27 août 2024

Cette région européenne pourrait être la prochaine Ukraine

 

La « crise ukrainienne » n’est pas vraiment un terme approprié pour décrire ce qui se passe actuellement dans les relations entre la Russie et l’Occident. Cette confrontation est mondiale. Elle touche pratiquement tous les domaines fonctionnels – de la finance à l’industrie pharmaceutique en passant par le sport – et s’étend sur de nombreuses régions géographiques.

En Europe, qui est devenue l’épicentre de cette confrontation, le niveau de tension le plus élevé en dehors de l’Ukraine se situe désormais dans la région balte. La question souvent posée en Russie (et en Occident) est la suivante : est-ce que cela deviendra le prochain théâtre de guerre ?

En Europe occidentale et en Amérique du Nord, un scénario est depuis longtemps envisagé dans lequel l’armée russe, après sa victoire en Ukraine, continue d’avancer ; cherchant ensuite à conquérir les républiques baltes et la Pologne.

Le but de cette simple fantaisie de propagande est clair : convaincre les Européens de l’Ouest que s’ils « n’investissent pas pleinement » dans le soutien à Kiev, ils pourraient se retrouver avec une guerre sur leur propre territoire.

Il est révélateur que presque personne dans l’UE n’ose demander publiquement si Moscou est intéressé par un conflit armé direct avec l’OTAN. Quels seraient ses objectifs dans une telle guerre ? Et quel prix serait-elle prête à payer ? Évidemment, le simple fait de poser de telles questions pourrait conduire à des accusations de propager la propagande russe.

Notre pays [La Russie. NdT] prend note des déclarations provocatrices de nos voisins du nord-ouest, des Polonais, des États baltes et des Finlandais. Ils ont évoqué la possibilité de bloquer l’enclave de Kaliningrad par voie maritime et terrestre, et de fermer la voie de sortie de la Russie par le golfe de Finlande. Ces déclarations sont généralement faites par des politiciens à la retraite, mais parfois des ministres en exercice et des officiers militaires propagent ce genre d’idées.

Ces menaces ne provoquent pas de panique chez les Russes. Des décisions de cette ampleur sont prises à Washington, pas à Varsovie ou à Tallinn. Néanmoins, la situation ne peut être ignorée.

La région de la mer Baltique a perdu son statut de région la plus stable et la plus pacifique d’Europe depuis de nombreuses années. Depuis que la Pologne (1999), la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie (2004), et plus récemment la Finlande (2023) et la Suède (2024) ont rejoint l’OTAN, elle est devenue, comme ils le répètent fièrement et joyeusement à Bruxelles, un « lac de l’OTAN ». Il faut deux heures de route pour se rendre de Narva (c’est-à-dire de l’OTAN) à Saint-Pétersbourg. Après l’adhésion de la Finlande au bloc dirigé par les États-Unis, la ligne de contact direct a été allongée de 1 300 km, ce qui signifie qu’elle a doublé. Saint-Pétersbourg se trouve à moins de 150 km de cette frontière. Ainsi, le prix à payer pour l’abandon volontaire par Moscou du principe d’endiguement géopolitique à la fin de la guerre froide est élevé.

Le territoire de l’OTAN ne s’est pas seulement étendu et rapproché de la frontière russe ; il est activement équipé pour les opérations militaires. Des couloirs d’accès rapide des forces de l’OTAN à la frontière (le soi-disant Schengen militaire) sont devenus opérationnels ; de nouvelles bases militaires sont construites et celles existantes sont modernisées ; la présence physique des forces américaines et alliées dans la région augmente ; Les exercices militaires, aériens et navals s’intensifient et s’étendent. L’annonce par Washington de son intention de déployer des missiles de portée intermédiaire en Allemagne en 2026 rappelle la crise des euromissiles du début des années 1980, considérée comme la période la plus dangereuse de la guerre froide après l’affrontement avec Cuba en octobre 1962.

