12 mai 2024

L’euro numérique : nous avons besoin de faits, pas de propagande ! (1ère partie)

Denis Beau, premier sous-gouverneur de la Banque de France, a récemment tenté, lors d’un discours à Montpellier, de dissiper « certaines craintes infondées » liées à l’euro numérique. Nous reprenons les quatre points qu’il a mentionnés à cette occasion sous la forme d’une mini-série pour les compléter par quelques faits et aspects supplémentaires. En effet, les tentatives d’apaisement ne suffisent pas pour aborder ce sujet très complexe. Il faut se familiariser avec l’enjeu et se faire sa propre opinion.

Commençons par un argument que nous entendons très souvent : L’euro numérique ne remplacera pas l’argent liquide ! Beau a déclaré à Montpellier :

« Nous continuerons à faire en sorte que la liberté de choix soit préservée en veillant à ce que l’argent liquide reste largement disponible et accepté ».

Selon Beau, la Banque de France a annoncé la construction d’une nouvelle imprimerie pour les billets de banque dans le Puy-de-Dôme. D’un coût de 250 millions d’euros, cette usine serait le centre de production de billets le plus moderne, le plus efficace et le plus écologique d’Europe et devrait être progressivement mise en service en 2026. 

L’argent liquide : une menace pour les banques?

Complétons ici certains faits et aspects. Rappelons que dans la plupart des pays – donc aussi dans la zone euro – le système monétaire est à deux niveaux – les banques centrales créent de la monnaie « banque centrale », les banques commerciales la complètent avec ce qu’on appelle la « monnaie de crédit ». Cet argent de crédit (également appelé dépôts du public) n’est généralement pas entièrement couvert par les réserves de liquidités. Les banques ne peuvent jamais décaisser tous les dépôts du public en même temps. Elles vivent avec le risque permanent d’une ruée bancaire. Cela fait partie du calcul commercial et est couvert par le « dernier recours » de la banque centrale, souvent sous la forme de garanties partielles des dépôts.

Une autre chose à prendre en compte : comme nous l’avons déjà indiqué, jusqu’à la crise financière de 2007/2008, la monnaie centrale se composait principalement de billets de banque et seulement d’une petite partie d’avoirs en comptes de virement. Grâce à la politique monétaire et de taux d’intérêt de la BCE, les banques centrales ont fortement étendu les avoirs en comptes de virement afin de maintenir la liquidité du système financier. Cela signifie toutefois que moins les banques détiennent de réserves de liquidités par argent de crédit, plus le risque de glisser vers l’illiquidité est grand si le nombre de dépôts retirés est supérieur au nombre de réserves de liquidités disponibles.

Inversement, cela signifie que si le public détient moins de liquidités, il reste plus de monnaie centrale pour les banques. Cela leur donne une marge de manœuvre pour de nouvelles affaires. Si le public accumule de l’argent liquide, cela réduit le multiplicateur de création monétaire – ce qui est mauvais pour l’activité bancaire.

L’euro numérique comme monnaie refuge?

La question de l’argent liquide n’est donc pas de savoir si l’on installe des imprimeries quelque part pour imprimer du papier coloré. Cet argument de Monsieur Beau ne peut et ne doit pas nous rassurer.

La valeur de l’argent liquide dépend de la confiance en ce moyen de paiement. Si le public a des doutes sur la solvabilité des banques, il tentera de récupérer ses dépôts le plus rapidement possible. Si trop de gens le font en même temps, il faut augmenter la quantité de monnaie centrale pour éviter que l’économie ne se contracte.

Mais nous savons, grâce aux crises bancaires de ces dernières années, que même les aides généreuses d’état en matière de liquidités et la garantie des dépôts par les banques centrales ne peuvent pas empêcher les gens de perdre confiance dans l’argent liquide et de tenter de sauver ce qui peut encore l’être.

Ce scénario a également été mis en lumière dans une étude récente de la Deutsche Bundesbank (Banque nationale de l’Allemagne). Celle-ci conclut que de nombreuses banques pourraient passer à l’euro numérique en temps de crise.

Devons-nous donc nous attendre à ce que l’euro numérique rende encore plus probable une ruée bancaire en situation de crise ? Pouvons-nous être sûrs que la monnaie numérique de la banque centrale, contrairement à l’argent liquide, offre de plus grandes garanties ? Que l’euro numérique convient donc particulièrement bien comme placement refuge ?

À propos de placement refuge : nous savons toutefois que l’euro numérique doit être un simple moyen de paiement et non un bien d’investissement. Il ne doit pas non plus rapporter d’intérêts, qu’ils soient positifs ou négatifs. Cet argument a également été évoqué par Denis Beau à Montpellier. Il sera traité dans la deuxième partie de la mini-série.

Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2024/05/10/leuro-numerique-nous-avons-besoin-de-faits-pas-de-propagande-1ere-partie-par-ulrike-reisner/

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