02 juillet 2024

Ariane 6, déjà dépassée !

L’Europe spatiale voudrait éloigner le spectre du déclassement

Le premier vol d’Ariane 6 devait permettre à l’Europe spatiale d’émerger d’une crise majeure, mais face au boom de l’économie de l’espace et à la concurrence internationale, les Européens sont poussés à revoir leur modèle pour éviter le déclassement.

Ariane 6, déjà dépassée ?

Décidé en 2014, le lanceur lourd européen a été conçu pour neuf lancements par an. La fusée réutilisable Falcon 9 doit elle voler 144 fois cette année, ambitionne l’américain SpaceX.

Ariane 6 « ne constitue pas une réponse suffisante aux défis de la concurrence américaine », craignait dès 2019 le président de la Cour des comptes française Didier Migaud, qui pointait un « risque important que le lanceur ne soit pas durablement compétitif face à SpaceX ».

Il n’y a pas de projet de rendre Ariane 6 réutilisable, admet Martin Sion, président d’Arianegroup, son maître d’œuvre industriel. « Jamais il n’a été envisagé qu’Ariane 6 fasse un nombre de vols aussi important que SpaceX, sinon on n’aurait pas eu cette architecture », a-t-il récemment expliqué devant l’Association des journalistes de la presse aéronautique.

Face à SpaceX, l’Agence spatiale européenne (ESA) promettait alors une baisse des coûts de 40 % par rapport à Ariane 5, un objectif pas encore rempli.

Les Européens devront financer son exploitation à hauteur de 340 millions d’euros par an.

Mais pour Hermann Ludwig Moeller, directeur de l’Institut européen de politique spatiale (ESPI), la question du retour sur investissement du lanceur « n’est pas au cœur du calcul », la fusée est une « condition nécessaire pour là où l’espace est utile : dans l’agriculture, les transports, le climat ou la défense ».

« On va tous crever »

Avec ce cri d’alarme lancé en mars, Philippe Baptiste, le patron du Cnes, l’agence spatiale française, a prévenu que « l’industrie spatiale européenne aujourd’hui est à risque » car elle ne va « pas assez vite » et « n’a pas réussi à prendre le virage vers l’industrialisation ».

Dans la lignée de SpaceX, des myriades de start-up développent de petits satellites dont elles commercialisent les données, participant au boom d’une économie spatiale qui devrait plus que doubler d’ici à 2040 pour représenter 1.000 milliards d’euros.

Les fabricants traditionnels de gros satellites géostationnaires comme Airbus ou Thales Alenia Space traversent eux une passe difficile.

Et le différentiel d’investissements publics avec les États-Unis « s’accroît de manière extrêmement inquiétante », pointe Philippe Baptiste. Washington a consacré 62 milliards de dollars au spatial en 2022 (+71 % par rapport à 2016) quand l’Europe a investi 14,6 milliards (+44 %).

Changement de modèle

Face à l’accélération des innovations, l’ESA veut, comme la NASA, se positionner en simple cliente et non plus administrer directement certains programmes spatiaux.

Elle a donc jeté les bases pour 2025 d’une compétition pour les futures petites fusées, développées par des start-up européennes, à qui elle achètera des vols et qui leur permettront de développer ensuite des lanceurs plus lourds.

L’ESA finance également les développements d’éléments réutilisables, comme le moteur Prometheus et l’étage de fusée Themis.

Une partie des rigidités européennes tient à la règle dite du juste retour géographique qui prévoit que l’investissement de chaque pays se traduise par des retombées industrielles équivalentes pour ses entreprises.

Le mécanisme a permis l’émergence d’un écosystème spatial sur tout le continent mais empêche les industriels de faire les montages les plus efficaces.

L’enjeu Iris³

Troisième grand projet spatial après Copernicus (surveillance du climat) et Galileo (positionnement par satellite), ce projet de constellation de communications sécurisées doit permettre aux Européens d’exister face à Starlink (SpaceX) ou Kuiper (Amazon).

C’est le seul programme européen à vocation commerciale, rappelle Hermann Ludwig Moeller, « un marché 100 fois plus grand que celui des lanceurs ou de l’observation de la Terre, ce n’est pas une coïncidence si Elon Musk fait des satellites de communication et pas de la science ».

Le contrat devait être signé il y a six mois mais les négociations entre le consortium de fabricants, opérateurs de satellites et compagnies de télécommunications et la Commission européenne patinent.

Ce qui désole le patron du Cnes : « Il y a six milliards d’euros sur la table, s’il n’y a pas Iris³, je vois pas comment ça va se faire », comment l’Europe pourra rebondir.

Les nouvelles fusées attendues en 2024

L’année 2024 devrait voir de multiples nouvelles fusées européennes et américaines décoller, au moment où l’industrie aérospatiale cherche à combler un déficit de lanceurs, notamment alimenté par les besoins de mise sur orbite de méga-constellations de satellites.

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