15 juin 2024

Une « bande » pédocriminelle a sévi pendant des années au cœur de Paris

Pour décrire sa vie, Inès Chatin use souvent d’un euphémisme, dont on devine aisément qu’il est une défense pour s’épargner l’indicible : «Depuis ma naissance, je n’ai connu que des emmerdes.» Qui oserait nommer ainsi les monstruosités dont cette femme de 50 ans a été victime, et qu’elle n’a trouvé la force de révéler qu’aujourd’hui, quarante ans plus tard ?

Longtemps, seule sa peau s’exprimait, étalant sur ses avant-bras l’éventail de maladies matérialisant les troubles invisibles. Puis, les mots ont jailli, à mesure que le pouvoir de ceux qu’elle présente comme ses bourreaux s’amenuisait, et qu’elle s’éloignait du 97, rue du Bac, adresse maudite du VIIe arrondissement parisien. Comme si sa mémoire acceptait enfin de décoder l’accès au coffre-fort de ses horreurs. Ces derniers mois, Libération a réalisé plus de soixante heures d’entretien avec Inès Chatin, ainsi qu’avec lui qui ont permis de rassembler les fragments de son passé. Un récit terrifiant en surgit, enrichi par une masse d’archives inédites documentant l’univers pédo–criminel d’un noyau de l’intelligentsia parisienne des années 70-80. A l’heure où s’étire la procédure judiciaire née de la publication en 2020 du livre le Consentement de Vanessa Springora, dans lequel elle décrivait la relation d’emprise qu’exerçait sur elle l’écrivain Gabriel Matzneff lors de son adolescence, une autre débute cette fois pour Inès Chatin.

A l’automne, cette dernière avait sollicité une audition auprès du parquet de Paris, afin de dénoncer une litanie de sévices sexuels imposés durant son enfance, notamment par Gabriel Matzneff. Lors d’une courte médiatisation, RMC avait alors révélé une lettre adressée à la justice par ses avocats, Marie Grimaud et Rodolphe Costantino, figeant le caractère vertigineux de ses révélations. Inès Chatin y était cependant restée anonyme, simplement désireuse d’obtenir des investigations à l’instar de celles engagées dans le cadre de l’affaire Springora. Et ce malgré la prescription qui s’applique. L’initiative a fonctionné, puisque le parquet de Paris a réagi dès le 23 octobre, avec l’ouverture d’une enquête préliminaire, offrant ainsi aux policiers de l’Office des mineurs (Ofmin) un nouveau cadre de recherche d’autres victimes.

Cercles de pouvoir Car en réalité, et comme va l’exposer Libération dans une série en six épisodes intitulée «Les hommes de la rue du Bac» – publiée dans les jours à venir -, la liste des personnes accusées excède largement l’écrivain aux penchants pédophiles revendiqués. En effet, Inès Chatin témoigne de viols et d’abus commis, de ses 4 à ses 13 ans, par un groupe d’hommes gravitant autour de son père adoptif, Jean-François Lemaire, médecin magouilleur auprès des assurances, fasciné par les cercles de pouvoir et les sociétés secrètes. Perpétrées dans plusieurs lieux, dont l’épicentre était le domicile faceuxmilial du 97, rue du Bac, les violences ont débuté non loin, rue de Varenne, dans un appartement mis à disposition par des amis de Jean-François Lemaire. Des «jeux» sexuels sordides – autre euphémisme, qu’elle utilise devant l’Ofmin – y ont été réalisés sur des enfants, auxquels ont participé de façon certaine, selon Inès Chatin, le fondateur et directeur historique du Point, Claude Imbert, l’écrivain et académicien Jean-François Revel, l’avocat François Gibault, 92 ans aujourd’hui, défenseur en leurs temps de Bokassa et Kadhafi, Gabriel Matzneff et Jean-François Lemaire, son père adoptif. Lors de ces séances, où ces hommes n’étaient pas forcément tous présents en même temps, plusieurs enfants étaient rassemblés et devaient endurer des pénétrations réalisées tour à tour avec des objets métalliques. Ordre était donné de ne jamais ex-primer sa douleur : «Si quiconque pleurait ou manifestait une résistance, c’est sur lui que les hommes se concentraient, insistaient», raconte Inès Chatin, le corps encore bardé de spasmes. Durant ces pratiques sadiques, les hommes «avaient le visage masqué», et portaient «sur eux une sorte de cape ou de manteau».

