Emmanuel Macron a pris les pays européens de cours en annonçant qu’il ne fallait pas exclure la présence de troupes françaises et européennes en Ukraine. Une formule choc, qui cache la réalité d’une guerre qui ne cesse de s’enliser.
À la suite de ses propos, les principaux protagonistes ont aussitôt annoncé qu’il était exclu pour eux d’envoyer des soldats en Ukraine. L’Allemagne et les États-Unis ont notamment réfuté cette possibilité, tout comme les Pays-Bas, plaçant la France dans un splendide isolement. À force de lancer des formules en l’air et de s’attacher davantage aux discours qu’aux réalités, on prend le risque de tenir des propos déconnectés des réalités. La diplomatie française se trouve ainsi enlisée.
Troupes au sol ?
Que signifie en effet « envoyer des troupes en Ukraine » ? Si la France envoie des armes, notamment des canons Caesar, elle envoie aussi, nécessairement, des instructeurs pour apprendre aux Ukrainiens à se servir de ces armes. Il y a donc, de fait, déjà, des troupes françaises en Ukraine. Les Anglais font de même en envoyant, depuis une dizaine d’années, des instructeurs pour former l’armée ukrainienne. Nombreux sont aussi les soldats ukrainiens à être venus en France pour se faire soigner et former. Depuis février 2022 il y a des contacts réguliers entre l’armée française et l’armée ukrainienne, à la fois pour ajuster l’aide apportée par la France et pour se tenir informé de la tournure des combats et des stratégies menées par les Russes. Même si cela n’est jamais dit officiellement, des membres de l’armée française sont présents en Ukraine. Ce ne sont pas « des troupes », mais c’est bien normal qu’un pays allié envoie des observateurs et des instructeurs chez son voisin en guerre.
Le problème c’est que lorsque l’on parle de « troupes », le grand public comprend « régiments », et l’envoi de plusieurs centaines, voire milliers d’hommes. Cela est pour l’instant exclu. Mais même si cela était le cas, la France n’a pas les moyens d’envoyer son armée sur le front ukrainien. Nous manquons de munition, comme l’ont démontré plusieurs rapports parlementaires, nous manquons aussi d’hommes. S’il s’agit d’envoyer une centaine de soldats sur le front, cela ne servira à rien pour inverser le cours de la guerre. S’il s’agit d’envoyer des milliers d’hommes pour combattre auprès des Ukrainiens, ce qui correspond davantage à la notion de « troupes », alors nous n’avons pas assez de soldats. C’est de surcroît un coût humain que la France n’est pas capable de prendre, la nation française n’acceptant pas que ses soldats meurent en Ukraine.
Les propos du président Macron ne correspondent donc pas à la réalité de la guerre aujourd’hui. La France n’a pas les moyens d’envoyer des « troupes ». Ni ses alliés européens, qui se sont aussitôt désolidarisés de Paris. Cela témoigne surtout d’un amateurisme coupable sur un dossier qui est pourtant d’une gravité extrême.
Que faire ?
Une fois que l’on a dit cela, que faire ?
Dans le domaine des relations internationales et de la diplomatie, il y a les rêves et il y a les réalités.
Le rêve, c’est que la paix soit perpétuelle en Europe, que l’Ukraine ne soit pas attaquée par la Russie et que les frontières soient respectées. Ce rêve-là a duré ; il n’est plus.
La réalité, c’est que la Russie tient 20% du territoire de l’Ukraine et que personne ne pourra la déloger. Aucun Européen n’est prêt à mourir pour l’Ukraine.
C’est une chose d’appeler à la guerre depuis les plateaux de télévision, c’en est une autre de la faire. Je me souviens, un samedi après-midi sur LCI, au printemps 2023. Un Ukrainien réfugié en France qui vantait le courage de la jeunesse ukrainienne qui partait au front. L’émission terminée, dans la loge, le même, me disant qu’il reprochait à sa fille d’être retournée en Ukraine pour rejoindre son fiancé. « Pourquoi celui-ci est-il en Ukraine ? Il aurait pu vous rejoindre en France. » « Il est resté en Ukraine pour se battre. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas, qu’il risquait de mourir, qu’il fallait qu’il vienne en France. Mais cet idiot n’a pas voulu ». Bellicisme sur le plateau, réalisme dans la loge. Ceux qui appellent à la guerre ou à envoyer des soldats français en Ukraine seraient les derniers à y envoyer leurs fils.
Ce que l’on peut faire, que cela nous plaise ou non, c’est de constater que la Russie contrôle une partie du territoire ukrainien, qu’elle ne le lâchera pas et que l’on ne pourra pas la déloger. Il faut donc en prendre acte, assurer la sécurité de l’Ukraine sur le territoire restant et fortifier les pays d’Europe de l’Est que sont la Pologne et les pays baltes pour décourager toute attaque russe afin d’éviter que le conflit ne s’étende à d’autres pays. Cela, c’est la partie défensive.
Il y a, ensuite, une partie offensive à mener. La Russie combat les positions françaises en Afrique, nous pouvons lui rendre la pareil en Asie centrale, région par ailleurs beaucoup plus intéressante que l’Afrique. Nouer des partenariats commerciaux, stratégiques et militaires avec les pays en « stan » de l’Asie centrale, cœur de l’Eurasie, et qui craignent la puissance impériale russe, afin de détacher cet « étranger proche » de la Russie. Idem en Sibérie et en Asie orientale, délaissée au profit de l’Europe, pour réduire l’influence de Vladivostok.
Enfin, il y a la question des hydrocarbures. Les sanctions économiques ne fonctionnent pas, ce qui est logique puisqu’elles n’ont jamais fonctionné. L’Europe continue d’acheter le gaz et le pétrole russe, mais plus cher puisque ceux-ci transitent par les intermédiaires que sont la Turquie et l’Inde. Le programme prendra une quinzaine d’années, ce qui est à la fois long et court, mais les pays d’Europe doivent être moins dépendants des hydrocarbures russes. Avant l’invasion de l’Ukraine, la Russie assurait 25% des importations de pétrole de l’Europe et 45% de celles de gaz. La Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole et de gaz naturel. Il était évidemment impossible de s’en passer.
Un programme déployé sur quinze ans est nécessaire pour diversifier les sources d’approvisionnement : Méditerranée orientale, canal du Mozambique, Guyana, Namibie, où Total, présent depuis 1964, vient de découvrir de très importants gisements, mer Caspienne, etc. Et bien évidemment, développer l’énergie locale, avec le nucléaire.
Ce sont là les conditions pour être moins dépendant d’un seul pays, ce qui est toujours nécessaire, et pour assurer la sécurité en Europe et renforcer la protection des pays limitrophes de la Russie qui craignent une invasion (justifiée ou non, c’est un autre problème). En quelques mots, avoir une véritable vision stratégique et non pas se limiter à des formules dangereuses sitôt démenties par nos alliés.
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