Le
10 mai 1925, la franc-maçonne Alexandra David-Néel (1868-1969) est de
retour en France après quatorze années de pérégrinations orientales. Ses
conférences et ses écrits renforceront le mythe du Tibet qui se répand
en Occident. Alexandra, qui était dans sa jeunesse proche de
l’anarchiste Elisée Reclus (1830-1905), ne dénoncera pas l’odieux
servage féodal de la société lamaïste. Elle songe à son succès. Or, le
succès s’accommode mal de la triste réalité.
Le livre qui sera son chef-d’œuvre, « Mystiques et magiciens du Tibet », édité le 4 décembre 1929, accorde une large part aux prodiges. Il évoque une Thébaïde lamaïste où les ascètes maîtrisent d’étonnants pouvoirs surnaturels. Des yogis, sont capables d’élever leur chaleur corporelle jusqu’à faire fondre la neige autour d’eux. D’autres, les « loung-gom-pa », parcourent des distances de plusieurs centaines de kilomètres sans arrêt et à vive allure. Clairvoyance, lévitation, télépathie, réanimation d’un cadavre et les nombreux phénomènes insolites relatés par Alexandra David-Neel fascineront plusieurs générations de lecteurs.
La femme aux semelles de vent disposait de puissants soutiens. « Depuis son retour, écrit Jacques Brosse (1), Alexandra David-Neel n’a guère pris le temps de souffler. Il lui a fallu satisfaire d’abord les journaux qui, tous, sollicitent des articles ; elle en publie une vingtaine dans « le Matin », une agence américaine lui en commande une série qui sera diffusée dans deux cents journaux, enfin le grand éditeur new-yorquais Harper lui achète immédiatement les droits de la relation de voyage qu’elle écrira, afin de s’en assurer la priorité. La France entière veut avoir vu celle qui est devenue une héroïne nationale et elle va partout où on la réclame. En 1926, Alexandra parcourt la France pendant les mois de janvier et février, de Dijon et Clermont-Ferrand à Nice et Marseille. En mars, elle est à Paris où, reçue au Collège de France par son ami, le professeur d’Arsonval, elle donne une conférence sur la métapsychique et l’opinion scientifique ; en avril, puis encore en octobre et novembre, nouvelle tournées de conférences. En 1927, ce train d’enfer s’apaise et lui laisse enfin quelque loisir qu’elle consacre à la rédaction de ces livres que tout le monde attend. En avril, à Paris, elle donne plusieurs conférences à la Société théosophique, mais aussi au musée Guimet, où l’accueille le grand tibétologue français Jacques Bacot, et encore une fois au Collège de France. C’est son triomphe, les orientalistes ont enfin cessé de la bouder, ils sont bien obligés de reconnaître que son expérience est unique. En mai, un nouveau cycle de conférences la conduit à Tonnerre, à Dijon, à Annecy, à Genève. »
Quelques temps après la parution de « Mystiques et magiciens du Tibet », un Occidental converti au bouddhisme fait parler de lui sur la Côte d'Azur. Introduit dans le milieu bouddhiste de Nice, Grasse et Antibes sous le nom d'abbé Chao-Kung, l’ecclésiastique tondu est hébergé par Lucien Ehret, ancien capitaine au long cours et explorateur du Japon. Chao-Kung donne des conférences chez Blanche Rondeau, dans la somptueuse propriété du Cap d'Antibes où sont invités d'éminents spécialistes du bouddhisme et des intellectuels venus de l'Europe entière : Krishnamurti, le docteur Grimm de Münich, Rabindranath Tagore ou encore Lady Rothermere, la première traductrice de Gide.
L’abbé bouddhiste se nomme en réalité Trebitsch Lincoln (1879-1943), c’est un juif hongrois converti d'abord au christianisme, puis ensuite au bouddhisme. Le religieux n’est pas un innocent contemplatif, il travaille pour plusieurs services secrets et s’intéresse au nazisme et au Tibet.
Le livre d’Alexandre Grigoriantz, « Le gourou de la Riviera », retrace l’histoire d’un aventurier de haut vol. Le puissant magnétisme du gourou subjugue plusieurs dizaines de disciples et certains quittent tout pour suivre le maître bouddhiste. En 1933, seize disciples, après avoir fait vœux d’obéissance et remis leurs biens à leur gourou, s’embarquent avec lui pour Shanghai. L’aventure se terminera tragiquement, trois perdront la vie et les autres seront emportés dans la tourmente qui frappera la Chine. Pour Guénon, Trebitsch Lincoln était un « agent de la contre-initiation », c’est-à-dire un instrument de forces occultes qui contrecarrent la véritable spiritualisation de l'humanité.
Trebitsch Lincoln préfigurait les gourous qui jettent leur dévolu sur l’Occident depuis la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Contrairement aux sages d’autrefois, les maîtres du néo-spiritualisme se distinguent dans l’art de parasiter leurs disciples et de mener grand train avec l’argent des plus naïfs. Ce parasitisme matériel fait écho à une prédation subtile. En effet, les pratiques méditatives et les invocations ne sont pas dénuées de risques (2). L’intérêt pour les expériences psychiques du nouveau spiritualisme supprime toutes les précautions traditionnelles à l’égard du monde psychiques et des redoutables influences errantes maquillées en Dakinis tantriques ou en maîtres ascensionnés. Des pratiques transforment des spiritualistes imprudents en pâtures vivantes. William Chittick, traducteur des œuvres de Ibn al-‘Arabi, écrit :
(1) « Alexandra David-Neel », Albin Michel.
