La décision US de baser en Allemagne des missiles de théâtre de moyenne et longue portée (jusqu’à 5.000 kilomètres) à partir de 2026, ressuscite la fameuse crise des euromissiles des années 1979-1983. L’indifférence extraordinaire du monde politique et du public allemands pour cette décision nous change par contre complètement par rapport à 1979-1983 qui vit les plus impressionnantes manifestations anti-nucléaire de la Guerre Froide. Un ancien officier suédois évoque les mesures de rétorsion que les Russes devront envisager à partir de 2026, qui doivent impliquer une capacité d’atteindre le territoire US comme les missiles US ont la capacité d’atteindre le territoire russe. Il cite notamment des bases russes dans un pays d’Amérique Latine, ou des bases russes dans l’extrême Nord-Est de la Russie, pouvant toucher l’Alaska et le Nord de la côte Ouest des USA.
21 juillet 2024 – Il y a une décade, les États-Unis et l’Allemagne ont annoncé, sur initiative des premiers et approbation servile de la seconde, le déploiement de missiles de théâtre US à moyenne/longue portée en Allemagne en 2026. Pour relever la sauce, le Pentagone a même parlé de missiles hypersoniques ‘Dark Eagle’, ce qui est hautement comique dans le domaine de la ‘Fantasy’ de la prévision en fonction des réussites américanistes dans le développement de cette technologie. La nouvelle du déploiement avait été confirmée au superbe sommet de l’OTAN de Washington.
Nous présentions la chose le 12 juillet 2024. La rubrique Christoforou-Mercouris l’annonçait dans un programme commun le 14 juillet, en remarquant (Christoforou) :
« C’est une grande nouvelle, dont peu de médias dans l’Occident-collectif parlent... »
Pour notre part, nous présentions la chose sous l’intertitre « Résurrection des Euromissiles » qui rappelait l’extraordinaire crise de 1979-1983 en Europe, avec là aussi l’Allemagne au centre de la crise, et un colossal mouvement de refus de ces missiles qui donne une mesure stupéfiante, – par l’absence de réaction aujourd’hui, – de l’apathie de la soumission aux USA où est tombée l’Allemagne, meneuse de l’Europe en cette matière.
... Nous présentions le projet pentagonesque de cette façon :
« Les missiles prévus pour le déploiement sont le missile de croisière ‘Tomahawk’ (rayon d’action jusqu’à 3.500 kilomètres), les missiles de défense aérienne adaptés à l’attaque offensive SM-6 (400 kilomètres de rayon d’action) et un “missile hypersonique”, sans autre précision. Sur le dernier cas, on restera hautement sceptique sur le fait que les USA puisse réussir à déployer un tel missile en 2026 alors qu’aucun n’a encore réussi des essais préliminaires de qualification après plusieurs années de travail. La promesse d’un tel missile est une manœuvre-simulacre pour renforcer la croyance religieuse des pays-membres dans la puissance US.
» Quoi qu’il en soit, le déploiement de tels missiles constitue une source de tension maximale dont on comprend qu’elle dépasse complètement le conflit ukrainien. Cette fois, c’est la question de la sécurité européenne dans son ensemble qui est posée, donc la question de l’OTAN volontairement déployée contre la Russie et la Russie devant envisager un conflit global. »
Il est vrai, répétons-le, que cette décision est passée comme un suppositoire à la poste, sans douleur ni commentaire. C’est la diplomatie du fait accompli, que pratique aujourd’hui les USA en cours d’effondrement avec ses petites mains d’Europe occidentale, parce qu’il (les USA) on autre chose à faire que prendre des gants avec ces simulacres de nation. Ce comportement, qui eut été jugé scandaleux et inconstitutionnel par les Grünen et le SPD en d’autres temps, n’a intéressé personne, ni chez les Grünen, ni au SPD. Un expert en droit (allemand), anciennement du Parlement européen, nous fait part de l’infamie :
« Gunnar Beck, expert en droit européen et ancien vice-président du groupe Identité et Démocratie au Parlement européen, note qu'il n'y a pas eu de débat public sur cette évolution dangereuse en Allemagne, en particulier pas de débat au Bundestag. Aucun détail de l'accord n'a été révélé.
