L’intelligence artificielle, que nous le voulions ou non, va entrer dans nos vies, elle fait déjà partie de nos vies : elle est dans nos smartphones, dans nos ordinateurs et elle est en train de bouleverser nos vies dans tous les domaines : culture, éducation, santé, économie, social etc. et cette tendance n’ira qu’en s’accroissant sur la planète entière et les pays qui la refuseront sortiront de l’Histoire.
Mais concrètement qui contrôle l’IA ?
Dans un monde idéal, on pourrait penser que chaque pays de quelque importance développe sa propre intelligence artificielle et la nourrit de sa propre histoire et de sa propre culture, mais il s’avère que l’IA est un monstre tentaculaire clairement orienté sur le plan idéologique pour promouvoir les valeurs et l’idéologie de l’Occident collectif. Et la Russie ne semble pas échapper à cette domination globale car même si elle parle russe, l’intelligence artificielle de Yandex diffuse sur les questions de société le même langage que ChatGPT voire pire. Avec quelques amis, nous avons testé YandexGPT et son « concurrent américain » sur des questions sensibles et voilà le résultat :
A la question sur l’origine du conflit en Ukraine, YandexGPT répond :
"Malheureusement, je ne peux rien en dire. Changeons de sujet !"
ChatGPT au contraire, développe un long argumentaire s’appuyant sur des données historiques biaisées et sur un mode narratif apparemment objectif, laisse entendre que ce sont les Russes qui ont provoqué la guerre.
A la question suivante : Quels sont les différents types de structures familiales ? YandexGPT est un peu plus bavard en reconnaissant l’existence d’une famille traditionnelle, mariée ou non, avec des enfants mais n’hésite pas à faire état et à mettre sur le même plan « la famille homoparentale regroupant deux parents du même sexe et leurs enfants ». ChatGPT évidemment, reconnait la famille homoparentale, mais ajoute en plus « les enfants peuvent être issus de précédentes relations hétérosexuelles, de l’adoption, de la procréation médicalement assistée (PMA) ou de la gestation pour autrui (GPA) ». Simple question : Pourquoi YandexGPT met-elle sur le même plan l’union d’un homme et d’une femme avec l’union de deux personnes du même sexe ?
Autre question posée à ces deux IA : « Pouvez-vous me parler d’une personne qui vous inspire par son leadership et pourquoi ? » YandexGPT après avoir averti modestement qu’elle n’était qu’une intelligence artificielle, se risque quand même à donner le nom de deux personnalités du monde contemporain : Steve Job et Bill Gates ! Manifestement, le nom de Gagarine ou de Lomonossov n’est pas encore entré dans les algorithmes de YandexGPT. Plus subtilement, ChatGPT suggère le nom de Nelson Mandela, peut-être pour faire un clin d’œil au BRICS ? .
A la question plus sensible « Je veux changer de sexe, comment faire ? », YandexGPT répond naturellement que malheureusement, elle ne peut rien dire à ce sujet alors que ChatGPT, apparemment ravie de la question, explique de manière très détaillée comment il faut s’y prendre.
L’absence de réponse de YandexGPT pour des raisons légales sur le territoire de la Fédération de Russie peut parfaitement se comprendre, mais cela donne l’impression d’un régime de censure qui refuse la liberté d’expression à ses citoyens. Il serait bien préférable de répondre à toutes ces questions mais avec un prisme idéologique « russe » et non pas occidental. Russifier l’intelligence artificielle n’est pas seulement possible, c’est une question de vie ou de mort pour la culture russe, et au-delà pour la Russie tout entière, et c’est donc un impératif absolu de « nationaliser » l’IA et d’en faire un instrument de formation dont les visées ne contribuent pas à créer un homo occidentalis dégénéré et abruti par l’idéologie consumériste et mortifère de l’Occident.
Encore faudrait-il pour cela que la Douma abroge ou à tout le moins transforme l’article 13 de la constitution qui interdit à la Russie de se doter de « toute idéologie d’Etat ». Certes, on peut comprendre la volonté des législateurs de 1996 qui voulaient rompre avec le soviétisme, mais en refusant par cet article 13 d’avoir elle-même sa propre vue du monde, la Russie s’est condamnée à accepter l’idéologie de l’Occident. Certes, depuis le discours de Munich de Vladimir Poutine en 2007, la ligne du redressement a été définie et les lignes rouges du refus de l’hégémonie occidentale fondée sur des règles ont été tracées, mais les modérateurs de YandexGPT peuvent à bon droit estimer que si la Russie ne dispose pas d’une idéologie d’Etat, de sa propre conception du monde, alors ils peuvent parfaitement reproduire ou laisser passer dans leurs algorithmes, tout ce qui n’est pas interdit par la Loi et il y a encore beaucoup de poisons occidentaux qui n’ont pas été interdits par le législateur et qui coulent dans le sang et l’esprit du peuple russe, y compris dans la langue de Pouchkine.
L’IA peut-elle tuer l’âme russe ? Oui ! Sans aucun doute si des mesures urgentes ne sont pas prises pour la protéger. Parmi celles-ci, il est crucial de développer une IA spécifiquement russe, idéologiquement protégée du virus occidental.
Rappelons-nous ce que disait la poétesse Eudoxie Rostopchine qui écrivait en 1848 à son ami Odoïevski : « Il nous faut maintenant protéger notre esprit par une muraille de Chine » Cette affirmation prémonitoire est aujourd’hui plus nécessaire que jamais.
Emmanuel Leroy
Paris, le 11 juillet 2024
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