En pleine cascade de tensions au Moyen-Orient suite à l’assassinat du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, par Israël et aux vœux de “vengeance” de Téhéran, le nouveau gouvernement du président Massoud Pezeshkian, qui a prêté serment mardi, a fait ses premiers pas jeudi. L’ancien ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a été nommé “adjoint stratégique” du président iranien et s’est vu confier la responsabilité du Centre d’études stratégiques (CSS).
Le CSS est l’organe de recherche du bureau du président. La nomination de Zarif signifie son retour dans l’arène de la politique étrangère et la haute estimation de Pezeshkian pour ses qualifications uniques afin de conduire la diplomatie de Téhéran sur la voie du milieu.
La longue exposition de Zarif aux cercles politiques américains pendant son long mandat d’ambassadeur auprès des Nations unies et son réseau social actif à New York sont ses atouts stratégiques. Zarif est un visage familier et est très apprécié dans les capitales occidentales.
Pezeshkian a donné la priorité à la nomination de Zarif ; il n’a pas encore annoncé son choix pour le ministère des affaires étrangères. Le retour de Zarif dans le circuit diplomatique ne peut qu’être perçu comme un signal adressé aux puissances occidentales. Il y a là un paradoxe. Si l’Iran tient compte du fait que les États-Unis perdraient beaucoup à une confrontation militaire directe, il n’en reste pas moins que seuls les Américains et les Européens sont en mesure d’empêcher une véritable guerre dans la région, dans cette situation de crise en développement.
C’est également ce que semble penser Moscou. Lors d’une conversation téléphonique avec le ministre iranien des affaires étrangères par intérim, Ali Bagheri Kani, jeudi, le ministre russe des affaires étrangères, Sergey Lavrov, a “appelé toutes les parties sans exception qui pourraient influencer la situation dans la bande de Gaza et au Moyen-Orient en général à éviter les actions qui pourraient entraîner une nouvelle déstabilisation de la situation et de nouvelles victimes parmi les civils” – d’après le communiqué de presse russe. (souligné par l’auteur).
Dans les remarques qu’il a faites au Majlis mardi après la cérémonie de prestation de serment, le président Pezeshkian a réaffirmé que la politique étrangère de son gouvernement viserait un engagement constructif avec le monde tout en défendant la dignité et les intérêts nationaux de l’Iran.
La victoire électorale de Pezeshkian suggère que le réformisme s’est transformé en un courant majeur de la politique iranienne. La dialectique iranienne est lourde de conséquences pour Israël et les États-Unis, dans la mesure où leur ancien calcul visant à alimenter la dissidence et à déclencher des troubles sociaux en Iran ne fonctionnera plus. Certes, le spectre d’un engagement constructif entre l’Occident et l’Iran hante Israël.
Israël considérera le retour de Zarif comme emblématique d’un nouvel élan iranien en faveur de négociations en vue d’un accord nucléaire qui pourrait ouvrir la voie à l’élimination des sanctions occidentales ainsi qu’à une coopération élargie. Dans ce contexte, dans une référence voilée au traité de non-prolifération nucléaire, Pezeshkian a clairement indiqué dans ses remarques au Majlis que “nous avons été et resterons attachés à nos obligations“.
Dans ce contexte prometteur, le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, a demandé à rencontrer d’urgence Pezeshkian “dans les meilleurs délais“. Dans une lettre adressée à Pezeshkian, Grossi a écrit : “La coopération entre l’Agence internationale de l’énergie atomique et la République islamique d’Iran est au centre de l’attention des cercles internationaux depuis de nombreuses années. Je suis convaincu qu’ensemble, nous serons en mesure de réaliser des progrès décisifs sur cette question cruciale“.
Encore une fois, une autre sous-intrigue qui se joue ici est qu’Israël ne peut plus espérer que les pays du Golfe – l’Arabie Saoudite et les EAU, en particulier – s’alignent avec lui contre l’Iran. Les temps ont changé en Iran et dans la région, ainsi qu’à l’échelle internationale, y compris aux États-Unis où, pour la première fois, le ressentiment et la désapprobation des politiques israéliennes s’expriment ouvertement.
Le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman a félicité par téléphone Pezeshkian pour sa victoire aux élections du mois dernier et a exprimé sa satisfaction quant au renforcement des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite dans divers domaines, soulignant la nécessité de renforcer ces relations autant que possible. Les autorités saoudiennes ont exprimé leur espoir de pouvoir faire des affaires avec le nouveau gouvernement de Téhéran.
