22 août 2024

Medvedev leur fait la leçon

En marge des opérations de Koursk qu’un général US compare, pour l’Ukraine, à la déroute US de l’Afghanistan, on entend fureurs et emportements. On écoute le super-faucon Medvedev (quel changement !) poursuivre sa croisade de colère et de fureur. On découvre une députée ukrainienne, Mariana Bezuglaya qui ne manque pas de cran, dénoncer la sottise et la corruption des chefs ukrainiens dans cette opération. Et que fera Poutine ? “Rien”, nous assure Andrew Korybko, parce qu’il a « une patience de saint ». Le diable attendra...


D’abord, cet épisode de Medvedev le super-faucon commence par un paradoxe qui revient à dire ceci : “Heureusement que les Ukrainiens ont lancé leur soi-disant ‘offensive’ sur Koursk, ils nous ont évité de tomber dans un piège”. Il n’a pas tort si l’on en croit certains esprits, et notamment Mercouris. Bien des Russes oublient que le seul domaine de la guerre où les Ukrainiens et leurs metteurs en scène de la maison-OTAN excellent et dépassent les Russes sans discussion, c’est celui de la manipulation, du mensonge et du simulacre, – même si l’on doit sacrifier des milliers de soldats des autres pour cela, – “Jusqu’au dernier Ukrainien”, à Koursk ou au Congrès des États-Unis...

Selon Medvedev, et malgré les dénégations horrifiées de Lavrov le jour d’avant, la Russie était proche d’accepter des négociations où elle se serait faite rouler un petit peu dans la farine. Les Russes avaient été tentés de suivre cette voie pour complaire à leurs amis des BRICS, – la Chine, l’Inde et le Brésil, – qui brûlent de voler de leurs propres ailes mais en gardant la conscience nette et de pas-trop-mauvaises relations avec le monde américaniste-occidentaliste, – c’est-à-dire avec Zelenski.

La furieuse sagesse de Medvedev

Voyons et écoutons ce que nous dit Medvedev, à propos du projet de négociations sur un possible accord d’arrêt des attaques respectives et réciproques contre les capacités énergétiques de l’un et de l ‘autre, où les Russes étaient invités à donner beaucoup plus que les Ukrainiens sous les applaudissements des amis des BRICS.

Nous donnons les trois paragraphes du commentaire sur le site de Medvedev, sur la chaîne ‘Telegram’ :

« Il y a un certain danger, même théorique, dans lequel notre pays aurait pu tomber dans certaines circonstances. Je parle bien sûr des négociations de paix prématurées et inutiles suggérées par la communauté internationale et imposées ensuite au régime de Kiev. Des négociations qui n’avaient que des perspectives vagues et aucun résultat tangible potentiel.

» Maintenant que les néonazis ont perpétré leur attaque terroriste dans la région de Koursk, tout se remet en ordre. Les bavardages désinvoltes des soi-disant intermédiaires sur le sujet vertueux de la paix ont cessé. Même s’ils ne peuvent pas le dire à haute voix, tout le monde reconnaît la réalité de la situation. Ils comprennent qu’il n’y aura PAS DE NÉGOCIATIONS TANT QUE L’ENNEMI NE SERA PAS COMPLÈTEMENT ET TOTALEMENT DÉTRUIT !

» Quant à l'ordure au visage hideux et à la tignasse blonde en bataille, originaire du pays qui a aidé à préparer l'attentat terroriste, il ne devrait pas trop se réjouir. Son pays a rendu la situation bien pire pour les parties de l'ancienne Ukraine qui sont encore sous sa tutelle, et il y aura désormais beaucoup plus de dépenses inutiles, beaucoup plus de blindés détruits et un nombre radicalement plus élevé de cercueils. Et les misérables serfs ukrainiens continueront à baiser les mains ensanglantées de leurs maîtres anglo-saxons, envahis par la gratitude envers ces nécrophiles qui prennent plaisir à maltraiter leurs sujets. »

