Le “fog of war”, cette fois comme les autres, était épais et tenace et tous nos stratèges très-bien-pensants ont connu un instant d’extase. Le sénateur Graham, qui court après la médaille d’or du bêlement-bouffe, fit le déplacement de Kiev pour proposer que les F-16 ait des pilotes américanistes, tout de même autre chose que les métèques kiévesques. Cela dura quelques jours, maintenant cela commence à s’éclaircir. L’opération de Zelenski ne le mènera pas très loin, sinon à la retraite. Au fait, une question originale : les Russes ont-ils manipulé les Ukrainiens ?
Un tournant important de l’“offensive” de Koursk se situe lundi matin, au cours d’une réunion massive de tous les dirigeants russes de la sécurité nationale. L’on comprit alors qu’il importait de bien séparer les opérations en cours dans le Donbass et celle qui a été lancée vers Koursk. Dans le Donbass, c’est une “guerre” normale, entre deux armées, avec l’affaire de Koursk c’est une attaque que les Russes qualifient de “terroristes”. Medvedev nous le dit lors d’une autre réunion, non pas par message sur ‘Telegram’ mais en tant que président du parti présidentiel et vice-président du Comité de défense. Il donna une définition de l’attaque comme étant de type “terroriste” et annonça une riposte qui différerait clairement de ce qui a été fait jusqu’ici lors d’événements de cette sorte
« L’Ukraine sera certainement confrontée à des représailles suite à son offensive à grande échelle dans la région de Koursk la semaine dernière, a déclaré l'ancien président russe Dmitri Medvedev. [...]
» Ces représailles, a-t-il ajouté, “envisagent des conséquences très différentes pour ceux qui ont fait cela, y compris pour les dirigeants du régime nationaliste de Kiev”. [...]
» Dans le passé, la Russie a fréquemment répondu à ce qu’elle appelait des “attaques terroristes” contre des civils en Ukraine en lançant des frappes de haute précision ciblant les centres de décision, l’industrie de défense et les installations énergétiques, les centres logistiques et les zones de déploiement. »
Poutine avait évidemment développé cet aspect des perspectives russes lors de la réunion de lundi matin, mais surtout il avait conclu qu’on ne peut discuter, ni négocier bien, entendu, avec un “pays” qui se comporte de cette façon. C’est répondre à la doctrine russe qui dit qu’on ne discute ni ne négocie avec les terroristes. Ce constat s’ajoutant à la consigne générale donnée aux armées de débarrasser le territoire russe de ces “terroristes”, donnait le ton d’une attitude extrêmement ferme qui contient plusieurs engagements sur lesquels Poutine pourra difficilement revenir : Zelenski dit depuis longtemps qu’il ne veut pas négocier avec les Russes dans les conditions actuelles, les Russes disent désormais qu’ils ne veulent plus du tout négocier en rien avec les Ukrainiens du régime Zelenski.
Le piège des Partisans
Tout cela se dit alors que les combats semblent pour l’instant se faire dans une situation statique qui signifierait que les Russes ont bloqué l’offensive et pratiquent leur tactique habituelle d’une “attrition offensive”. Comme d’habitude également, à cause des puissances de feu respectives, les pertes ukrainiennes sont considérables, – autour de 2 000 soldats hors de combat, selon le ministère russe de la défense.
Mais le plus intéressant de cette situation est une interprétation que développe depuis trois jours Alexander Mercouris, à partir d’une source qu’il a déjà utilisée à plusieurs occasions sans jamais la prendre en défaut et qui, selon lui, a très certainement des contacts au plus haut niveau dans la direction de la Russie. Le commentateur gréco-britannique, qui est certainement l’un des meilleurs sinon le meilleur analyste de l’évolution de la guerre, joue franc-jeu. En indiquant bien entendu qu’il protégera complètement cette source, – de l’anonymat le plus complet à l’absence totale de référence qui pourrait aider à l’identifier, – il dit et répète la valeur très haute qu’il lui attribue et qu’il a pu tester à plusieurs occasions. Mercouris en parle depuis trois jours, sa source l’informant à mesure à propos de l’information qu’elle développe. Ainsi, lundi soir, il disait :
« ...Juste euh, hier, j'ai reçu un autre e-mail de la même source... La source m’a signalé, euh suggéré que toute cette opération ukrainienne dans la région de Koursk a été dans une certaine mesure le produit d'un piège intentionnellement tendu aux Ukrainiens par les Russes juste ... Je le répète encore, la source est extrêmement bien informée, hautement fiable et comme elle me l'a fait remarquer à juste titre, elle m’avait prévenu à l’époque, il y a deux mois, qu’un raid dans la région de Koursk était en préparation... » (à partir de 15’05” sur la vidéo)
On notera que durant ces deux premières communications où il fait mention de la source, Mercouris dit tout son scepticisme, affirmant le premier jour (dimanche) qu’il n’y croit pas. Bien sûr son opinion a évolué à mesure que d’autres emails lui parvenaient et que certains événements sur le terrain semblaient confirmer ses informations.
