Les semaines à venir seront marquées par un phénomène singulier : des milliards de cigales périodiques sortiront de terre. Zoom sur ce phénomène entomologique.
C’est ce qui s’appelle s’épanouir sur le tard. Après avoir passé, selon l’espèce, 13 ou 17 ans sous terre, les larves des cigales périodiques du genre Magicicada font leur émergence. L’année 2024 est toutefois particulière : deux « couvées » de cigales, l’une sortant tous les 13 ans et l’autre tous les 17 ans, émergeront simultanément.
Ces deux couvées américaines, représentant au total sept espèces de cigales périodiques, émergeront dans plus d’une quinzaine d’États. « Une couvée s’étendra sur un vaste territoire géographique, tandis que l’autre se concentrera principalement dans l’État de l’Illinois », explique André-Philippe Drapeau Picard, préposé aux renseignements entomologiques à l’Insectarium de Montréal.
Au stade larvaire, la cigale creuse la terre et se nourrit en suçant la sève des racines des arbres. Après de nombreuses années, l’insecte est prêt à remonter vers la surface. Cette sortie se fait habituellement pendant la nuit. L’insecte escalade ensuite les troncs et les branches des arbres pour muer et libérer son corps de son ancienne peau. Une fois la mue complétée, la cigale se dirige vers la cime des arbres pour trouver un partenaire et entamer le cycle de l’accouplement et de la reproduction.
« Les cigales sont bruyantes. Quelques jours après leur émergence, les mâles commencent à chanter pour attirer les femelles. Les zones boisées sont particulièrement prisées par les cigales », mentionne André-Philippe Drapeau Picard. La sortie de ces milliards de cigales ne passe pas inaperçue : leur chant atteint un niveau sonore impressionnant, comparable au bruit des avions. Ce sont les timbales, des organes ressemblant à des tambours situés sur les côtés de l’abdomen, qui produisent ce son strident.
Des cigales exceptionnelles
John Cooley, professeur adjoint d’écologie et de biologie évolutive à l’Université du Connecticut, a toujours été fasciné par les cigales. Il a grandi dans le Midwest des États-Unis où il en observait beaucoup pendant l’été. Son intérêt pour les cigales périodiques s’est cependant éveillé au contact d’un de ses professeurs d’université, qui en était passionné.
« Charles Darwin a écrit que les exceptions sont particulièrement intéressantes. Les cigales périodiques en sont un exemple. Sur les quelque 5 000 espèces de cigales sur la planète, moins de dix présentent un comportement semblable [rester sous terre pendant de nombreuses années]. C’est une caractéristique très inhabituelle », raconte le spécialiste des cigales périodiques. Les espèces de cigales présentes au Québec émergent, elles, tous les 2 à 3 ans.
Les cigales vivent une très grande partie de leur vie à l’abri des regards humains (et de leurs prédateurs tels que les oiseaux et les écureuils!). Que font-elles pendant tout ce temps? « Elles se nourrissent [de sève] et grandissent simplement à un rythme très lent », fait remarquer John Cooley. Sous terre, ces insectes restent longtemps à l’état larvaire. « Contrairement à beaucoup d’insectes qui passent d’une étape à l’autre de leur cycle de vie en fonction de leur taille, chez ces cigales, le passage à l’étape adulte est déterminé par le nombre d’années », explique M. Drapeau Picard.
Les spécialistes ignorent pourquoi les cigales sortent toutes en même temps. « Cela demeure un mystère, souligne André-Philippe Drapeau Picard. L’une des hypothèses avancées est que cela réduirait les risques de prédation. Le risque est moins grand de se faire dévorer par un prédateur lorsqu’on est nombreux. C’est un avantage pour l’ensemble de la population de cigales », ajoute-t-il.
Qu’apprend-on des cigales?
Pour en apprendre davantage sur leur vie, l’observation sous terre ne semble pas une avenue. « On le fait, mais le problème est de trouver ces cigales. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. On peut creuser longtemps sans rien trouver », souligne John Cooley.
Les émergences massives offrent donc une occasion propice aux scientifiques pour mieux les étudier. Récemment, « des travaux se sont penchés sur leur système de communication. Les scientifiques se sont rendu compte qu’en fait, les cigales effectuent des duos. Il n’y a pas que les mâles qui chantent, les femelles aussi émettent des sons », rapporte John Cooley. Les femelles pondent leurs œufs dans les interstices des arbres. Après un développement d’environ 6 à 10 semaines, les œufs éclosent, libérant les larves qui tombent au sol. Là, elles s’enfoncent dans le sol pour entamer un nouveau cycle de vie, qui s’étendra sur 13 à 17 ans.
Les changements climatiques ne devraient pas pousser les cigales périodiques de sitôt en sol québécois, indique John Cooley. « Pendant la période glaciaire de la côte est des États-Unis, l’aire de répartition des cigales périodiques a été modifiée au fil du temps, sur une période de 10 000 ans », indique l’expert de l’Université du Connecticut.
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