«Communauté de pensée»

Sans pouvoir les impliquer formellement dans les sévices, Inès Chatin dispose aussi de souvenirs fragmentaires du président de la banque suisse Worms Claude Janssen et de l’architecte italien «à la voix rocailleuse» Ricardo Gaggia. A minima, tous ces hommes partageaient, selon elle, «une communauté de pensée», fondée sur de pseudo-références gréco-romaines, et prônant l’émancipation sexuelle des enfants par l’adulte. Gabriel Matzneff expose ainsi leur doctrine dans les Passions schismatiques, paru en 1977, et rédigé dans son plus pur style provocateur : «Je crois à la fonction socratique de l’adulte. Les anciens Grecs appelaient l’intelligence hegemonikon, qui signifie le guide. Tel Kim, dans le roman de Kipling, chaque adolescent a besoin de rencontrer un aîné qui soit un éducateur, un guide. Aux mères qui agitent hystériquement contre moi l’épouvantail de la police et de la prison, je rétorque toujours, sans me démonter, que pour avoir initié leur progéniture à une sphère infiniment supérieure au marécage familial, et cela dans tous les ordres, on devrait non me punir, mais me décorer.» A mesure que les années passaient, et qu’Inès Chatin grandissait, les «jeux» se sont arrêtés, pour laisser place à des viols commis sur elle seule, par Gabriel Matzneff et Claude Imbert.

De prime abord, on résiste au récit d’Inès Chatin. Comment concevoir qu’une telle violence, une telle folie aient pu exister, initiées par le propre père adoptif de la victime ? C’est une des clés de la mécanique du silence dans laquelle elle s’est longtemps murée. Qui pourrait la croire ? Pourtant, son récit s’adosse aux nombreux documents qu’elle a livrés aux enquêteurs. En effet, depuis plusieurs semaines déjà, les policiers de l’Ofmin décortiquent des semainiers détaillés de Jean-François Lemaire, des livres d’or de dîners mondains organisés rue du Bac, des correspondances inédites entre ces hommes, ainsi que des dédicaces de livres originaux. Ces éléments viennent signer l’extrême proximité de ce groupe d’intellectuels puissants que le «docteur Lemaire» désignait sous le terme «la bande», lors de déplacements communs en Asie du Sud-Est, notamment à Bangkok. Si Inès Chatin est si affirmative sur l’identité de ses tortionnnaires c’est tout simplement parce qu’ils ont peuplé sa vie durant des décennies. Amis fidèles, mentors, compagnons de voyage de Jean-François Lemaire, ils étaient des figures de son quotidien, surgissant pour un déjeuner, un café ou le simple plaisir d’une discussion littéraire. Ils étaient là dès le réveil, au retour de l’école, le dimanche midi. De quoi ancrer chez elle un envahissant panthéon de souvenirs sonores et olfactifs.

Le psychologue Jean-Luc Viaux, chargé de réaliser une expertise de la plaignante, à la demande de ses avocats, décrit en ces termes son traumatisme, écartant l’hypothèse d’une mémoire défaillante : «Mme Chatin n’a pas souffert d’amnésie traumatique concernant ce qu’elle a vécu mais, restée sous emprise, elle a refoulé une partie de ce vécu, ne gardant que quelques données sensorielles, un souvenir global, des événements, quelques images éparses, qu’elle situe difficilement dans le temps [au sens chronologique précis, ndlr]. Un travail thérapeutique pourra lui permettre à terme d’affronter ce vécu et de le reconstituer, pour s’en dégager psychiquement et s’affranchir ainsi de l’emprise et de la place « d’objet » assigné par ses agresseurs.»

