26 mai 2024

Soudain, situation critique...

Alors qu’on débat sur le fait de savoir si Biden doit “autoriser” Zelenski à utiliser des missiles sol-sol tactiques US ATACM à longue portée (300 kilomètres) contre des cibles stratégiques en Russie, il s’avère que la chose est d’ores et déjà faite avec une attaque dans les dernières 48 heures d’un radar d’alerte contre les missiles stratégiques nucléaires. Ainsi deux faits jusqu’ici officieux et officiellement démentis ou ignorés sont désormais acquis, dans une atmosphère de communication où cohabitent deux discours complètement différents sur la même situation, essentiellement aux USA où les nécessités électorales poussent à la modération tandis que les élites politiques réclament des mesures extrêmes.

• La livraison de ces missiles ATACM, qui était jusqu’ici une hypothèse et une demande de Zelenski a bien eu lieu, en quantité décrite par le conseiller de Biden, Sullivan, comme « significative ».

• Alors que l’on débat pour savoir si Washington va donner l’autorisation aux Ukrainiens de passer la “ligne rouge” signalée par les Russes d’attaques significatives contre des objectifs en Russie, il semble que cette autorisation ait été donnée d’une façon discrète et que Zelenski s’en soit contenté.

On comprend que dans ce climat extraordinairement incertain et complexe, il est difficile de fixer une image claire de la situation d’autant que tous les éléments de cette attaque ne sont pas connus. Il est préférable, à ce stade, de s’en remettre à un avis d’un de nos commentateurs favoris (Larry Johnson) en lui empruntant une partie de son texte consacré aux deux crises (Gaza/CPI et Ukraine), toutes les deux entrées dans une phase critique... Ici, bien entendu, c’est l’Ukraine, où Johnson montre un point de vue assez prudent sur la forme des conséquences tout en se montrant extrêmement inquiet sur l’extrême gravité de la situation.

« Alors que la Russie continue de pulvériser les forces ukrainiennes tout au long de la ligne de contact, l’Ukraine – désormais armée d’un nouveau lot de missiles ATACM – lance des attaques très dangereuses et susceptibles de provoquer une réponse russe plus puissante et plus meurtrière. ‘ Simplicius the Thinker’ publie ce soir [vendredi matin] un article un peu alarmiste, à mon avis, et affirme que la défense aérienne russe est défaillante. Je ne pense pas qu'il y ait suffisamment de faits pour justifier cette conclusion. Cependant, je pense qu'il a raison de dire que Zelenski, qui devient de plus en plus désespéré chaque jour qui passe, est désireux d'essayer de provoquer une réponse nucléaire de la Russie dans l'espoir que cela obligerait l'OTAN à intervenir pleinement et à la forcer à entrer pleinement dans la mêlée.

» L’Ukraine, avec l’aide occidentale, a franchi aujourd’hui une ligne rouge qui sera suivie, je crois, par une réponse russe très puissante et généralisée.

» Apparemment, l’Ukraine a attaqué un radar russe d’alerte avancée pour les missiles balistiques à Armavir, en Russie. Cette destruction de ce nœud radar particulier a une utilité militaire directe limitée pour l’Ukraine, en raison de sa couverture. Je suppose que quelqu'un veut vraiment tester la stabilité [de la situation].

» Ce radar d'alerte aux ICBM est situé dans la République fédérale de Voronej, à 250 kilomètres à l'est de Belgorod. Le radar est endommagé, mais pas détruit. Il s’agit néanmoins d’une attaque directe contre le système d’alerte avancé russe destiné à détecter une attaque nucléaire. L’Ukraine et l’Occident ont franchi une ligne rouge définitive pour la Russie et le prix à payer pour cela sera lourd. Cette attaque ne nuit pas d’un iota à la position tactique de la Russie sur le champ de bataille. Mais cela représente une nette escalade de la part de l’Occident visant à cibler la capacité de dissuasion nucléaire de la Russie. Le Rubicon est franchi et cette guerre va entrer dans un nouveau niveau de péril, notamment pour l’Ukraine et l’Occident.

» Au minimum, la Russie devrait intensifier ses efforts pour localiser et détruire les lanceurs ATACM et les approvisionnements en missiles. Cela signifie que davantage de soldats de l’OTAN mourront probablement dans les semaines à venir. La folie règne à Washington, Londres, Paris, Berlin et Kiev. Le génie nucléaire est peut-être sorti de sa bouteille et, si une autre attaque de cette nature devait se produire, la Russie pourrait décider d’utiliser des armes nucléaires tactiques sur des bases ukrainiennes. Ici, je suis d’accord avec Simplicius, c’est une décision sacrément imprudente de la part de l’Occident. »

Cette description d’un pessimisme justifiée de la situation par Johnson a l’avantage de nous faire sentir la gravité de l’heure sans trop s’engager sur la cause de cette gravité. C’est en ce sens que cette citation me paraît intéressante et bienvenue tout en étant détaillée, et me pousse à la mettre en évidence.

On peut aussi écouter une vidéo Christoforou-Mercouris, plutôt centrée sur la visite que Poutine fait aujourd’hui à Loukachenko, notant que les deux premières visites de Poutine après sa réélection sont pour ses deux alliés principaux, celui de l’Est et celui de l’Ouest. Tout comme Johnson et d’autres, Christoforou-Mercouris évoquent le danger de la possibilité de l’emploi du nucléaire tactique.

Officiellement, les Russes restent très imprécis. Poutine a fait hier une déclaration solennelle proclamant l’illégitimité désormais de Zelenski, qui a dépassé la durée de son mandat. Lavrov se contente de constater les actions ukrainiennes en Russie même avec les armes dont les USA hésiteraient à équiper l’Ukraine, sans évoquer les attaques contre des cibles militaires.

« “Les armes américaines sont déjà utilisées contre un large éventail d'installations en dehors de la zone de combat”, a déclaré Lavrov. “Nous partons du fait que les armes américaines et d'autres armes occidentales frappent des cibles sur le territoire russe, principalement des infrastructures civiles et des quartiers résidentiels”.

» Il a conclu sans détour que les pays occidentaux “mènent une guerre contre la Russie”, malgré toutes les positions officielles qui semblent dissuader Kiev de recourir à l'escalade avec des armes occidentales. M. Lavrov a déclaré que c'est quelque chose “que les Américains essaient de présenter à leur opinion publique ou aux membres de l'OTAN”. »

Une situation soudainement devenue très intense, notamment et principalement dans l’attente de la réaction des Russes, qui s’emploient surtout à tenter de faire baisser la tension tout en restant énigmatique, – exercice favori de Poutine. Mercouris note qu’il s’agit de beaucoup plus qu’une “nouvelle guerre froide” et qu’on peut parler d’un épisode « plus grave que la crise des missiles de Cuba ». On termine par les mêmes remarques du début, sur l’impossibilité de porter un jugement sur cette situation extrêmement fluide, alors que le secrétaire à la défense Austin traverse une nouvelle phase du problèmes de santé avec une journée d’hospitalisation.

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