de 30 km de la centrale atomique de Koursk.
Un dysfonctionnement de l'armée, qui est loin d'être résolu
Choïgou a été envoyé sur une ligne plus politique, le nouveau ministre de la Défense possède une réputation cristalline mais n'est pas militaire et les affaires de corruption s'enchaînent. A tel point que parfois elles soulèvent la question du règlement de compte interne, comme avec le général Ivan Popov, qui avait bloqué justement l'avancée de l'armée ukrainienne à Zaporojie et se trouve en arrestation à domicile. Certains se demandent si sa place ne serait pas plutôt à Koursk actuellement ? Toujours est-il que ces questions montrent à quel point il va être difficile pour le commandement militaire de faire peau neuve uniquement avec des procès en corruption. Et beaucoup d'autres questions se posent. Sans oublier pour une armée en temps de guerre - qui s'occupe de la stratégie militaire ? Et qui est responsable pour la région de Koursk ?
Par ailleurs, d'une manière générale, la commercialisation de l'armée en temps de guerre arrive à ses limites. Nous sommes face à des contractuels rémunérés, à des militaires de carrière avec une autre grille de salaires et des mobilisés sous encore un autre statut et tous se battent. Par ailleurs, les appelés restent en dehors des zones de combats ... tant que la guerre n'arrive pas vers eux, comme à Belgorod ou ici à Koursk. Evacuons la dimension morale. Bref, la question pour le commandement dans cette logique n'est pas de savoir de combien d'hommes ils ont besoin pour gagner cette guerre sur le plan militaire et y mettre un terme, mais de combien d'hommes ils disposent, dont tous ne sont pas là pour la même période et le commandement doit faire avec.
Ici, deux questions se posent à l'égard de la population, qui n'a pas été sortie de la dimension bisounours individualiste, portée par le monde global. Les appelés ne peuvent pas être envoyés sur le front, car pour la paix sociale, ils ne doivent pas mourir. Ok. Manifestement les mères de soldats seront plus rassurées, quand elles verront les "libérateurs atlantistes" enfin apporter en Russie la grande civilisation ... Et ici le problème est idéologique : les autorités russes ont perdu deux ans et demi, elles n'ont pas sevré les populations de la drogue individualiste quotidienne, pour la simple et bonne raison qu'elles ne le conçoivent en général même pas. Bien au contraire, l'on voit les compétitions de grands jeux virtuels, les festivals de lumière sur eau, les courses à pied nocturnes, les délires numériques, etc. Et en lien avec cela, le deuxième problème : quid des mobilisés, ils y sont ad vitam eternam ? Donc, les contractuels, sur-rémunérés puisque tout est business, y compris la défense de la Patrie, décident à la fin du contrat de continuer ou de rentrer et personne ne peut remplacer les mobilisés, car les autorités n'ayant pas sevré la population n'osent pas organiser une nouvelle mobilisation partielle.
Tout cela pose des bombes à retardement dans la société, qui risquent d'exploser à tout moment, si celle-ci y est conduite. Et il ne manque pas de "bonnes volontés" à l'étranger pour y travailler.
Et si l'on en finissait avec la mentalité "opération spéciale" pour gagner la guerre ?
N'ayant toujours pas changé de registre, la Russie appelle la fameuse "communauté internationale" à condamner fermement le "terrorisme" à Koursk et cela devant l'organe de gestion de la gouvernance globalisée qu'est l'ONU. Ainsi, dans la même réunion, où il s'agissait de la situation en Afrique, quelques mots ont été prononcés au sujet de Koursk, comme s'il s'agissait d'évènements de la même nature. Quel est l'intérêt d'une telle démarche, à part se ridiculiser ? Quel gain dipomatique ? Politique ?
Par ailleurs, quelle chance, l'AIEA est au courant de la situation à la centrale atomique de Koursk, nous rassurent les médias russes. Il est vrai que Rossi avait déjà tenté de préparer le passage de la centre de Zaporojie sous contrôle ukrainien, quand l'armée atlantiste, avec l'aide des Britanniques, lançaient une offensive en ce sens. Ici aussi, les Britanniques sont à l'oeuvre et l'AIEA se tient prête.
Dans la région de Koursk, alors que les populations sont face à une agression armée et que des terres sont actuellement occupées, c'est le régime des situations d'urgence qui a été mis en place. Comme lors de grands incendies ou d'inondations. Soit. Dans ce contexte, c'est plutôt l'état de guerre, qui devrait être déclaré dans la région - puisqu'elle est en guerre.