Dans le langage d’Inès Chatin, cela donne : «Ces hommes étaient à l’intérieur de ma vie. C’est comme si je leur appartenais autant à eux qu’à Gaston [elle utilise ce prénom comme une digue mentale pour désigner son père adoptif, nous y reviendrons]. Je leur devais le même respect contraint, j’étais forcée à la même intimité. Ils avaient les mêmes droits sur moi.» Parfois, son avocate, Marie Grimaud, se surprend à employer le terme «oncle» pour désigner Gabriel Matzneff, achevant ainsi de dessiner la métaphore d’un inceste collectif, dont Jean-François Lemaire était le seul réel représentant familial. Ne résistant d’ailleurs à aucune indécence, «Gaston» a convié les tourmenteurs de sa fille jusqu’à ses noces, en 1997, avec Geoffroy Ader. Ce descendant d’une autre grande famille, expert en horlogerie, partage depuis sa vie, ses maux, et son combat pour la vérité : «Tous ceux qui s’en prendront à ma femme trouveront un couple sur leur chemin. Notre force, c’est le nous.» Il existe au moins une autre victime identifiée de ces hommes : le grand frère d’Inès Chatin, lui aussi adopté via l’organisme la Famille adoptive française (FAF). De deux ans son aîné, Adrien (1) ne souhaite pas participer pour le moment à la démarche judiciaire entreprise par sa sœur, ni voir son histoire intime racontée dans la presse. Il a toutefois tenu à authentifier le témoignage d’Inès, en paraphant chacune des trois pages du texte dans lequel elle détaille les crimes endurés. Au pied, il a apposé les mots suivants : «Je, soussigné Adrien, m’associe au récit de ma sœur Inès Ader [son nom d’épouse], mais ne souhaite pas être davantage mêlé à son action pour ne pas replonger dans ce passé douloureux.» Les enquêteurs de l’Ofmin disposent de cet écrit, ainsi que du nom de deux autres enfants, victimes selon Inès Chatin des mêmes violences à l’époque.

Mécanique de terreur

Dans cet univers où les hommes régnaient en maîtres incontestés, une autre personne a été la cible de brimades et de soumission : Lucienne Chatin, la mère adoptive d’Inès, descendante d’une grande famille d’industriels lyonnais. «Maman, c’est le plus beau souvenir de mon enfance», confie sa fille, la voix étranglée au moment d’évoquer celle qui n’a pas pu les sauver, elle et Adrien. Dans une mécanique bien huilée de la terreur, Jean-François Lemaire humiliait et battait sa compagne en cas de comportements jugés inappropriés des enfants, parmi lesquels, poser des questions. «Quand on était petits, la conséquence de la parole, c’était les coups, pas sur nous mais sur elle. Si on faisait quelque chose de travers, quoi que ce soit, une mauvaise note à l’école, il y avait des coups sur elle», explique Inès Chatin. Cette dernière s’est donc entraînée à se taire et à rester impassible en toutes circonstances. Pour cela, elle a même inventé une expression : «Pleurer à l’intérieur.» Aujourd’hui encore, elle dit ne jamais trouver les larmes, même lorsqu’elle est contrainte de se remémorer ce qu’il y a de plus noir.

Après des années passées près de Genève, où elle a fondé une famille avec Geoffroy Ader et travaillé comme journaliste et rédactrice dans la com, Inès Chatin regagne Paris en 2016. Le somptueux appartement de la rue du Bac, qui n’était autre que le salon littéraire de la princesse de Salm au début du XIXe siècle, est désormais équipé d’un lit médicalisé pour sa mère. Mais sa dépendance devient trop forte. Les époux Lemaire intègrent l’Ehpad Le Corbusier de Boulogne- Billancourt (Hauts-de-Seine) courant octobre 2020. Inès exige alors que sa mère soit placée dans une autre chambre que celle occupée par Jean-François Lemaire. Pour la première fois, la voilà libérée de son joug. Mieux, la sœur de Lucienne, avec qui elle était très liée, est installée dans la chambre voisine, si bien que «ses journées sont enfin douces». En hommage à sa mère, Inès a supprimé le nom Lemaire de son état civil le 5 août 2022, pour lui substituer celui de Chatin, grâce aux dispositions de la loi Vignal. Ne plus porter Lemaire «était aussi une façon de dénier à Gaston le droit d’être un père», cingle-t-elle.

