Au septième jour, l’incursion de l’armée ukrainienne dans l’oblast russe de Koursk semble s’être arrêtée. Les lignes de front se durcissent et la partie russe utilise son artillerie et ses bombardements pour la repousser.
Trois brigades ukrainiennes sont impliquées, ainsi qu’un certain nombre de bataillons qui ont été détachés de leurs brigades impliquées dans d’autres parties du front. Les 80e et 82e brigades de parachutistes constituent les forces principales. Elles ont été en partie formées en Grande-Bretagne et en Allemagne et utilisent du matériel occidental. La 22e brigade mécanisée est la troisième unité importante. Il y a ensuite cinq à dix bataillons provenant de diverses autres brigades.
The Economist rapporte (archivé) l’opération depuis un hôpital de Sumy :
Les récits des blessés ukrainiens suggèrent que l’opération n’a pas été une promenade de santé et qu’elle reste risquée. La salle d’hôpital empeste le sacrifice : la terre, le sang et la sueur rance. Le couloir est bordé de vêtements en papier d’aluminium qui ont brûlé. Dans la cour, les patients, dont certains sont enveloppés de bandages de la tête aux pieds comme des momies, fument furieusement. Angol, un parachutiste de 28 ans de la 33e brigade, ressemble à un sapin de Noël. Son bras gauche est immobilisé dans un appareil de fixation. Des tubes, des sacs et des fils sortent de son corps. Il se trouvait également à une trentaine de kilomètres en Russie lorsque sa chance a tourné. Il ne sait pas si c’est l’artillerie ou une bombe qui l’a touché. Peut-être s’agissait-il de tirs amis ; il y en a eu beaucoup. Tout ce dont il se souvient, c’est d’être tombé au sol et d’avoir crié “300”, le code pour les blessés. Il insiste sur le fait que les Russes étaient en fuite jusque-là, abandonnant équipements et munitions aussi vite qu’ils le pouvaient.
Il n’est pas étonnant que les troupes frontalières russes aient pris la fuite. Il s’agit essentiellement de conscrits qui ne sont pas suffisamment armés pour résister à un assaut blindé :
Certains aspects de l’opération ukrainienne semblent avoir été méticuleusement planifiés. La sécurité opérationnelle a permis de créer l’effet de surprise, un aspect crucial de la guerre. “Nous avons envoyé nos unités les plus aptes au combat sur le point le plus faible de leur frontière”, explique une source de l’état-major général déployée dans la région. Des conscrits ont été confrontés aux parachutistes et se sont simplement rendus. Mais d’autres aspects de l’opération témoignent d’une certaine précipitation dans la préparation. Les trois soldats cités dans cet article ont été retirés, sans ménagement, des lignes de front sous pression de l’est avec un préavis d’à peine une journée.
L’armée ukrainienne est intervenue avec les meilleures troupes dont elle disposait encore, plus quelques figurants récupérés au fond du tonneau. Les unités russes qui ont été déplacées à la frontière ont mis un terme aux mouvements ukrainiens. Les pelotons de reconnaissance mobiles que les Ukrainiens envoyaient sur les routes vers les villes voisines ont pour la plupart été éliminés. Les progrès considérables constatés sur certaines cartes favorables à l’Ukraine paraissent désormais bien moindres. Une trentaine de petites localités ont été capturées, mais même le centre administratif local de Sudzha, qui comptait 6 000 habitants, n’a pas été entièrement conquis.
Une nouvelle tentative ukrainienne de franchir la frontière au point de contrôle de Kolotilovka, dans la région de Belgograd, a échoué et les unités ukrainiennes impliquées ont subi de lourdes pertes.
La Russie a donc en grande partie contenu l’assaut ukrainien. L’opération est désormais un nouveau hachoir à viande, comme l’était auparavant Krinky sur le front sud. Un puits d’attrition isolé sur le plan opérationnel dans lequel les Ukrainiens devront injecter de plus en plus de réserves qu’ils ne possèdent pas et reculeront le ligne de front d’arbre en arbre.
Les drones et les bombardiers russes mènent désormais le combat. Le ministère russe de la défense affirme que l’incursion ukrainienne a perdu une grande partie de son équipement blindé :
Au total, au cours des combats dans la région de Koursk, l’ennemi a perdu jusqu’à 1 610 militaires, 32 chars, 23 véhicules blindés de transport de troupes, 17 véhicules de combat d’infanterie, 136 véhicules blindés de combat, 47 véhicules, quatre systèmes de missiles antiaériens, un lance-roquettes multiple et 13 pièces d’artillerie de campagne.
La partie ukrainienne savait que son opération risquait d’être une impasse. Comme l’écrit The Economist :
L’Ukraine ne semble pas renforcer sérieusement ses positions. “Notre veau réclame un loup“, prévient la source de sécurité, qui utilise un dicton local pour mettre en garde contre des objectifs trop ambitieux.
…
La source met en garde contre une comparaison entre l’incursion de Koursk et la reprise rapide et réussie par l’Ukraine d’une grande partie de la province de Kharkiv à la fin de l’année 2022. L’armée russe prend désormais la guerre plus au sérieux, affirme-t-il : “Le danger est que nous tombions dans un piège et que la Russie nous fasse grincer des dents.“
Il me semble que c’est exactement ce qui s’est passé. C’était tout à fait prévisible.
L’opération est toutefois un succès momentané en ce sens qu’elle a renforcé le moral de la partie ukrainienne :
Fatigués, sales et épuisés, les soldats affirment qu’ils ne regrettent pas d’avoir participé à cette opération risquée qui a déjà tué un grand nombre de leurs camarades : ils la rejoindraient sans hésiter. “Pour la première fois depuis longtemps, il y a du mouvement“, déclare Angol. « Je me suis senti comme un tigre. »
Cette semaine de bonnes nouvelles pour l’Ukraine touche à sa fin. Les unités concernées, qui ont déjà perdu l’équipement d’une brigade entière, vont encore se réduire comme peau de chagrin. Il n’y aura personne pour les remplacer. Dans le Donbass, l’armée russe poursuit son offensive contre les unités ukrainiennes affaiblies et en retraite. New York, Chasiv Yar et Toretsk seront bientôt prises.
Des questions seront bientôt posées à Kiev : “À quoi cela aura-t-il servi ?“, auxquelles personne n’aura de réponse satisfaisante. Le commandant en chef ukrainien, le général Syrski, pourrait bien être contraint de démissionner pour cette raison, même si la pression en faveur de cette opération sans espoir venait, comme l’écrit le Times (archivé), d’ailleurs :
Les empreintes personnelles du président Zelensky sont partout. Depuis de nombreux mois, c’est un secret de polichinelle à Kiev que le président faisait pression sur ses chefs militaires pour qu’ils lancent une offensive estivale.
Compte tenu des problèmes d’effectifs et de ressources de l’Ukraine, ils ont hésité. Mais Zelenski était prêt à tout pour renverser l’idée que l’Ukraine est en train de perdre la guerre.
Zelenski pense que l’opération de Koursk contribuera à faire durer la guerre, la Russie échouant au fil du temps et l’Ukraine devenant le vainqueur. La Douma russe a annoncé aujourd’hui qu’il n’y aurait pas de nouvelle mobilisation. Zelenski espérait une mobilisation et les troubles qui s’ensuivraient. Il n’y aura pas de soulèvement en Russie à cause de l’incursion de Koursk, juste une augmentation du nationalisme.
L’opération d’une semaine n’a certainement pas suffi à modifier le scénario à long terme. L’effervescence qu’elle a provoquée à Kiev et ailleurs laissera bientôt place à une profonde dépression.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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