Autrement dit, les autorités russes restent toujours dans le cadre mental de l'opération spéciale. D'un côté, il y a ainsi effectivement la volonté marquée de ne pas transformer la Russie en Ukraine, quand l'Occident reste dans une certaine "normalité", non militaire en tout cas. Mais d'un autre côté, la Russie perd du temps et de la puissance pour réellement gagner cette guerre, qu'elle ne reconnaît toujours pas. Quand elle s'accroche à un discours international centré sur les négociations, elle reçoit le bombardement de Sébastopol et l'agression à Koursk en réponse. Quand les élites russes se délectent d'une orgie de forums, comme la jeunesse dorée parisienne fait ses raouts, les élites globalistes se battent pour sa disparition physique. Quand le discours s'accroche avec désespoir à "l'acte de terrorisme", les Atlantistes font la guerre.
L'on ne cesse d'entendre en Russie dans la voix des officiels, de manière plus que surprenante, que la Russie ne veut pas de territoire ukrainien. Soit. Les élites tenant ce discours pourraient peut-être expliquer comment elles entendent "démilitariser" et "dénazifier" sans contrôler le territoire - autrement qu'avec des slogans de plateau télé, j'entends ?
En face, pendant ce temps, monte la rhétorique de la constitution d'une République populaire de Koursk, "qui attend d'être libérée" et qui doit être rattachée à l'Ukraine. Cela ne veut pas dire, que ce fantasme sera réalisé, mais l'intention est fixée.
En conclusion, il me semble important d'attirer votre attention sur deux éléments. Premièrement, la Russie doit reprendre militairement les territoires actuellement occupés, et l'afflux de forces hier tend à compliquer la tâche de l'armée atlantico-ukrainienne, sinon elle sera conduite à négocier sa capitulation, ce qui ne manquera pas d'emporter les élites actuellement dirigeantes dans les bas-fonds de l'histoire. Ce ne sera pas la fin de la Russie, mais en tout cas la fin de ces élites. Deuxièmement, la percée militaire actuelle, qui semble être voulue sur du long terme puisque des lignes de fortification tentent d'être posées et les fortifications russes vides car dès le départ sans hommes (où sont ces armées de drones, qui doivent avantageusement remplacer les soldats - et pas uniquement dans les missions logiques de reconnaissance ?) peut ouvrir la voie à un changement de dimension sensible du conflit. Si actuellement, ces groupes, qui reprennent la tactique utilisée dans la région de Kharkov, sont principalement ukrainiens, en cas d'avancée solide de leur part, nous pouvons être certains de voir se remplir derrière eux l'espace par des militaires de l'OTAN. S'ils arrivent à créer une brèche solide, les membres de l'Axe éviteront la confrontation directe (tant qu'ils penseront que la Russie peut présenter un danger), mais avanceront derrière le "masque" ukrainien. Et eux, ils cherchent à prendre le territoire.
A la différence de Kharkov en 2022, il ne peut pas y avoir de "repli stratégique" jusqu'à la frontière, puisque celle-ci est déjà violée. En cas de repli, il serait impossible de ne pas soulever la question de la haute trahison et le parapluie poutinien ne pourra protéger efficacement ces grands stratèges du recul de la vindicte populaire. Les élites dirigeantes semblent en prendre la mesure et deux réactions sont visibles. Tout d'abord, des forces militaires ont été déployées, mais comme le soulignent les correspondants de guerre, la question reste de savoir quelles sont les réserves ennemies. Ensuite, le tabou territoire s'effrite, comme Medvedev l'a écrit :
"Désormais, le SMO doit prendre un caractère ouvertement extraterritorial. Il ne s'agit plus seulement d'une opération de restitution de nos territoires officiels et de punition des nazis. Nous pouvons et devons aller sur les terres d'Ukraine qui existent encore. À Odessa, à Kharkov, à Dniepropetrovsk, à Nikolaev. À Kiev et au-delà. Il ne devrait y avoir aucune restriction dans le sens de certaines frontières reconnues du Reich ukrainien. Nous pouvons et devons désormais en parler ouvertement, sans embarras ni courbettes diplomatiques. "
Medvedev a raison, mais pour cela, il faut penser la guerre et concevoir la victoire. Cela oblige à une transformation du cadre idéologique, à un courage politique et à l'acceptation d'un patriotisme, qui ne soit pas coincé à force de bras dans des limites serrées et acceptables pour les élites globalistes. Mais c'est effectivement à ces conditions, que la Russie pourra gagner. Et pas uniquement à Koursk.
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