De même, la radiation du Hezbollah de la liste noire de la Ligue arabe, récemment, montrerait à quel point l’Arabie saoudite et d’autres États arabes s’éloignent des positions anti-iraniennes de Washington. Les États de la région sont de plus en plus conciliants avec l’Iran et tentent de trouver des moyens de “partager le voisinage” avec Téhéran, pour reprendre les mots célèbres du président américain de l’époque, Barack Obama.
Le Hezbollah est le joyau de la couronne de la révolution islamique iranienne. Par conséquent, le signal de la Ligue arabe selon lequel le Hezbollah est un acteur essentiel transmet un message fort de la part de Riyad, à savoir la diminution du soutien régional aux politiques américaines visant à écraser l’Iran et les acteurs alignés sur Téhéran.
En fait, jeudi, le ministre d’État saoudien, le prince Mansour bin Miteb bin Abdulaziz, a personnellement remis à Pezeshkian une lettre du roi Salman bin Abdulaziz Al Saud exprimant l’espoir de mesures plus constructives dans le développement des relations bilatérales avec l’Iran et de la poursuite de la coordination et de la consultation en vue de promouvoir la paix et la sécurité régionales.
Dans l’ensemble, les monarchies du Golfe, qui surveillent de près l’Iran, perçoivent un changement de paradigme dans l’évolution rapide de l’équilibre de la sécurité régionale. En définitive, Pezeshkian appelle à l’unité régionale pour contrer les influences extrémistes. Il a déclaré : « Les voix radicales ne doivent pas étouffer les voix des quelque deux milliards de musulmans pacifiques. L’islam est une religion de paix. »
Quarante-cinq ans après la révolution iranienne de 1979, la République islamique se présente comme la voix de la modération et de la raison ! Bien entendu, cela ne signifie pas que l’Iran et les autres membres de l’axe de la résistance modéreront leur réponse aux récentes actions d’Israël. Les représailles de l’Iran à l’assassinat de Haniyeh seront certainement plus sévères et plus douloureuses que tout ce que Tel-Aviv a connu jusqu’à présent.
Une guerre contre l’Iran sera très différente des précédentes guerres d’Israël contre les États arabes. Elle restera ouverte jusqu’à ce qu’Israël autorise la création d’un État palestinien. La capacité de riposte d’Israël s’épuisera progressivement, comme cela s’est produit vis-à-vis du Hezbollah. L’avantage à moyen et long terme revient à l’Iran, un pays beaucoup plus grand qu’Israël, puisqu’il s’agira d’une guerre sur plusieurs fronts avec des acteurs non étatiques.
D’autre part, il est difficile de croire qu’Israël a agi seul pour attaquer la souveraineté de l’Iran, ce qui équivaut à un acte de guerre, sans l’approbation des États-Unis. C’est ce facteur “inconnu connu” qui rend la situation très dangereuse. Le guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, a déjà ordonné une frappe directe sur le territoire israélien.
Le Washington Post, citant des responsables du Pentagone, a écrit qu’en vue d’une éventuelle escalade, la marine américaine a déjà concentré 12 navires de guerre dans la région. Parmi eux, le porte-avions Theodore Roosevelt se trouve dans le golfe Persique avec six destroyers. Cinq navires de guerre américains se trouvent également en Méditerranée orientale. Le Premier ministre Netanyahou a déclaré qu’Israël “fait face à des jours difficiles” et qu’il est “prêt à faire face à n’importe quel scénario“.
Netanyahou est convaincu du soutien des États-Unis, qui s’est traduit par l’accueil chaleureux qu’il a reçu lors de son récent voyage à Washington. C’est peut-être ce soutien qui a permis à Netanyahou d’écourter sa visite aux États-Unis, de rentrer chez lui et de s’aventurer immédiatement dans une telle aggravation de la situation.
Si c’est le cas, les États-Unis coordonnent la situation, mais l’histoire israélo-américaine est aussi celle de la queue qui remue le chien, le plus souvent. Il est clair que Netanyahou tente de créer une nouvelle réalité au Moyen-Orient et qu’il écrit les scénarios de ces événements directement pour lui-même. Il est à la fois le réalisateur et le scénariste, tandis que les autres protagonistes, y compris les États-Unis et les Européens, sont contraints soit de jouer le jeu avec lui, soit de faire bonne figure dans ce mauvais jeu.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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