Parallèlement, elle se lance avec ses proches et Adrien dans la liquidation totale du 97, rue du Bac. Objets, œuvres d’art, livres. Tout ce qui est frappé du sceau de l’infamie doit disparaître. L’appartement sera vendu en 2022, réaménagé de fond en comble par de nouveaux propriétaires, loin des affres du passé. Mais avant, il a suffi de déplacer quelques meubles, d’ouvrir des tiroirs interdits d’accès, pour qu’un nouveau monde s’ouvre. Le secret que les «hommes de la rue du Bac» avaient mis tant de soin à bâtir va se fracasser. Sous les coussins d’un canapé, des cartes postales et des lettres de Matzneff, dont certaines mentionnent nommément Vanessa Springora. Dans les rayonnages les plus hauts des bibliothèques, des ouvrages ouvertement pédocriminels. Enfin, dans une pièce à l’architecture très particulière, reproduisant la cabine d’un bateau, sont dissimulés tous les livres dédicacés par Matzneff, ainsi que le Moine et le Philosophe, un essai publié en 1997 sous forme de dialogue, entre Jean-François Revel et l’un de ses enfants, le bouddhiste Matthieu Ricard.

Et puis, scotchée à l’intérieur du secrétaire personnel de Lucienne Chatin, une mystérieuse enveloppe contenant les pages déchirées d’un pornographique sadomasochiste. Sur les images figurent uniquement des hommes, masqués de noir, et montrés dans des positions obscènes et suggestives. Inès Chatin y perçoit une volonté de sa mère de laisser derrière elle une trace de l’indicible, ce qui va déclencher chez la femme qu’elle est devenue une légitimité nouvelle à poser toutes les questions, y compris les pires. Dans son expertise, le psychologue Jean-Luc Viaux use de cette métaphore pour illustrer la mue brutale d’Inès Chatin : si son existence a longtemps ressemblé «à un couloir parsemé de portes fermées», elle allait à présent toutes les ouvrir.

Enquêtrice acharnée C’est là l’autre aspect hors du commun de la vie d’Inès Chatin. A 47 ans, elle va devenir une enquêtrice acharnée de sa propre histoire, allant même jusqu’à interroger et enregistrer son père adoptif à l’Ehpad, qui reconnaîtra son implication dans les crimes, en justifiera le bien-fondé, et éclaboussera même certains de ses amis. Dans le dédale de la rue du Bac, elle va aussi retrouver les traces de dons effectués par ses parents à l’association la Famille adoptive française. Logiquement, elle en conclut que c’est par l’intermédiaire de cet organisme qu’elle a échoué dans «l’antre du malin» – nom donné au 97, rue du Bac par son mari, Geoffroy. Avec le concours d’une détective privée, elle va d’abord recomposer le puzzle administratif de son adoption, pour s’apercevoir qu’elle est frappée de multiples irrégularités. Comme le démontrera Libération dans l’épisode suivant de cette série, la FAF a laissé prospérer en son sein, au début des années 70, une filière parallèle de recueil d’enfants abandonnés. Inès Chatin est passée par ce circuit détourné, arrivant chez les époux Lemaire de façon particulièrement nébuleuse.

Aujourd’hui, l’une des questions essentielles à ses yeux est justement de savoir si elle a été sélectionnée à dessein par «Gaston», et si oui, sur quels critères. Le fait qu’Inès Chatin soit métisse n’a jamais été neutre dans les sévices sexuels qu’elle a subis. Lors des viols, Gabriel Matzneff semblait même se repaître de cette caractéristique physique, puisqu’il la surnommait «ma petite chose exotique». Via son réseau tentaculaire, le docteur Lemaire a-t-il pu s’arroger des enfants, dont la destinée était de subir des crimes sexuels ? Les premières recherches entre – prises par l’enquêtrice privée permettent de constater la présence du nom de François Gibault, qu’elle met en cause comme agresseur, sur une copie de son jugement d’adopmagazine datée du 2 mars 2000.