» “C'est un fait accompli”, a déclaré M. Beck à Sputnik. “Les gouvernements allemand et américain ont annoncé qu'ils envisageaient de le faire... Mais tout ce discours sur une menace russe imminente pour l'Europe n'est, à mon avis, qu'un prétexte pour justifier une aide militaire et financière supplémentaire à l'Ukraine. Et, bien sûr, c'est un prétexte pour intimider la population européenne et la forcer à accepter des dépenses militaires encore plus importantes”. »
Monsieur Beck, aussi bien que ‘Sputnik.News’, nous offrent quelques considérations sur cette crise en devenir que constituent les projets américano-allemands de déploiement. Le rappel de la crise des euromissiles de 1979-1983 (ou 1977-1987 si l’on veut être complet) est évidemment frappant, tout comme l’est l’extraordinaire différence de réaction, aussi bien du monde politique que du public allemand. Entre ces années 1980 et aujourd’hui s’ouvre un abîme d’effondrement de la perception, de la lucidité, du courage et ainsi de suite, face à une Amérique pourrie et en pleine décomposition alors qu’elle prétendait être encore la grande puissance porteuse des “valeurs” du Monde Libre à l’époque. Le contraste fait frémir, tout comme le sentiment d’irresponsabilité qui l’accompagne (pour notre époque, bien entendu).
Note de PhG-Bis : « On peut consulter sur ce site nombre de textes sous les références “Euromissiles” et “Euromissiles-II” qui renvoient à cette crise des années 1970 et (essentiellement) des années 1980. Indiquons une analyse du 20 février 2007 et également, et surtout, pour avoir un vision complète du paysage politique un document complet de la CIA déclassifié en 1997 sur la crise et tout ce qui l’accompagna au niveau des services de renseignement sous le titre de “The 1983 Soviet War Scare”, en deux textes s’enchaînant (du 19 septembre 2003 et du 20 septembre 2003). »
Lorsqu’il commence à enchaîner sur ce rappel des années1970-1980, Beck ajoute une précision dont nous n’étions pas informée et dont nous doutons absolument : les Etats-Unis auraient promis que les missiles déployés à partir de 2026 ne porteraient pas d’ogives nucléaires, ce qui est une condition complètement absurde et stupide par rapport aux usages dans cette sorte d’initiative. C’est dire avec quel enthousiasme on peut accueillir cette promesse quand on songe aux performances américanistes dans les domaines de l’engagement, de la fidélité aux promesses, du respect des accords et ainsi de suite. C’est comme si Al Capone et Lucky Luciano vous promettaient d’une seule voix de vous rendre la monnaie de votre pièce...
Il est préférable de ne pas tenir compte de ce facteur, si jamais il existe réellement, d’autant qu’il est si aisément contournable lorsqu’on connaît la taille et la difficulté d’identification d’une tête nucléaire. Sans doute a-t-il été simplement évoqué pour désamorcer le type de réactions politique et populaire, – essentiellement antinucléaire, – qu’il y eut, justement, en 1979-1983.
« La situation rappelle celle du début des années 1980, lorsque les États-Unis ont déployé des missiles Pershing en Allemagne de l'Ouest, vraisemblablement pour contrer une éventuelle agression de l'Union soviétique. La seule différence est que, cette fois, les Américains promettent de ne pas équiper d'ogives nucléaires les missiles SM-6, les Tomahawks et même certaines “armes hypersoniques”. Ces missiles porteront des ogives conventionnelles qui feront de l'Allemagne une cible pour les représailles russes à partir de 2026. »
On peut se demander si la décision américaniste, bien dans la manière de la lourde bureaucratie du Pentagone qui ne cesse d’empiler des bases et des armements dépassés, est particulièrement habile par rapport au supplément de capacités opérationnelles qu’elle donne aux américanistes. (Nous ne parlons pas des Allemands, qui sont hors du débat et ne servent que d’essuie-pieds.)
Ce qui importe, en effet, c’est l’occasion presque forcée que le Pentagone donne aux Russes de développer un nouveau type d’armement (ou des versions spécifiques d’armements existants, comme les ‘Iskander’, particulièrement efficaces et proches d’être hypersoniques) et de trouver des déploiements inhabituels qui répondent en les équilibrant aux critères géo-opérationnels des missiles qui seront déployés en Allemagne ; c’est-à-dire des missiles de longue portée que les Russes devront déployer à portée minimale du pays européen concerné (l’Allemagne) et surtout, essentiellement des États-Unis eux-mêmes.
