C’est à la fois un serpent de mer et un mythe qui revient régulièrement, celui du service militaire vu comme un moyen de créer la nation et comme une nécessité pour affronter un ennemi. Un mythe, car il n’a jamais été cela, un serpent de mer, car son retour n’est ni possible ni nécessaire.
Quand Jacques Chirac a suspendu le service national, celui-ci était déjà moribond. Il était inégalitaire puisque seuls les hommes y étaient soumis, créant une très forte disparité dans leur cursus universitaire par rapport aux jeunes femmes. Inégalitaire aussi parce que ponctué de passe-droits entre ceux qui connaissaient le bon général pour faire un service intéressant et ceux qui perdaient leur temps en caserne. Le service militaire n’a jamais été un lieu de brassage et de mélange social.
Il repose également sur une fausse conception de l’armée. Celle-ci n’est pas là pour éduquer ou pour instruire, mais pour défendre la nation. Si un jeune est tordu à 20 ans, il est peu probable qu’il soit redressé en quelques mois de service national. L’éducation est du rôle des parents et des familles, complétés par l’école. En aucun cas le rôle de l’armée n’est de pallier des parents absents et une école défaillante.
Impossible aussi à réaliser en termes de structures. Ce service devrait comprendre aujourd’hui des hommes et des femmes, ce qui nécessite énormément de personnels et de bâtiments pour les accueillir. Or les casernes de France sont, pour la plupart, dans un état de délabrement certain. Un récent rapport de la Cour des comptes a justement souligné l’état de délabrement des bâtiments de l’école de Saint-Cyr Coëtquidan. L’urgence aujourd’hui est de restaurer les bâtiments des militaires d’active, ce qui nécessite un budget important.
Le service national est de plus parfaitement inadapté à la guerre d’aujourd’hui. On voit mal en quoi quelques mois de classes militaires permettraient de disposer d’une armée de réserve apte à se déployer en Ukraine ou à mener des missions en Afrique. L’armée nécessite un entrainement constant. Quand bien même des jeunes auraient effectués leur service à 20 ans, ils ne seraient pas opérationnels quelques années plus tard. Beaucoup de dépenses, beaucoup de coûts pour rien. Mais cette idée reste, lancinante, qui relève davantage de la pensée magique : l’idée que si les jeunes faisaient le service militaire, tous les problèmes sociaux et éducatifs du pays seraient réglés.
Retenir les meilleurs
Le vrai problème aujourd’hui de l’armée est d’attirer des talents et de les retenir. Ce n’est pas qu’une question de moyens, même si cela compte. Offrir des salaires décents pour qu’un officier supérieur ait une rémunération équivalente à celle d’un cadre de son niveau est une nécessité. Le déclassement des officiers par rapport à leurs équivalents cadres est certain, même s’ils disposent de facilité de logement et de primes lors des opérations extérieures. Disposer de lieux de travail adaptés est une autre urgence. Certes, l’armée implique une certaine rudesse, mais cela ne signifie pas délabrement et misère. Beaucoup de lieux militaires sont certes historiques, mais inadaptés à un travail du XXIe siècle. L’armée doit attirer des talents nombreux, à la fois à sa base, mais aussi parmi les officiers. À cet égard, les départs sont non négligeables à Saint-Cyr où de jeunes officiers quittent l’armée pour une autre carrière. Cela a toujours existé et il y a toujours eu un écrémage et une sélection de sorties. Mais le taux de départ est désormais non négligeable. Le grand défi pour l’armée est d’offrir une carrière intéressante et attrayante. Or c’est souvent l’aspect administratif qui l’emporte, avec tous les problèmes générés par une administration, plus soucieuse de respects de procédures que de valorisation de ses talents. Avec la fin des opérations en Afrique, il va être plus difficile d’attirer et de fidéliser.
Au service de la nation
L’armée est au service de la nation, elle ne peut donc exister que si nation il y a. La Révolution française a accouché d’un mythe, celui de la nation en arme, qui se fait par la guerre et par l’armée. Cette institution a été la colonne vertébrale de la IIIe République, d’où les drames causés par l’affaire Dreyfus, avant d’être dévalorisée après 1945, quand la colonisation a été vue comme une action de droite et quand l’armée a été perçue comme en dehors du champ républicain.
Une armée nationale ne tient que si nation il y a. Ce qui, en France, n’est plus le cas. La France étant devenue un État multi-national et multi-confessionnel, l’armée nationale telle qu’elle a toujours existé doit changer sa nature et sa perception de la chose militaire. On le voit en Russie, qui est un pays multi-national, où des troupes auxiliaires comme celles de Kadyrov sont associées à l’armée russe, avec une autonomie dans leur manœuvre. Le problème se posait aussi pour l’Empire austro-hongrois et même pour l’Empire français, qui avait en son temps créé des troupes coloniales. L’historienne Julie d’Andurain vient de publier un ouvrage majeur sur l’histoire et le développement de ces troupes coloniales et leur intégration dans l’armée nationale. C’est l’un des aspects qu’il faut aujourd’hui penser et intégrer pour préparer l’armée de demain.
Pour quoi mourir ?
Si l’armée dépend de la nation, la question est aussi posée de savoir pour quelles causes une personne est prête à donner sa vie. L’armée est l’armée de la France et non pas celle de la République. C’est pour la France, c’est-à-dire une réalité charnelle et historique, que des jeunes hommes sont morts durant les deux guerres mondiales, non pour une idée abstraite comme la République. Pour quelles causes supérieures des jeunes Français seraient prêts aujourd’hui à donner leur vie ? Pour sauver la retraite par répartition et la sécurité sociale ? Le vivre ensemble et le multiculturalisme ? Il n’est pas certain que cela soit réellement attrayant. L’individualisme ne pousse pas à un engagement pour un collectif. Si le service militaire est plébiscité par les personnes plus âgées, il est rejeté par les plus jeunes, c’est-à-dire par ceux qui sont directement concernés. Impossible d’imposer une telle charge à une population qui la rejette. On le voit avec le SNU, qui est un échec massif, en dépit des nombreux plans de relance d’Emmanuel Macron. Plutôt que de se perdre dans des mythes, il y a urgence à penser une sécurité collective et à des façons de souder la population qui vit en France autour d’un projet commun.
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