En mai dernier, une éruption solaire massive a généré une énorme tempête géomagnétique aux environs de la Terre. Cet épisode a donné lieu à des aurores spectaculaires aux quatre coins du globe… et semé la zizanie en orbite. D’après une étude en prépublication du MIT repérée par Space.com, des milliers de satellites ont dû effectuer des manœuvres de correction de trajectoire pour compenser les effets du phénomène. Un bilan rappelle à quel point l’humanité aura intérêt à surveiller la météo solaire comme le lait sur le feu.
Lorsqu’une ligne de champ magnétique se rompt à la surface de notre étoile, elle produit une décharge de rayons X et gamma extrêmement intenses. On parle d’éruption solaire, et ces dernières sont parfois associées à une éjection de masse coronale — une vaste bulle de plasma qui voyage à très grande vitesse. Lorsque ces phénomènes prennent la direction de notre planète, elle subit un véritable déluge de rayonnements de haute énergie. C’est une mauvaise nouvelle pour tous les satellites, sachant que les composants électroniques ne font pas bon ménage avec ces particules chargées. Mais tous les engins ne sont pas logés à la même enseigne.
Une migration de satellites sans précédent
L’autre problème, c’est que ces rayonnements sont absorbés par les couches supérieures de l’atmosphère. Dans les cas extrêmes, ce transfert d’énergie est si important qu’il peut chauffer significativement l’ionosphère et la thermosphère, ce qui a pour effet d’augmenter le volume des gaz les plus denses. Et c’est très embêtant pour les satellites positionnés sur des orbites relativement proches de la surface ; cette expansion peut augmenter significativement leur friction avec l’atmosphère, ce qui se manifeste par une perte d’altitude progressive.
C’est exactement ce qui s’est passé en mai dernier lorsque l’atmosphère a été pilonnée par une éruption solaire de classe G5. Des milliers de satellites en orbite terrestre basse ont vu leur trajectoire significativement altérée, et se sont mis à plonger lentement mais sûrement vers la Terre. Cela a forcé les opérateurs à réagir relativement rapidement pour préserver leurs engins en corrigeant leurs trajectoires. Pendant quelques jours, nous avons donc assisté à une migration de masse en orbite.
Un risque de carambolage orbital
Aux dernières nouvelles, aucun satellite n’a été perdu. Nous l’avons donc échappé belle, car selon les auteurs de l’étude, cette frénésie aurait pu déboucher sur un chaos sans précédent. En règle générale, les moindres faits et gestes d’un satellite sont planifiés à l’avance, le temps de s’assurer que chaque manœuvre peut être réalisée en toute sécurité.
Or, ce n’était pas le cas lors de cet épisode qui a pris tout le monde de cours. Certains engins auraient donc pu entrer en collision. Pour couronner le tout, ces impacts auraient créé des nuages de débris hypersoniques qui auraient eux-mêmes pu menacer d’autres satellites en train d’élever précipitamment leurs orbites. Et ainsi de suite, avec des conséquences potentiellement catastrophiques pour les innombrables services qui dépendent de ces engins.
Une telle réaction en chaîne est statistiquement très improbable — mais pas impossible pour autant. À vrai dire, le risque a augmenté de manière significative en l’espace de quelques années. La dernière éruption de cette ampleur remonte à 2003, à une époque où seules quelques centaines de satellites se partageaient toute l’orbite basse. Or, le paysage a radicalement changé depuis cette époque. L’orbite a commencé à s’encombrer de plus en plus vite avec l’émergence de l’aérospatiale privée, et notamment de SpaceX. À elle toute seule, la firme a déjà déployé plus de 6200 satellites Starlink. Au total, on compte désormais près de 10 000 engins en orbite terrestre basse.
Cette explosion du trafic impose aux opérateurs d’être plus vigilants que jamais pour éviter les collisions… mais dans la précipitation, tous ces protocoles semblent s’être effondrés.
« La tempête géomagnétique de mai 2024 était la première tempête majeure de cette nouvelle ère où l’orbite terrestre basse est dominée par les petits satellites commerciaux. En infligeant des perturbations vastes et imprévisibles aux trajectoires des satellites, elle a imposé un défi sérieux à l’infrastructure de suivi. Cette combinaison de facteurs a rendu très difficile, voire impossible l’identification des croisements potentiels pendant la tempête et dans les jours qui ont suivi », écrivent les auteurs de l’étude.
Une piqûre de rappel édifiante
La bonne nouvelle, c’est qu’il y a des leçons très claires à tirer de ces constats. Premièrement, les agences spatiales et les entreprises vont devoir trouver un moyen de mieux se coordonner. Cela passera peut-être par la mise en place d’un protocole d’urgence global, afin que tous les opérateurs puissent relocaliser leurs engins sans risque en cas d’éruption solaire encore plus importante.
L’autre priorité sera de renforcer notre capacité à anticiper les caprices du Soleil. C’est un exercice qui est notoirement complexe et hasardeux. Mais les enjeux sont désormais si importants que la prévision de la météo solaire n’est plus une option : c’est désormais un impératif économique et logistique de premier plan.
Heureusement, les grands noms de l’aérospatiale en ont pleinement conscience et commencent à prendre le problème à bras le corps. Par exemple, en mai dernier, l’ESA a signé un contrat de 340 millions d’euros avec la division Défense et Espace d’Airbus pour la construction de Vigil, un satellite sentinelle qui aura pour mission d’aider l’humanité à anticiper les aléas de la météo solaire.
Il est attendu en 2031, quelques années avant le prochain pic du cycle d’activité du Soleil où ces événements sont beaucoup plus fréquents et intenses. Il ne reste qu’à croiser les doigts pour que l’armada de satellites dont nous dépendons au quotidien tienne le coup jusque là !
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