Cela conduit un ancien officier de l’armée suédoise, Mikael Valtersson, interrogé par Spoutnik-Français,à proposer le type de déploiement que les Russes pourraient choisir. Un officier suédois est certainement un bon choix pour cette sorte d’hypothèses, puisque son pays se trouve à la fois dans l’OTAN, à la fois dans le groupe des pays nordiques autour de l’Allemagne, habitués aux pratiques russes et particulièrement attentifs et renseignés sur cette sorte d’initiative.
Il cite cinq scénarios envisageables :
« • Déployer de nouveaux missiles à double usage en Biélorussie ou dans la région russe de Kaliningrad, enclavée entre la Lituanie et la Pologne;
• En déployer en Extrême-Orient russe, pour faire de l’Alaska et de la côte ouest des États-Unis une cible pour ses missiles à portée intermédiaire;
• Installer des missiles à moyenne portée au sud de l’Europe et à proximité des États-Unis si un accord peut être conclu avec un ou plusieurs pays d’Afrique du Nord ou des Caraïbes;
• Déployer des missiles stratégiques dans les districts militaires de Moscou et de Saint-Pétersbourg, ce qui “réduit le temps dont dispose l'Otan pour détecter et réagir à un tir de missile à moyenne portée russe”.
• “Faire de l'Allemagne une cible beaucoup plus importante pour les missiles russes à l’avenir”. »
Les Russes auraient déjà dû riposter de cette façon lorsque les USA ont installé des bases de missiles sol-air pouvant se transformer en missiles d’attaque sol-sol dans une base polonaise et une base roumaine (en 2015 et 2020 respectivement à partir de projets annoncés en 2005-2010). Ils ne le firent pas malgré une crise préliminaire sévère parce que les relations avec les USA pouvaient encore être, selon le prudentissime Poutine et l’hyper-prudentissime (à cette époque) Medvedev, sauvegardées. Cette fois il n’en est plus question et toute la prudence de Poutine, contrecarrée par l’hyper-agressivité cde Medvedev, n’empêchera pas la nécessité pour les Russes de riposter par de tels déploiements que proposent les hypothèses du Suédois Valtersson.
Il est possible que Valtersson, en répandant ces hypothèses, soit en mission de communication, qui pour provocation, qui pour incitation à l’action, pour tel ou tel bord... Qu’il soit d’une tendance antirusse ou prorusse, il n’empêche que de telles hypothèses, en général passées sous silence par la presseSystème, – preuve par inversion & absurde de leur importance, – vont faire leur chemin, si elles ne sont pas déjà à l’étude (bien sûr) à l’état-major russe.
On note dans tous les cas qu’elles sont grosses, par le biais de la nécessaire riposte russe, d’aggravations considérables de la situation. On note l’élargissement considérable d’une crise jusqu’ici opérationnellement contenue à l’Ukraine ; un élargissement qui touche l’Europe elle-même, certes, mais bien au-delà, car la condition sine qua non pour que la riposte équivaille à l’agression est que c es missiles à moyenne de théâtre (donc non-stratégiques) menacent le territoire de l’opposant principal (les USA) puisque ceux qui sont déployés en Allemagne menacent le territoire russe. Par conséquent, les deux propositions les plus cohérentes de Valtersson sont aussi les plus audacieuses :
• Des bases de missiles russes dans l’un ou l’autre pays d’Amérique Latine, c’est-à-dire un replay de la crise de Cuba, mais cette fois initié par les USA. Quoi qu’il en soit, l’évolution des pays d’Amérique Latine dans un flux nettement antiaméricaniste autorise cette sorte d’hypothèses en même temps qu’elles offrent aux pays qui accepteraient de telles implantations russes une garantie similaire à celle que les USA offrent à l’Allemagne. C’est une façon de trouver un moyen d’empêcher les entreprises habituelles de la CIA pour les opérations de regime change.
• L’idée d’implanter des bases dans les régions de l’extrême Nord-Est de la Russie est une de ces évidences auxquelles on ne pense pas assez. C’est mettre à portée de tir des missiles US l’Alaska et une partie de la côte Ouest des Etats-Unis, tout en entraînant le Canada wokeniste du gentil Trudeau dans une dynamique de crise des plus inconfortables. Dans les deux cas, l’OTAN acquerra ainsi ses lettres de noblesse en voyant sa zone d’action opérationnelle enfin dégagée du sempiternel théâtre européen. Les USA auront ainsi la crise mondiale derrière laquelle ils courent depuis des décennies.
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