Parmi les mille et une façon que les Français ont trouvé pour s’auto-appauvrir à grande vitesse (avec un succès maintenant mesurable par tous), il y a bien sûr l’incroyable empilement de cotisations et autres prélèvements automatiques (automagiques devrait-on écrire tant il s’agit de vaudou) sur les salaires et émoluments de revenu. Il existe cependant d’autres méthodes, plus subtiles, pour aboutir au même résultat. L’une d’elle occupe ces jours-ci l’actualité : les tickets restaurants.
C’est à la suite d’un récent article du Monde qu’on apprend que des discussions sont en cours depuis un mois pour modifier le mode opératoire de ce mode de paiement particulier : en effet, depuis 2022, ces chèques pouvaient être utilisés pour payer des courses alimentaires achetées en supermarché, ce qui n’est pas du goût des restaurateurs, des boulangers et des traiteurs…
Pourtant, l’idée qui date de 1967 était au départ simple, voire simpliste : par ce moyen, l’entreprise fournit à ses salariés un moyen de paiement qu’elle prend en partie en charge et qui est aidé par l’État au travers d’exonérations fiscales (à hauteur d’1,5 milliards d’euros cette année tout de même). En pratique, le salarié ne paye que 40 à 50% du prix de ces chèques et autres tickets restaurant en croyant y gagner.
Mais depuis 1967, les choses ont un peu évolué et l’affaire n’est plus aussi bonne ni pour les salariés, ni pour les commerçants.
En effet, si la valeur totale des transactions avec ces titres est passée à 9,4 milliards d’euros de valeur totale en 2023 (soit une augmentation de 38% par rapport à 2018), la crise sanitaire de 2020 à 2022, ses confinements et les fermetures de restaurants auront changé la donne en autorisant les détenteurs de ces tickets à les utiliser pour leurs achats alimentaires dans les grandes surfaces… Autorisation qui a perduré au-delà de la crise et a même été étendue jusqu’à présent.
Pour les commerçants, la pilule a du mal à passer.
D’une part, le montant des commissions que les organismes émetteurs de titres prennent lors de leur utilisation : s’élevant à 4%, ce qui est raide, elle pouvait s’expliquer au début par les frais de gestion de ces petits bouts de papiers (qu’il faut sécuriser, manutentionner, distribuer, etc). Cependant, à présent, 70% des transactions sur ces titres sont menées sous forme de carte électronique format carte bancaire ou sur des applications mobiles (encore moins coûteuse à gérer). Il n’y a donc quasiment plus de traitement papier coûteux, essentiellement de l’électronique. Par contraste, on rappellera que les cartes bancaires ne prélèvent qu’autour de 0,3%, soit dix fois moins.
Au passage, la dématérialisation, commencée en 2014, devait aider à abaisser ces coûts de transactions alors tournant autour de 1,5%. En réalité, on constate avec ces 4% de commission actuelle qu’elle les a multiplié par près de trois. Jolie inflation, non ?
D’autre part, avec l’usage étendu aux grandes et moyennes surfaces, les commerçants se sont retrouvés en concurrence avec les distributeurs notamment lors des négociations sur ces commissions, sans avoir le même pouvoir de négociation. Au bilan, ces derniers ne payent que 1% de commission. L’affaire tourne au vinaigre pour les commerçants.
Et ce n’est pas près de s’améliorer. Les grandes et moyennes surfaces représentent maintenant près de 30% des transactions avec ces chèques : les Français achètent de plus en plus d’alimentaire au travers de ce moyen de paiement. De plus, avec l’inflation, les salariés se sont détournés des repas au restaurant et six sur dix amènent leur propre gamelle. Dès lors, ce système de paiement devient une façon compliquée de bénéficier, lors des achats alimentaires, d’une remise sur les prix des produits.
On est très loin de l’idée d’un repas quotidien.
Ces moyens de paiement engraissent donc les fournisseurs mais sont devenus de véritables usines à gaz au fonctionnement suffisamment opaque pour que beaucoup de commerçants ne soient pas capables de déterminer le coût exact de ces titres dans leurs charges qui, au final, imposent un type spécifique de consommation sur une partie du salaire des employés.
Au passage, cette opacité explique sans doute pourquoi ces commerçants se rangent du côté des fournisseurs historiques, quand bien même ces derniers leur imposent des commissions énormes pour un service à peu près nul.
En somme, ces titres spécifiques introduits en 1967 n’ont plus qu’un lointain rapport avec l’idée de base, imposent une destination spécifique, l’alimentaire en l’occurrence, à une partie du revenu des salariés, coûtent de plus en plus cher à l’État qui n’y trouve pas son compte en consommation, coûtent aussi aux commerçants des métiers de bouche de façon importante et opaque.
Ces titres ne bénéficient qu’à leurs producteurs, ces intermédiaires dont le rôle se borne essentiellement à utiliser leur pouvoir de négociation auprès de Bercy pour garantir le privilège fiscal dont leurs titres tirent parti. Pour ces derniers, c’est une excellente affaire, pour la société en général, on peut pudiquement se poser la question.
En fait, dans l’opération, il est certain que le Français ne s’en sort pas si bien, au contraire même.
Ainsi, il ne fait pas le moindre doute que les exonérations fiscales sont rattrapées par Bercy d’une façon ou d’une autre, et le tour de passe-passe n’en est alors que plus douloureux : l’ensemble du procédé consiste donc, en dernière analyse, à transférer ces montants du salarié en particulier et des contribuables en général vers les entreprises de titres restaurant. Les tubulures chromées sont toujours plus longues, tortueuses et nombreuses, mais à la fin, c’est toujours le capitalisme de connivence qui triomphe.
Mais c’est tout l’art de ces procédés opaques et complexes de faire croire à un avantage là où il n’y a, finalement, qu’une perte de liberté, additionnée d’une perte financière habilement camouflée : 96% des Français qui bénéficient de ces titres veulent en prolonger l’existence.
Tout comme les cotisations sociales, dénuées de remise en question et de toute concurrence poussant à l’amélioration, qui finissent par imposer une assurance très coûteuse aux services de plus en plus médiocres, ces titres spécifiques ne font finalement qu’imposer un certain type de dépense aux individus qui n’y trouvent un bénéfice que parce qu’ils sont trompés sur la nature réelle de la transaction.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.