Dans le roman de sa longue vie, il y a au moins un chapitre que la célèbre couturière Coco Chanel a voulu occulter: sa liaison, pendant la guerre, avec un baron allemand. Et surtout, sa collaboration avec les services d’espionnage SS. Une page longtemps méconnue de l’existence de la « Grande Mademoiselle ». A tel point qu’à sa mort, en janvier 1971, la presse n’en fait pas mention.
« Au début de la Seconde guerre mondiale, Chanel ferma sa maison de couture et se retira sur les bords du Lac Léman, où elle vécut pendant 15 ans des royalties que lui rapportait son parfum », écrit ainsi, dans la nuit du 10 au 11 janvier, l’Agence France-Presse, qui vient d’annoncer son décès au monde entier.
La réalité est différente. Certes, après avoir présenté au début de la guerre une collection patriotique « bleu-blanc-rouge », Gabrielle Chanel choisit de fermer l’atelier de la rue Cambon quand commence l’Occupation. Mais elle laisse ouverte sa boutique de parfums et, loin de prendre ses quartiers en Suisse, continue à vivre, en plein coeur du Paris occupé, dans l’immense suite du Ritz, louée depuis 1937.
Un projet fou qui tourne au fiasco
A 57 ans, elle tombe amoureuse d’un attaché d’ambassade allemand, Hans Günther von Dincklage, de 13 ans son cadet. Sans doute un espion. Ils vivent leur liaison dans l’hôtel prestigieux, partiellement réquisitionné par le régime nazi pour abriter la Luftwaffe et son chef, le maréchal Göring.
Surtout, elle fait intervenir les autorités allemandes pour récupérer la propriété de ses parfums, cédée avant-guerre à des industriels juifs. Mais c’est un échec: les frères Wertheimer, réfugiés aux Etats-Unis, déjouent son plan.
Las, Coco Chanel se lance dans un nouveau projet, encore plus fou: arrêter la guerre, en tentant de négocier en 1943 une paix séparée entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Une opération abracadabrante, baptisée « Modelhut » (Chapeau de couture), qui la conduit deux fois à Berlin.
En avril 1943, elle va en discuter les détails directement avec Walter Friedrich Schellenberg, patron des services de renseignement de la SS. Elle connaît bien, plaide-t-elle, le Premier ministre britannique Winston Churchill, rencontré grâce à son ancien amant, le duc de Westminster. L’homme de confiance de Himmler est séduit. Mais l’opération vire au fiasco…
« Au lit avec l’ennemi »
Chanel est arrêtée mais relâchée quelques heures plus tard, sur une intervention de Churchill. Elle préfère toutefois prendre le large en Suisse, dans un palace de Saint-Moritz. Elle ne revient de cet exil qu’en 1953, à 70 ans.
Il faut attendre le livre d’Edmonde Charles-Roux L’Irrégulière ou mon itinéraire
Chanel, publié chez Grasset en 1974, trois ans après sa mort, pour que ce pan discret de son existence soit – en partie – révélé.
L’Express, en 1995, et Der Spiegel, en 2008, lèvent un peu plus le voile sur le passé de la dame au canotier. En 2011, le journaliste américain Hal Vaughan va plus loin dans les révélations avec Sleeping with the enemy, Coco Chanel’s secret war (« Au lit avec l’ennemi, la guerre secrète de Coco Chanel »). Une biographie fruit de trois ans et demi de recherches dans les archives américaines, françaises, allemandes, britanniques, italiennes et polonaises.
Recrutée comme agent secret du régime nazi
Documents à l’appui, Vaughan écrit qu’elle est recrutée dès 1940 comme agent secret du régime nazi. Nom de code « Westminster ». Elle est aussi une « anticommuniste forcenée » et une « antisémite confirmée », affirme-t-il.
« Hal Vaughan donne dans son livre des preuves indubitables d’une compromission grave de Mademoiselle Chanel avec les Allemands », déclare alors Edmonde Charles-Roux, assurant toutefois ne l’avoir jamais entendue tenir des propos antisémites. « Je ne l’aurais pas supporté ».
A la publication de l’ouvrage, le groupe Chanel – toujours détenu par la famille Wertheimer – dément (lol) aussi fermement que Coco Chanel ait été antisémite (mdr) tout en soulignant que son rôle pendant la guerre conserve… « une part de mystère ».
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