L’avocat, qui était aussi le conseil personnel de son père adoptif, est-il la preuve vivante, l’impensable trait d’union entre les drames de sa vie ? Contacté par Libération, François Gibault a répondu via une lettre envoyée par son conseil, Jérémie Assous. Il y assure «n’avoir jamais assisté au moindre acte criminel, et n’aurait pas manqué, si cela avait été le cas, d’y mettre un terme et de les dénoncer immédiatement aux autorités». Il conteste donc «avec vigueur les allégations d’Inès Chatin», dont il estime le récit «inexact». Sur la présence de son nom sur une copie du jugement d’adoption d’Inès Chatin, François Gibault demeure mutique. Joint également, Gabriel Matzneff n’a pas donné suite. La famille Imbert a réagi, elle, par la voix du fils de Claude, l’avocat Jean-Luc Imbert : «Cela me paraît étrange de la part d’Inès Chatin [ils se connaissent de longue date] de jeter le discrédit sur son père adoptif. Pour autant que je le sache, Jean-François Lemaire et son épouse se sont magnifiquement occupés d’elle. Quant à mon père, il aimait les femmes, mais pas les petites filles. On est dans l’époque #MeToo, c’est notre maccarthysme.» Après publication de notre enquête, Jean-Luc Imbert précise : «Il va de soi que je ne puis qu’ajouter que si les faits rapportés sont exacts, ce dont je persiste à vouloir douter, j’en suis accablé et évidemment profondément désolé pour Inès, ne me doutant pas une seconde de l’éventualité que mon père, comme ceux que je connaissais parmi les personnes citées, puissent s’égarer dans de tels comportements aussi abjects qu’inadmissibles.» Enfin, les enfants de Jean-François Revel, Eve et Matthieu Ricard, ainsi que Nicolas Revel, nous ont fait parvenir la déclaration suivante : le récit d’Inès Chatin «faisant état de la participation présumée de notre père, Jean-François Revel, à des actes d’agression sexuelle sur mineur constitue pour nous un choc immense. Face à la gravité des accusations portées, nous souhaitons que la justice qui a été saisie puisse établir ce qui s’est réellement passé, quand bien même ces faits remonteraient à plus de quarante ans et impliqueraient de nombreuses personnes pour beaucoup disparues. C’est l’attente de la victime qui a déposé plainte et dont nous ne doutons d’aucune manière de la sincérité et de la douleur. C’est aussi notre attente car ces accusations nous plongent dans une incrédulité d’autant plus profonde, qu’elles concernent un homme, notre père, dont tout ce que nous savons de sa personnalité comme de son comportement tout au long de sa vie, se situe aux antipodes des actes monstrueux qui lui sont prêtés.»

«Interrompre la reproduction»

Le 14 décembre, l’audition de dépôt de plainte devant l’Office des mineurs fut un premier Everest pour Inès Chatin : «Jusqu’au dernier moment, j’ai pensé ne pas y arriver. Puis j’ai vu les gardes qui surveillent le bâtiment avec des pistolets-mitrailleurs. Là, je me suis dit : « C’est bon, je suis en sécurité, je peux enfin raconter. »» Durant plus de sept heures, elle pave son récit de détails précis, qui ont retenu l’attention des policiers.

A l’égard de ses agresseurs, Inès Chatin n’exprime aucun désir de vengeance. Elle sait de toute façon que Claude Imbert, Jean-François Revel et «Gaston», morts il y a quelques années, se sont déjà échappés. Pour les vivants, elle dit : «Aller en prison n’aurait plus aucun sens. Je veux que la justice les confronte à la gravité de leurs actes. S’en prendre à des enfants est inqualifiable.» Surtout, elle souhaite agir «pour interrompre la reproduction» des comportements pédocriminels, «être un grain de sable», comme a pu l’être Camille Kouchner avec la Familia Grande. Ce livre, autopsie de l’inceste commis sur son frère par son beau-père Olivier Duhamel, a bouleversé Inès Chatin, et l’a convaincue de poursuivre sa quête : «Parler, c’est vivre en paix». Aujourd’hui encore, elle affirme entendre des propos invoquant la permissivité des Grecs et des Romains dans les dîners de la haute société conservatrice. Peu ou prou les mêmes que ceux réitérés par Jean-François Lemaire, parfaitement froid et lucide, lors de leurs entretiens enregistrés depuis l’Ehpad en 2021 : «Si l’adolescent sait qu’il se soumet à des règles condamnées par la société, mais qui apportent finalement une certaine jouissance, euh pourquoi pas ?»

(1) Le prénom a été modifié.

Source : Libé

Vu ici

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.