(2) Les dangers de la méditation : http://bouddhanar.blogspot.com/2007/02/les-dangers-de-la-meditation.html
Le livre qui sera son chef-d’œuvre, « Mystiques et magiciens du Tibet », édité le 4 décembre 1929, accorde une large part aux prodiges. Il évoque une Thébaïde lamaïste où les ascètes maîtrisent d’étonnants pouvoirs surnaturels. Des yogis, sont capables d’élever leur chaleur corporelle jusqu’à faire fondre la neige autour d’eux. D’autres, les « loung-gom-pa », parcourent des distances de plusieurs centaines de kilomètres sans arrêt et à vive allure. Clairvoyance, lévitation, télépathie, réanimation d’un cadavre et les nombreux phénomènes insolites relatés par Alexandra David-Neel fascineront plusieurs générations de lecteurs.
La femme aux semelles de vent disposait de puissants soutiens. « Depuis son retour, écrit Jacques Brosse (1), Alexandra David-Neel n’a guère pris le temps de souffler. Il lui a fallu satisfaire d’abord les journaux qui, tous, sollicitent des articles ; elle en publie une vingtaine dans « le Matin », une agence américaine lui en commande une série qui sera diffusée dans deux cents journaux, enfin le grand éditeur new-yorquais Harper lui achète immédiatement les droits de la relation de voyage qu’elle écrira, afin de s’en assurer la priorité. La France entière veut avoir vu celle qui est devenue une héroïne nationale et elle va partout où on la réclame. En 1926, Alexandra parcourt la France pendant les mois de janvier et février, de Dijon et Clermont-Ferrand à Nice et Marseille. En mars, elle est à Paris où, reçue au Collège de France par son ami, le professeur d’Arsonval, elle donne une conférence sur la métapsychique et l’opinion scientifique ; en avril, puis encore en octobre et novembre, nouvelle tournées de conférences. En 1927, ce train d’enfer s’apaise et lui laisse enfin quelque loisir qu’elle consacre à la rédaction de ces livres que tout le monde attend. En avril, à Paris, elle donne plusieurs conférences à la Société théosophique, mais aussi au musée Guimet, où l’accueille le grand tibétologue français Jacques Bacot, et encore une fois au Collège de France. C’est son triomphe, les orientalistes ont enfin cessé de la bouder, ils sont bien obligés de reconnaître que son expérience est unique. En mai, un nouveau cycle de conférences la conduit à Tonnerre, à Dijon, à Annecy, à Genève. »
Quelques temps après la parution de « Mystiques et magiciens du Tibet », un Occidental converti au bouddhisme fait parler de lui sur la Côte d'Azur. Introduit dans le milieu bouddhiste de Nice, Grasse et Antibes sous le nom d'abbé Chao-Kung, l’ecclésiastique tondu est hébergé par Lucien Ehret, ancien capitaine au long cours et explorateur du Japon. Chao-Kung donne des conférences chez Blanche Rondeau, dans la somptueuse propriété du Cap d'Antibes où sont invités d'éminents spécialistes du bouddhisme et des intellectuels venus de l'Europe entière : Krishnamurti, le docteur Grimm de Münich, Rabindranath Tagore ou encore Lady Rothermere, la première traductrice de Gide.
L’abbé bouddhiste se nomme en réalité Trebitsch Lincoln (1879-1943), c’est un juif hongrois converti d'abord au christianisme, puis ensuite au bouddhisme. Le religieux n’est pas un innocent contemplatif, il travaille pour plusieurs services secrets et s’intéresse au nazisme et au Tibet.
Le livre d’Alexandre Grigoriantz, « Le gourou de la Riviera », retrace l’histoire d’un aventurier de haut vol. Le puissant magnétisme du gourou subjugue plusieurs dizaines de disciples et certains quittent tout pour suivre le maître bouddhiste. En 1933, seize disciples, après avoir fait vœux d’obéissance et remis leurs biens à leur gourou, s’embarquent avec lui pour Shanghai. L’aventure se terminera tragiquement, trois perdront la vie et les autres seront emportés dans la tourmente qui frappera la Chine. Pour Guénon, Trebitsch Lincoln était un « agent de la contre-initiation », c’est-à-dire un instrument de forces occultes qui contrecarrent la véritable spiritualisation de l'humanité.
Trebitsch Lincoln préfigurait les gourous qui jettent leur dévolu sur l’Occident depuis la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Contrairement aux sages d’autrefois, les maîtres du néo-spiritualisme se distinguent dans l’art de parasiter leurs disciples et de mener grand train avec l’argent des plus naïfs. Ce parasitisme matériel fait écho à une prédation subtile. En effet, les pratiques méditatives et les invocations ne sont pas dénuées de risques (2). L’intérêt pour les expériences psychiques du nouveau spiritualisme supprime toutes les précautions traditionnelles à l’égard du monde psychiques et des redoutables influences errantes maquillées en Dakinis tantriques ou en maîtres ascensionnés. Des pratiques transforment des spiritualistes imprudents en pâtures vivantes. William Chittick, traducteur des œuvres de Ibn al-‘Arabi, écrit :
« Ceux qui connaissent bien les standards et normes de
l’expérience spirituelle établis par des disciplines comme le Soufisme
par exemple, sont généralement consternés lorsqu’ils s’aperçoivent que
les Occidentaux considèrent n’importe quelle apparition étrangère à la
conscience normale, comme une manifestation du « spirituel ». En fait,
il existe d’innombrables mondes dans l’Invisible, et certains d’entre
eux sont bien plus dangereux que la pire des jungles du monde visible. »
(1) « Alexandra David-Neel », Albin Michel.
(2) Les dangers de la méditation : http://bouddhanar.blogspot.com/2007/02/les-dangers-de-la-meditation.html
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