Un marché aidé n'est jamais très sain, il suffit que le coup de pouce cesse pour que l'intérêt des consommateurs batte de l'aile. Le succès artificiel de la voiture électrique, dont on vante volontiers la progression des ventes comparées à celles du diesel – en décrue constante à force d'être étranglé par des normes assassines – marque le pas. Dire que l'on assiste à une remise en cause radicale est aussi inconséquent que d'affirmer qu'elle est l'unique solution.
Le problème est la brutalité du grand remplacement orchestré par Bruxelles et le calendrier qui fixe à 2035 la fin des voitures thermiques neuves… en Europe. Ailleurs, on l'a assez dit ici, le thermique va continuer sa carrière et s'adapter à des marchés moins nantis que celui de la vieille Europe. Pourtant, sur les 500 millions d'Européens, combien sont convaincus que l'électrique est la panacée et, parmi les convertis à l'idée, combien ont les moyens de l'acheter ?Ces doutes sont bien mis en avant par un organisme dont on entend peu parler, la Cour des comptes européenne (CCE). Comme son homologue française, elle est indépendante et réalise des audits financiers pour jauger la viabilité des décisions technocratiques. Et le bilan que la CCE a livré sur l'objectif 2035 est pour le moins pessimiste puisqu'elle avance que ce délai est irréaliste et que l'Union risque de « perdre son pari ». Sur le fond, la CCE ne se prononce pas vraiment contre puisqu'elle retient que les voitures thermiques sont la cause du quart des émissions de CO2.
Elle en déduit un peu hâtivement, alors qu'il ne s'agit pas d'un collège d'ingénieurs, que la voiture électrique est la seule voie viable, décrétant qu'aucun gain futur n'est à espérer des moteurs thermiques. Elle avance même, dans son rapport, que leurs émissions de CO2 n'ont cessé d'augmenter au cours des 12 dernières années (+ 25 %) en raison essentiellement de la dérive constante du poids des véhicules (+ 10 % sur la même période). C'est, hélas, un constat exact, mais il faut ajouter le phénomène d'inertie dû au renouvellement du parc, l'âge moyen des voitures en France atteint 12 ans. Cela veut dire des voitures commercialisées en 2012 et répondant aux normes et technologies de l'époque. La bascule, la CCE devrait l'intégrer, ne peut se faire en un claquement de doigts.
Le poids, c'est l'ennemi
L'engouement il est vrai irraisonné du public pour les SUV et Crossover a dégradé le résultat, mais il a été aussi dicté par le partage de plateformes techniques avec les hybrides et même les électriques qui sont des enclumes roulantes. Il faut bien loger les batteries quelque part et les modèles thermiques qui naissent alors n'atteignent pas toujours leur objectif de consommations. Ainsi, la CCE égratigne les hybrides rechargeables, parées de vertus théoriques non prouvées en pratique car elles émettent sur route 2,5 fois plus qu'en laboratoire. Un chiffre sujet à caution tant il est énorme.
Pour mieux respecter les normes d'émissions calculées sur les ventes réelles, les constructeurs aimeraient bien jouer un retour à la berline, mais aucun d'entre eux, à de rares exceptions comme Suzuki, Dacia ou… Alpine, ne sait plus faire léger. Or chaque kilo de gagné, c'est du CO2 et donc du carburant en moins. Les experts-comptables de la CCE balaient aussi d'un revers les carburants alternatifs qui ne constituent pas une solution fiable et crédible.
Cela ne les gêne pas d'entrer en contradiction avec Porsche, Toyota, BMW entre autres ou des compagnies pétrolières qui n'entendent pas rater ce virage technologique et ont les moyens de l'assumer et de le distribuer aux pompes. À ce stade, l'influence des lobbys verts pointe lorsque la CCE avance que le prix de ces carburants synthétiques sera trop élevé, les avantages environnementaux qu'on leur prête étant « surestimés » alors que la concurrence avec les ressources alimentaires paraît discutable sur le plan éthique.
Elle concède cependant que la voiture électrique reste un virage « difficile à négocier ». Et pointe l'inconséquence de l'Europe vis-à-vis d'une industrie qui doit se réformer au forceps et de consommateurs pour beaucoup incapables d'affronter financièrement une telle évolution. La CCE observe que le réseau de recharge est déséquilibré, car 70 % des bornes de l'Union se trouvent en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Même déséquilibre pour les lieux de production des batteries, assumés pour 76 % par la Chine et pour 10 % par l'Europe. De nouvelles implantations sur le vieux continent d'usines de batteries devraient doucement corriger cela, mais il n'en reste pas moins que les trois quarts de l'extraction des terres rares et leur transformation sont aux mains des Chinois.
Tesla tremble
La CCE aurait pu s'en alarmer et s'apercevoir que les dés sont d'ores et déjà pipés. Il faudra fatalement, pour avoir des batteries, acheter la voiture chinoise qui va avec. Les ports d'Europe débordent déjà de voitures en transit qui s'apprêtent à laminer l'industrie européenne.
Tesla tremble déjà avec ce face-à-face et ne dispose plus de sa longueur d'avance qui faisait naguère s'envoler au zénith les cours en Bourse. Il lui faudra trouver un atout technique ou commercial qui lui redonne de l'avance, les rodomontades d'Elon Musk ne suffisant plus à enthousiasmer les investisseurs. Ses imitateurs comme Fisker, Rivian, Lucid ou les chinois Nio et HiPhi se trouvent au bord de la faillite et l'américain, confronté à la montée d'une concurrence mondiale, a sans doute achevé son cavalier seul et lancé une guerre des prix.
Sous perfusion des aides publiques, le marché de la voiture électrique est toujours très fragile et démontre qu'un retournement n'est pas à exclure. La part de marché des modèles électriques dans l'Union européenne a chuté de plus de 10 % au mois de mars. L'Allemagne a cessé ses aides à l'achat et la demande s'est effondrée de 28,9 %.
En France, on procède par paliers en grignotant le montant des primes qui ont profité jusque-là davantage aux ménages aisés et aux entreprises qu'aux moins favorisés. En supprimant les aides aux flottes qui assurent l'essentiel de la croissance, la France s'expose à un ralentissement sévère de la transition technologique. L'Assemblée nationale examinera le 30 avril une proposition de loi sur les flottes automobiles professionnelles soutenue par Réseau Action Climat mais son sort pourrait déjà être scellé par Bercy à la recherche d'économies drastiques.
L'Union européenne s'est fixée comme objectif ambitieux d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, mais sa théorie est rattrapée par les faits et la dure réalité. On aurait aimé que la CCE aille au bout de son expertise en chiffrant le coût astronomique de cette mutation technologique et de ses conséquences. Elle ne l'a pas fait et c'est l'élément essentiel qui manque. De quoi réjouir la Chine qui, en 2023, a produit plus de la moitié des voitures électriques vendues dans le monde, alors que sa part de marché pour les véhicules à moteur à combustion interne avoisine moins de 10 %.
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