Il y a une dizaine d’années, quand je réalisais ma thèse de doctorat sur Total, et alors que l’entreprise était attaquée parce qu’elle réalisait des bénéfices, j’avais suggéré à un des cadres dirigeants, comme une boutade, de délocaliser le siège de Total de La Défense vers Lausanne. Les paysages sur le Léman sont somptueux, le vin de Lavaux est délicieux, les taxes y sont moindres et une entreprise qui se développe n’est pas lynchée dans la presse. Il devait bien y avoir un terrain vague à proximité du siège de Nestlé pour y construire un bâtiment. Lausanne bénéficie en plus de l’excellence de son école polytechnique, davantage connue à l’étranger que celle de Saclay. Ce dirigeant avait ri jaune. Délocaliser en Suisse, tout le monde y pensait, mais personne n’osait.
Bye bye Paris
Dix ans plus tard, les choses ont changé. TotalEnergies, deuxième capitalisation boursière du CAC 40, envisage de quitter la bourse de Paris pour être coté à New York. Cette information est beaucoup plus grave qu’une dégradation par une agence de notation, car elle démontre l’état de défiance de la France, mais aussi les conséquences sociales et politiques de mesures absurdes. Si les premiers actionnaires de Total sont ses salariés (8,22%), le second est BlackRock (6,5%). Les Américains possèdent 39% du capital contre 26% pour les Français et 12% pour les Anglais. L’actionnariat de Total étant de plus en plus américain, il n’est pas illogique que l’entreprise soit cotée à Wall Street et non pas à Paris, où elle est pourtant présente depuis 1929.
Ce qui est grave, pour l’avenir de Total et des entreprises françaises, ce sont les raisons qui ont conduit à cette réduction de l’actionnariat français. Après tout, il y aurait pu y avoir des investissements réguliers dans l’entreprise, de façon tout à fait naturelle. Mais la vraie raison est que les investisseurs français ne peuvent plus autant investir dans Total, à cause des normes environnementales et des ISR (Investissement socialement responsable). Un ISR, c’est une catégorie inventée dans un bureau de Bercy pour correspondre au monde tel que se l’imaginent des bureaucrates. Monde qui n’est pas tout à fait celui que Total doit affronter.
À cause de ces normes environnementales, les actions de Total ne peuvent pas figurer dans les fonds ISR, ce qui prive le groupe de l’accès à certains capitaux et donc décote le titre puisque celui-ci est moins demandé. Pour Total, cela signifie moins d’investisseurs et donc moins de valorisation boursière, ce qui l’affaiblit par rapport à ses concurrents. Puisque les Français n’achètent pas Total, voire vendent, l’espace vide ainsi créé est rempli par les Américains, qui eux sont attirés par le titre. Ne doutons pas que le jour où les actionnaires de Total seront majoritairement américains, Bruno Lemaire ou son successeur pousseront des cris effarouchés et feront voter une loi pour assurer la protection de l’État et empêcher cette montée au capital.
L’inquisition des minables
On avait déjà eu droit à une inquisition des minables lors de l’audition de Vincent Bolloré à l’Assemblée nationale. L’occasion de découvrir la vie de cet entrepreneur, dont deux de ses oncles étaient dans le commando Kieffer, qui a repris une entreprise familiale à la dérive (fabricant de papier à cigarette et de papier carbone) pour en faire le groupe de logistique et de médias que l’on connait. Face à lui, des députés ignorants des bases de l’économie, mais donneurs de leçons.
Rebelote cette fois-ci avec Total. Voici Yannick Jadot, reconverti sénateur de Paris, qui auditionne Patrick Pouyanné lundi 29 avril pour lui expliquer comment il doit gérer son entreprise. La commission d’enquête sénatoriale porte « sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France. »
En clair, le gouvernement français prend des mesures bidon définies comme « obligations climatiques ». Sa politique étrangère est toute entière tournée vers ces obligations : création de panneaux solaires et d’éoliennes en Afrique et au Moyen-Orient. Une politique étrangère couronnée de succès comme chacun peut le constater. Et l’État veut désormais « mobiliser » des moyens pour contraindre Total à suivre ces mesures suicidaires. On comprend que l’entreprise envisage de se délocaliser à Wall Street. D’autant que le marché français ne représente rien pour Total : il n’y a aucun champ pétrolier et gazier, les raffineries sont régulièrement en grève et manquent de compétitivité, les stations-service relèvent davantage du service social que de l’activité capitaliste.
Mais c’est ainsi. Dans la vision d’un Jadot, Total est au service de ses idées. Et peu importe qu’en les mettant en place l’entreprise fasse faillite.
Atteintes aux intérêts de l’État
La semaine dernière, les compagnies chinoises ont inauguré la construction d’un pipe-line au Niger, rattaché au nouveau gisement du Gabon. Pipe-line qui va être raccordé au trans-saharien, qui arrive en Algérie puis en Europe. Pendant que la diplomatie française se préoccupe d’installer des moulins à vent et de faire marier les hommes, les Chinois captent les parts de marché et s’installent là où la France était autrefois présente.
Il y a pire encore. Le 2 mai, c’est au tour de Thomas Buberl, le patron d’Axa, de devoir passer devant le nouveau Tribunal révolutionnaire. Yannick Jadot et les écologistes reprochent à Axa d’assurer les champs gaziers et pétroliers, deux produits qui à leurs yeux représentent le mal. Ils veulent donc interdire à cette compagnie française, au nom « des orientations de la politique étrangère de la France », de faire leur travail d’assureur. Si Axa ne peut plus assurer, ce sera une perte de marché pour elle, des marchés qui seront récupérés par des compagnies étrangères. Avec de tels politiques, il n’est pas besoin d’avoir des adversaires extérieures dans la guerre économique, ils s’en chargent très bien.
Yannick Jadot qui a été condamné en 2006 pour « atteinte aux intérêts supérieurs de l’État » et mis en examen à la suite d’une plainte en diffamation déposée par Total. Il faut vraiment, du côté de Total, disposer d’un sens patriotique très développé pour continuer à rester à Paris.
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