La plus originale et inattendue de ces informations est d’ordre tactique : c’est, justement, la tactique employée par les Russes, et qui a été décrite hier soir par sa source à Mercouris.
« ...Eh bien, cette information s'est avérée correspondre très étroitement à des choses que j'ai pu vérifier à nouveau comme étant vraies [...] ...sur la base des informations fournies par ses sources, il m'informe que les Russes ont commencé à se préparer à l'incursion ukrainienne dans Koursk environ deux semaines avant que cela ne se produise, il a identifié les forces impliquées dont certains sont confirmées comme présentes [...] ... et il a expliqué ou il a décrit les tactiques qui avaient été développées et qui n'étaient pas de combattre les Ukrainiens dans des combats frontaux mais plutôt d’utiliser l’environnement forestier dans cette zone pour mener des embuscades contre les colonnes ukrainiennes avançant péniblement le long des routes vers leurs différents objectifs, le but de ces attaques étant principalement d’éliminer les unités blindées pour mettre l’infanterie à découvert...
» Elle (la source) dit que les Ukrainiens sont entrés dans un nid de frelons, qu'ils ont été confrontés dans un sens, euh, je ne dirais pas à une guerre de partisans parce que ce serait certainement une exagération mais une guerre d'embuscades et d'attaques qui les a désorganisés et qui les a forcés à faire quelque chose qui ils n'avaient pas initialement prévu... » (autour de 45’10” dans la vidéo)
Mercouris note que des informations données par le ministère de la défense, notamment sur des embuscades avec des chars déployés et dissimulés dans les forêts le long des routes, rencontrent ces informations. Sa source insiste en affirmant vouloir réduire son scepticisme mais Mercouris, qui reste diplomate et docteur en droit en toutes choses, et donc prudent et respectueux de la légalité, reste encore hésitant devant ces informations. Il est de plus en plus impressionné mais s’appuie sur un reste de scepticisme ; nous ferons donc de même, non sans noter que cette affaire de Koursk nous offre une très grande diversité d’interprétations et l’occasion aux antirusses et aux autres, les très-bien-pensants, de retrouver quelque vigueur pour s’affronter.
Au-delà de Koursk
Finalement, le seul enseignement d’importance est la décision russe de classer l’opération de Koursk dans la catégorie du terrorisme et d’annoncer, comme l’a fait Poutine, qu’il n’y a dans l’état actuel des choses plus aucune possibilité de négociation. Cela implique des possibilités, notamment opérationnelles, tout à fait nouvelles, peut-être jusqu’à celles qu’avait évoquées Medvedev sur sa chaîne ‘Telegram’ il y a une semaine.
Face à une équipe de direction qu’on qualifie de terrorisme, plus aucune règle courante concernant un État n’a de valeur. L’on sait combien les Russes, et singulièrement Poutine, sont sensibles au respect de la légalité internationale formelle, même s’ils sont accusés de la piétiner, même si plus personne ne la respecte, même si cette légalité est si contestable, etc. L’équipe Zelenski étant classée terroriste, il n’y a plus aucune raison de les considérer selon une légalité (ou un reste de légalité) institutionnelle. D’ailleurs, Poutine avait ouvert cette voie en dénonçant Zelenski comme usurpateur et dictateur pour avoir supprimé l’élection présidentielle et être resté au pouvoir.
Mais plus encore, – et c’est pour cela que l’information de “la source” développée avec une exquise délicatesse par Mercouris est intéressante et dépasse la stade anecdotique d’une ruse opérationnelle. Si les choses se sont passées comme le décrit la source et si les Russes ont laissé venir les Ukrainiens, ils se sont donnés à eux-mêmes le droit légal de transformer l’armée ukrainienne et son gouvernement (et n’oublions pas, certes, l’OTAN et les USA qui en sont les parrains bienveillants) en “terroristes” avec tout ce que cela suppose d’actions “de guerre” non soumises aux règles de la guerre.
On constate donc que, volens nolens, Poutine s’installe dans une situation où sa prudence dans l’action se prive elle-même de raisons de ne pas agir d’une autre façon qu’il a fait jusqu’ici. Cela correspond assez bien avec de plus en plus de commentaires d’officiels russes estimant qu’il n’y a rien, plus rien à attendre du bloc américaniste-occidentaliste et que la lutte engagée devra se terminer par un perdants et un gagnant, – ou une “lutte à mort” si l’on veut dramatiser. Nous sommes bien au-delà de Koursk et des divers Zelenski de rencontre et de fortune.
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