08 juin 2024

Mon Master : comment ruiner l’université française

Chacun connait l’agilité et la puissance de l’université française. Des universités qui fonctionnent si bien que les inscriptions dans les formations privées explosent depuis cinq ans, en dépit des restrictions imposées par l’État, comme le monopole de la collation des grades. Il a donc été décidé de rajouter une couche de planification en mettant en place en 2023 la plateforme « Mon Master ». Une plateforme copiée sur le modèle de Parcoursup, elle aussi un immense succès pour le recrutement des étudiants en licence.

Les premiers résultats de Mon Master sont tombés le 4 juin avec son lot de surprises. On voit ainsi, dans une même promotion, le major de promo ne pas être pris dans un master quand celui qui est en milieu de classement est admis. La mise en place de la plateforme a saturé le système : les masters les plus cotés reçoivent plusieurs milliers de candidatures, parfois plus de 3 000, qui sont bien évidemment impossibles à sélectionner. Les responsables de master doivent donc s’en remettre entièrement à l’algorithme.

Assurer la planification

Le but de Mon Master est d’accélérer la planification. Chacun sait que les universités ne se valent pas et qu’au sein des universités il peut y avoir de très bonnes formations et d’autres qui sont mauvaises. Les meilleures formations sont donc très demandées et les moins bonnes restent avec des places vides. Dans un système normal, les masters qui n’ont pas assez d’étudiants devraient fermer. Mais avec Mon Master on peut désormais les remplir en leur attribuant d’office des étudiants. Voici les propos tenus par le ministre de l’Enseignement supérieur Sylvie Retailleau (Le Monde, 4 juin 2024) :

« Quelque 185.000 places sont offertes aux 200.000 candidats, argumente le ministère, et si « les masters de droit sont en tension, certaines universités, comme Brest, loin d’être saturées, ne remplissent pas toutes les places offertes »

Ces propos du ministre appellent quelques commentaires. S’il y a 185.000 places et 200.000 candidats, il n’y a pas nécessairement adéquation entre l’offre et la demande. Il peut y avoir beaucoup de places ouvertes en sociologie et psychologie et très peu de candidats ou, à l’inverse, beaucoup de candidats pour le droit, mais peu de place. Mettre en regard le nombre global de places et de candidats n’a donc aucun sens.

Deuxième élément : je n’ai rien contre l’université de Brest et sa faculté de droit, je ne la connais pas. Mais spontanément, on peut penser que si son master reste vide c’est que sa réputation n’est pas des meilleures. Celui-ci devrait donc soit s’améliorer soit disparaitre, ce qui serait sain pour tout le monde. Avec le système Mon Master, des étudiants en droit d’Aix-en-Provence, de Strasbourg ou de Montpellier, qui n’ont pas de master dans leur ville, vont être affectés d’office à Brest. Une belle mesure de planification, sans jamais se demander si les étudiants ont le niveau pour effectuer un master, et qui ne va jamais encourager les universités à s’améliorer.

Depuis 2016, la loi prévoit un droit à la poursuite d’étude, c’est-à-dire que tout étudiant en licence doit être accepté en master. C’est la disparition complète de la sélection et, avec elle, l’effondrement des universités.

Inflation des diplômes, saturation des filières, injustice envers les meilleurs étudiants, tout est réuni pour que tout échoue. Les meilleurs étudiants n’ont plus qu’à partir étudier à l’étranger, là où se trouvent des systèmes universitaires normaux ou bien dans l’enseignement privé. Depuis 2017, les différents ministres de l’Enseignement supérieur n’ont fait que gérer la planification sans jamais apporter le moindre bol d’air au système.

En 2023, le budget du ministère de l’Enseignement supérieur s’élève à 26,6 milliards €, dont une partie finance des formations sans intérêt et sans valeur. C’est sans honte que des professeurs mentent aux étudiants en leur faisant croire qu’ils auront un emploi à la hauteur de leur diplôme, que l’on maintient des formations que l’on sait mauvaises, qu’on laisse ouvertes des universités qui sont délabrées et sans intérêt. Mon Master n’est que la révélation de ce système qui ne fonctionne pas.

Le refus du changement

Les professeurs d’université en sont les premiers responsables. Ils se plaignent beaucoup, et à raison, d’être transformés en pion d’un système administratif de plus en plus tentaculaire qui les empêche de réaliser leurs véritables missions : transmettre et chercher. Mais dès que des mesures d’ouvertures sont émises, ils sont les premiers à s’y opposer et à les refuser. Tout ce qui s’apparente à de la liberté éducative et de la concurrence est attaqué et refusé. Ce faisant, il contribue à dégrader l’image de l’université et à empêcher sa rénovation. Or il n’y a pas de pays puissant et entrainant dans le monde sans très bonne formation universitaire. C’est à la fois un enjeu social, pour que l’on cesse de mentir aux étudiants et à les mettre dans des voies de garage et un enjeu politique, car il y va du développement et du rayonnement du pays.

Jean-Baptiste Noé

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