On reconnaît dans le troisième paragraphe (soigneusement résumé par RT.com en d’autres termes plus courtois) un portait assez leste de Boris Johnson qui a effectivement joué un rôle remarquable dans la construction de la paix autour de cette guerre. On voit que Medvedev ne mâche pas ses mots, même si c’est pour exprimer une logique assez sensée. Le but des Ukrainiens était effectivement d’amener la Russie à se rapprocher de son “plan de paix” en dix points qui est décrit par les Russes, – même les plus modérés, –  comme un acte de capitulation complète de la Russie. Ainsi RT.com termine-t-il son texte sur Medvedev :

« ‘Politico’ a rapporté lundi que le gouvernement ukrainien souhaitait avoir des pourparlers indirects avec la Russie, sous médiation, similaires à ceux qui ont abouti à l’initiative céréalière de la mer Noire, un accord qui garantissait un passage sûr à certains navires marchands naviguant à destination ou en provenance des ports ukrainiens. L’accord de 2022 était techniquement deux accords distincts que la Russie et l’Ukraine ont signés avec la Turquie et l’ONU, mais pas entre elles.

» Les responsables ukrainiens ont déclaré au média qu'ils espéraient le même modèle et s'attendaient à ce que la Russie accepte un résultat basé sur la soi-disant “formule de paix” rédigée par le dirigeant du pays Vladimir Zelenski en 2022. Moscou a rejeté sa proposition dès le début, la qualifiant d'exigence de facto de capitulation détachée de la réalité. »

Mariana Bezuglaya, députée héroïque

Medvedev est cité longuement et avec respect, – malgré ses paroles irrespectueuses, – par le très-diplomate Alexander Mercouris dans son programme d’hier. La seule raison est simplement que sa logique est jugée tout à fait irréprochable sinon convenablement déroulée, et que c’est lui qui a décrit le mieux une situation de la sorte qu’il a toujours voulu éviter.

Une autre personne citée avec respect par Mercouris se trouve complètement à l’opposé de Medvedev. Il s’agit de la députée ukrainienne Maria Bezuglaya, qui fut (elle l’a quitté) du parti de Zelenski et prôna constamment une défense décidée face aux Russes en y ajoutant une dénonciation constante des pratiques de corruption dans l’armée. Elle alla si loin qu’elle accusa le nouveau chef d’état-major Syrski d’incompétences, voire de trahison, ce qui lui vaut d’être ‘blacklistée’ par les services de renseignement, protecteur de l’appareil politico-militaire zélenkiste et de ses juteuses entreprises.

Mercouris tend à juger Bezuglaya comme honnête et compétente, malgré les accusations qui ont été portées contre elle de travailler directement pour Zelenski et débusquer ses concurrents possibles au Parlement. Elle siège désormais héroïquement comme indépendante puisqu’exclue du parti présidentiel, – donc une perle rare perdue dans l’océan de Kiev, « une des rares personnes sensées dans cette Nef des Fous qu’est devenue Kiev », observe Mercouris.

Mariana Bezuglaya a développé une critique extrêmement précise et complètement justifiée de l’opération de Koursk : destinée à “forcer” les Russes à réduire leurs forces dans leur offensive du Donbass, elle a abouti à l’exact contraire. Les Ukrainiens ont dégarni certains points importants de leur défense dans le Donbass pour lancer l’aventure de Koursk ; ils se trouvent pour l’instant bloqués en effectifs réduits, loin de Koursk, pendant que les Russes, qui n’ont quasiment retiré aucune unité de leur offensive, trouvent désormais des points réputés infranchissables complètement ouverts à leur avance et leur offensive acquérant un rythme très élevé. C’est ce qu’on appelle une opération ‘win-win’.

Koursk comme l’Afghanistan

Ainsi Mariana Bezuglaya rencontre-t-elle l’avis de nombre de commentateurs indépendants occidentaux (dont Mercouris, qui rapporte son analyse stratégique des erreurs ukrainiennes avec une certaine admiration), et même d’un nombre de plus en plus élevé d’“experts” qui, les premiers jours, applaudissaient l’initiative de Koursk. La Nef des Fous n’invite pas aux jugements mesurés, fussent-ils dits avec la rudesse de Medvedev...