La situation actuelle dans le nord-ouest oblige Moscou à renforcer sa stratégie de dissuasion militaire contre l’ennemi. Un certain nombre de mesures ont déjà été prises. Pour renforcer la dissuasion non nucléaire, le district militaire de Leningrad a été reconstitué et de nouvelles formations et unités sont créées là où elles étaient absentes depuis longtemps. L’intégration militaire entre la Russie et la Biélorussie a considérablement progressé. Des armes nucléaires ont déjà été déployées sur le territoire biélorusse. Des exercices impliquant les forces nucléaires non stratégiques de Moscou ont eu lieu. Des avertissements officiels ont été émis selon lesquels, dans certaines conditions, les installations militaires sur le territoire des pays de l’OTAN deviendront des cibles légitimes. Une modernisation de la doctrine nucléaire russe a été annoncée. La dissuasion atomique devient un outil plus actif de la stratégie russe.

Il ne reste plus qu’à espérer que Washington comprenne qu’un blocus naval de Kaliningrad ou de Saint-Pétersbourg serait un casus belli, une raison pour déclarer la guerre. L’administration américaine actuelle ne semble pas vouloir un conflit direct majeur avec la Russie. Mais l’histoire montre que cela se produit parfois sans que les deux parties ne le souhaitent. La stratégie d’escalade rampante pour vaincre stratégiquement la Russie, adoptée par les États-Unis dans sa longue guerre par procuration en Ukraine, comporte le risque d’un tel scénario, où la logique d’un processus, une fois enclenché, commence à déterminer les décisions politiques et militaires et la situation devient alors rapidement incontrôlable.

Un autre danger réside dans le fait que Washington encourage de facto non seulement la rhétorique irresponsable, mais aussi les actions irresponsables des pays satellites américains. Ces derniers, convaincus de leur impunité, pourraient aller trop loin en provoquant Moscou de manière irréfléchie, entraînant ainsi les États-Unis et la Russie dans un conflit armé direct. Là encore, il ne reste plus qu’à espérer que l’instinct de conservation des États-Unis sera plus fort que son arrogance.

Les espoirs ne sont que des espoirs, mais il est clair que la Russie a déjà épuisé sa réserve d’avertissements verbaux. Les actions hostiles de nos adversaires ne méritent plus d’être condamnées, mais demandent une réponse appropriée. Nous parlons maintenant des aérodromes des pays de l’OTAN, notamment de la Pologne, où pourraient bien être basés les F-16 remis à Kiev ; des tentatives possibles de l’Estonie et de la Finlande de perturber la navigation dans le golfe de Finlande ; de la perspective que la Lituanie coupe la liaison ferroviaire entre Kaliningrad et la Russie continentale sous divers prétextes ; et des menaces importantes contre notre alliée biélorusse. Une réponse ferme à un stade précoce de l’élaboration de chacun de ces plans possibles a de meilleures chances d’empêcher une escalade dangereuse. Bien sûr, la position la plus forte de la Russie est d’être proactive, de poursuivre une stratégie préventive dans laquelle Moscou ne réagit pas aux mesures d’escalade de l’ennemi, mais prend l’initiative stratégique.

Il ne faut pas oublier que la confrontation de la Russie avec l’Occident collectif se poursuivra après la fin des opérations militaires actives contre l’Ukraine. De l’Arctique, qui est une zone de rivalité à part, à la mer Noire, il existe déjà une ligne de démarcation solide et ininterrompue. La sécurité européenne n’est plus un concept pertinent, et la sécurité eurasienne, y compris la composante européenne, est un problème pour l’avenir lointain. Une longue période de « non-paix mondiale » s’annonce, pendant laquelle la Russie devra compter sur ses propres forces et capacités plutôt que sur des accords avec les États occidentaux pour assurer sa sécurité. Dans un avenir prévisible, la région baltique – ce pont autrefois prometteur sur la voie de la « Grande Europe » – sera probablement la partie la plus militarisée et la plus hostile au voisinage de la Russie. La stabilité de la situation dépendra bien sûr de la réalisation des objectifs de l’opération en Ukraine.

Dmitry Trenin

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