Chaque élection offre sa carte électorale, à la fois différente des autres, mais bien souvent dans une grande permanence. Les grandes lignes comme les nuances sont à cet égard intéressantes à étudier pour tenter de décrypter les raisons d’un vote.
Première remarque, la participation aux Européennes a été forte et imprévue. Alors que depuis les municipales de 2020 l’abstention ne cessait de croître, elle a cette fois-ci reculé, ce qui est d’autant plus remarquable pour des Européennes qui d’habitude intéressent peu. La première leçon de ces élections c’est que la politique est de retour et que les Français aiment ça. On le voit depuis dimanche et l’annonce de la dissolution, les tractations politiques s’accélèrent ainsi que la recomposition. Atone depuis 2020, la vie politique est repartie. Comme si les élections volées de 2017 et décapitées de 2022 avaient volé en l’éclat sous l’effet de la volonté de retrouver du débat politique, de la confrontation et du vote sur des idées claires.
Un vote urbain partagé
L’analyse des résultats dans les métropoles montre une répartition géographique des plus intéressantes. Sur les 23 métropoles existantes, le RN est en tête dans 9, le PS dans 10, LFI dans 4. Macron : aucune. Cela contrevient déjà à une idée répandue, mais fausse que les villes voteraient naturellement à gauche et la droite n’aurait que l’espace rural.
Grandes villes où le RN est arrivé en tête : Nice, Toulon, Marseille, Aix-en-Provence, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand, Metz, Orléans, Dijon.
Plusieurs ont des municipalités tenues par la gauche, comme Dijon, Marseille et Clermont-Ferrand.
Grandes villes où Glucksmann est arrivé en tête : Rennes, Nantes, Brest, Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Rouen, Nancy, Tours.
Grandes villes où LFI est en tête : Grenoble, Montpellier, Strasbourg, Lille.
Les seules surprises proviennent du score du RN qui parvient à arriver en tête dans des villes de gauche. Les villes qui ont placé Glucksmann et LFI en tête sont tenues de longue date par des municipalités de gauche, ce qui n’offre donc aucune surprise.
D’un point de vue géographique, on constate un fort pôle Glucksmann en Bretagne (Brest, Rennes), dans le Val de Loire (Nantes, Tours) dans le sud-ouest (Bordeaux et Toulouse). Les villes RN sont nombreuses en Provence. Sans surprise, Lille, Strasbourg et Grenoble placent LFI en tête, ce qui correspond bien à la sociologie de ces villes.
La seule grande surprise est de voir que Macron a perdu Paris, notamment parce que le XVIe arrondissement a placé Bellamy en tête. La division est / ouest de Paris est une nouvelle fois visible dans cette élection, avec un est qui a voté majoritairement pour Glucksmann et LFI et un ouest qui a voté pour Macron et Bellamy. Ce qui fait penser que Raphaël Glucksmann pourrait être un très bon candidat pour la mairie de Paris afin de succéder à Anne Hidalgo.
Se méfier des cartes
Sur les réseaux sociaux, une carte a beaucoup circulé, celle où l’on voit la France entière en violet, c’est-à-dire majoritairement Bardella, avec la région parisienne en orange et rouge, c’est-à-dire majoritairement Macron et LFI / Glucksmann. Cette carte est trompeuse, car elle fait croire à une dichotomie complète entre l’Île-de-France et la province, ce qui est loin d’être le cas.
Le problème de ce type de carte, c’est qu’elle représente les espaces, mais pas la démographie. La France vide l’emporte sur la France pleine. Or dans une élection, ce sont les personnes qui comptent pas les espaces. Les métropoles n’apparaissent ainsi que comme des petits points alors que c’est là que se concentre l’essentiel de la population française : mieux vaut arriver en tête à Nice (300 000 habitants) que dans la Creuse (120 000), dans le XVe arrondissement de Paris (230 000 habitants) qu’en Haute-Loire (220 000 habitants). Mais Nice et le XVe, dans ces cartes, apparaissent comme des têtes d’épingle, donc insignifiantes, alors que la Creuse et la Haute-Loire couvrent un large espace.
Avec 300 000 habitants, la Corse a une population égale à celle de Nice, mais trois fois inférieure à la métropole de Nice, qui atteint les 900 000 habitants. L’Île-de-France regroupe 10 millions d’habitants, soit 1/6e de la population française. En termes de création de richesse, c’est même beaucoup plus important. Les cartes ne mentent pas, mais elles trompent. Pour disposer de cartes électorales pertinentes, il faut pouvoir représenter les densités de population et non pas les espaces. Mieux vaut obtenir 10% des voix dans une ville de 50 000 habitants que 90% des voix dans un village de 100 habitants. Pourtant, en représentation cartographique classique, le village occupe plus d’espace que la ville.
Lors de la présidentielle de 2022, plus de la moitié des électeurs de Marine Le Pen étaient situés dans les grandes villes, ce qui est contre intuitif pour un parti qui est souvent représenté comme celui de la France rurale ou de la France oublié. C’est vrai aussi, mais ce qui fait le succès du RN, ce sont ses résultats urbains plus que ruraux.
Particularismes locaux
En changeant d’échelle, on trouve des particularismes locaux intéressants à étudier.
Prenons le cas de la Corse. Celle-ci a massivement voté pour le RN (42%). Presque toutes les communes ont placé Bardella en tête, y compris Ajaccio (74 k hab.) et Bastia (50 k hab.). Seul cas notable, Bonifacio, qui a placé Hayer en tête (41%). Ce particularisme politique s’explique en partie par le particularisme géographique. Alors que toute la Corse est granitique, Bonifacio repose sur un promontoire calcaire (ce qui fait sa beauté). Encore aujourd’hui, le dialecte parlé n’est pas le corse, mais une forme d’italien que l’on entend facilement dans les rues. Liée à Gênes, la ville de Bonifacio a toujours tourné le dos à la Corse, qui était souvent pour elle un territoire autre. Ce particularisme géographique et historique se manifeste également dans les urnes, avec un choix différent du reste de la Corse.
Toujours en Corse-du-Sud, dans une région où Bardella est arrivé en tête partout, le village de Billa fait figure d’exception. Là, ce sont les communistes qui sont arrivés en tête, avec le score majeur de 55% des voix. C’est un particularisme local : le village est communiste depuis 1943, avec un PC de stricte observance qui rafle toutes les élections, à tel point que dans la région ce village est surnommé « L’Albanie ». Cela ne change rien aux résultats nationaux, mais ce type de particularisme électoral est toujours savoureux.
À Nanterre, ville de Naël et départ des émeutes, LFI a obtenu 37% des voix, ce qui démontre son grand ancrage local. À Saint-Denis, c’est 50%. À Sarcelles (95), si LFI arrive en tête (37%), les scores de Bardella (21%) et Marion Maréchal (12%) sont intéressants à analyser. La communauté juive est nombreuse à Sarcelles, la ville ayant longtemps été surnommée « la petite Jérusalem ». Aujourd’hui, ce sont les Chaldéens venus d’Irak qui représentent une forte minorité, l’église chaldéenne de Sarcelles étant la plus grande église chaldéenne d’Europe. Loin de Mossoul et du Kurdistan, cette communauté des chrétiens d’Orient vit en Occident, à Sarcelles, dans un environnement très différent de celui de ses origines.
Lire la géopolitique électorale de la France c’est donc aussi y retrouver les échos de la géopolitique mondiale.
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