Quels que soient les risques pris par Bezuglaya en disant leurs quatre vérité aux chefs militaires inspirés par les planificateurs de l’OTAN, il semble que le plus grave dans ce moment est bien d’avoir brandi cette vérité-là dont personne ne veut entendre parler, ni à Kiev, ni à Bruxelles, ni à Washington.

Mercouris est donc, à l’image de Bezuglaya,  très pessimiste sur le sort de l’armée ukrainienne dans le Donbass :

« Si l’offensive russe continue à ce rythme et si l’Ukraine perd le Donbass, je crois qu’ils vont être à un point que me décrivait il y a quelques mois l’un de mes correspondants anonymes, qui est de se replier en bon ordre et de traverser le Dniepr pour se déployer en défensive sur l’autre rive... »

Pour ce qui est de Koursk, Mercouris, quant à lui, se replie notamment derrière son propre Dniepr, – l’avis d’un général de l’US Army au nom illisible/inaudible (une sorte de presque-homonyme du général Bradley de la Deuxième Guerre mondiale) dans une interview au très-sérieux site ‘military.com’... Et nous voilà avec le parallèle Koursk-Afghanistan !

«  ... [Ce général] n’est en aucun cas un sympathisant des Russes et il est membre de l’Atlantic Council, je veux dire qu’il est porteur de conceptions conventionnelles que l’on trouve dans l’establishment politico-militaire US. Je voulais juste préciser cela pour qu’il n’y ait aucune ambigüité.

» Son jugement est qu’il y a un grotesque déséquilibre entre ce que cette opération va coûter à l’Ukraine en hommes et en matériels, alors qu’aucun objectif de quelque importance que ce soit n’a été atteint pour des pertes absolument horribles. Il va jusqu’à comparer cette opération avec le retrait US d’Afghanistan, ce qui constitue pour un officier américain la critique la plus extrême qui soit... Les Ukrainiens sont en train de détruire leur propre matériel et leurs meilleures unités dans un coin complétement isolé du principal champ de bataille... »

Saint-Poutine et le diable de la provocation

Pour terminer très temporairement cet épisode de la période, on vous annonce, avec Andrew Korybko, que Poutine ne fera exactement rien de spécial pour marquer son mécontentement : « Poutine a prouvé qu'il avait la patience d'un saint en refusant de réagir à la série de provocations. »

Le diable acceptera-t-il cette attitude très-chrétienne ? Ce n’est pas tout à fait assuré et Korybko reconnaît finalement qu’il y a un “peut-être” :

« Du point de vue de la Russie, l’invasion de Koursk par l’Ukraine reste gérable malgré l’implication des États-Unis dans cette provocation sans précédent, ce qui signifie que Poutine n’aura probablement pas recours à la réponse radicale que beaucoup au sein de l’AMC [Communauté de la Presse Alternative] ont fantasmée. S’il décidait finalement de lâcher prise, il pourrait alors augmenter l’intensité de l’opération spéciale en Ukraine au lieu d’attaquer l’OTAN et de risquer ainsi le déclenchement d’une troisième guerre mondiale qu’il a tant essayé d’éviter jusqu’à présent. »

Il n’est nullement assuré que le diable se contentera même de cette retenue un peu desserrée. On sait que le diable, bien qu’il ne puisse s’empêcher de faire quelque bêtise à chaque fois qu’il agit (voir Guénon), a plus d’un tour dans son sac et ne supporte pas qu’un autre diable (c’est le cas de Poutine) joue à être un saint. Il se pourrait qu’il croit utile et vertueux de défier les prétentions à être un saint d’un simple président de la Fédération de Russie. Nous observons attentivement, avec l’aimable coopération du MI6 et de la CIA, les soubresauts et les aléas de cet affrontement.

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